La Grande Interview : Jérémy Cabot

Crédit photo Eponine Gauvin

Crédit photo Eponine Gauvin

Cycliste amateur et étudiant dans une grande école, c'est possible. Encore que... Jérémy Cabot, membre de la prestigieuse Ecole Centrale de Lyon donne un large avantage à ses études et, sans avoir jamais cherché à passer coureur professionnel, il roule quand il peut. Soit le quart ou le tiers de la plupart de ses collègues au VC Toucy. Ce parti pris ne l'a pas empêché de devenir Champion de France Universitaire du contre-la-montre, mi-avril, à Troyes (Aube). A sa propre surprise, après une année 2014 dépourvue d'entraînement et de compétition, il devance Jérémy Defaye (SCO Dijon) de 21 secondes et Benoît Cosnefroy (Chambéry CF) de 29 secondes, sur un parcours de 12 kilomètres (voir les classements). "Je n'avais plus mes repères habituels, c'était déstabilisant", raconte-t-il à DirectVelo. A tout le moins, ce futur ingénieur de bientôt 24 ans se sera fait "plaisir" et se sera "donné à fond". Tout ce qui compte pour lui.

DirectVelo : Le Champion de France Universitaire de cyclisme, c'est un coureur qui fait des études ou un étudiant qui court à vélo ?
Jérémy Cabot : Je suis un étudiant qui fait du vélo. J'ai toujours placé les études en tête de mes priorités. Le temps me manque pour m'entraîner. Je suis ravi et surpris de gagner parce que j'étais persuadé d'être battu, en particulier par Jérémy Defaye (qui se classe 2e, NDLR). J'espérais une place dans le top 10 voire dans le top 5, et même peut-être, dans mes rêves les plus fous, sur le podium. Mais pas sur la plus haute marche. J'ai attendu pendant une heure que les concurrents partis après moi en terminent. Je n'en revenais pas.

« J'ETAIS VENU POUR ME TESTER »

C'est vrai que l'an passé, tu avais mis un terme à ta pratique de la compétition...
Oui, j'ai passé trois mois à Taiwan, dans le cadre d'un stage, avec l'école Centrale de Lyon. Impossible de rouler ! J'ai essayé de prendre le départ de quatre courses mais j'ai abandonné à chaque fois. Je n'avais aucune condition, aucun plaisir. Dans ce cas, il valait mieux arrêter les frais. Je n'ai repris que cette année, dans l'inconnu, en deuxième catégorie, au VC Toucy.

Au moins, on peut dire que tu as gardé du jus !
Disons plutôt de l'envie. Quand j'ai repris l'entrainement cet hiver, sur 1h30, j'étais à la ramasse. Ma forme s'est affinée de course en course. Ce contre-la-montre du Championnat de France universitaire était mon premier chrono depuis un an et demi. J'étais venu pour me tester. J'ai récupéré le vélo spécifique dix jours avant le départ et j'ai fait deux sorties dessus. Je me disais qu'au pire, je n'obtiendrais pas un gros résultat mais que je me ferais plaisir.

Donc tu avais faim ?
Oui, d'autant plus que je suis originaire de la région où était organisée la course. Toute ma famille est licenciée dans l'un des clubs de la ville, l'UVCA Troyes. Mes parents et mes amis se trouvaient sur le bord des routes. J'avais reconnu le parcours. A la fois j'étais très motivé par un bon résultat et je n'étais pas en position de favori, ce qui a certainement enlevé de la pression. Je suis parti très vite et, dans les derniers kilomètres, j'ai beaucoup souffert. Je ne me souvenais plus que le vélo faisait aussi mal ! [sourire]

« LA COMPETITION ME MANQUAIT »

Pourquoi as-tu choisi de reprendre le vélo cette saison ?
La compétition me manquait. J'en faisais depuis dix ans et je ne voulais pas arrêter ainsi. L'adrénaline, c'est un besoin. Après que j'ai pratiqué le foot, mon père m'a transmis le virus des courses cyclistes. J'aime me donner à fond, me dépasser, ne jamais me reposer sur mes lauriers... Or, cette année, j'ai davantage de temps pour rouler. Actuellement, je suis en stage chez Michelin à raison de 39h par semaine. Je peux m'entraîner 4h30 à 6h30 hebdomadaires : suffisant pour pouvoir s'exprimer en course.

Cette victoire confirme-t-elle que tu as bien fait de revenir ?
Il s'agit peut-être d'un titre universitaire mais ce n'est pas une demi-victoire. Le plateau était relevé. Maintenant, je me sens sur la bonne voie.

Tu peux encore progresser ?
Je ne suis pas encore revenu à mon meilleur niveau. Cette saison sans courir a créé des lacunes que je suis en train de combler. J'espère me renforcer sur les épreuves par étapes: Circuit de Saône et Loire, Tour de la Manche, Tour Nivernais Morvan, Tour de Côte d'Or. Il n'y aura pas davantage de courses par étapes à mon programme 2015 parce que j'ai épuisé mon crédit de jours de congés !

« ON PEUT CONCILIER UNE GRANDE ECOLE ET LA COMPETITION CYCLISTE »

Ton titre de Champion de France universitaire confirme aussi que tu aurais peut-être pu faire carrière dans le cyclisme au lieu de t'inscrire dans une grande école...
Comme tous les gamins, j'ai certainement rêvé de passer pro mais il n'en a jamais été sérieusement question, parce que je ne voulais absolument pas laisser tomber les études. Après mon bac [décroché avec un an d'avance], je me suis orienté vers une prépa et ensuite j'ai intégré Centrale. Donc je n'ai pas eu beaucoup de bons résultats chez les jeunes (lire ici).

On recense tout de même une victoire sur le Challenge National Junior, une autre sur le Challenge National Espoirs, une deuxième place contre-la-montre sur le Tour des Deux Sèvres...
Oui, mais je n'ai jamais vraiment travaillé pour le vélo. J'ai enregistré ces résultats parce que j'étais très remonté et que j'avais envie de me faire mal en course. Rien de plus.

Selon toi, études dans une grande école et cyclisme de haut niveau, c'est incompatible ?
On peut mener les deux activités de front... mais pas au même niveau d'intensité. Cependant, certaines écoles proposent des horaires aménagées, comme l'INSA à Lyon [Jean-Christophe Péraud et Jérémy Roy en sont diplômés, tandis qu'Etienne Fabre, de Chambéry CF, ou Pierre Idjouadiene, du CC Etupes, ont entamé leur cursus cette année, NDLR]. A Centrale, les sportifs ne bénéficient d'aucun dispositif particulier.

Pourquoi n'as-tu pas choisi l'INSA ?
Chaque école a sa spécificité et je ne regrette pas du tout mon choix. Au début, j'hésitais, et c'est pourquoi j'ai fait une prépa. Je voulais mettre toutes les chances de mon côté de rejoindre Centrale.

« LA COMPETITION, UN EQUILIBRE »

Est-ce que le vélo est aujourd'hui une touche de fantaisie dans un cursus qu'on peut imaginer austère ?
L'école n'est pas ennuyeuse du tout, même si certains cours le sont forcément un peu plus que d'autres. J'évolue dans l'environnement que j'attendais et je me destine au métier qui me plaît : ingénieur en mécanique des fluides, spécialisé dans la simulation numérique. Le vélo, c'est simplement autre chose.

Un exutoire ?
Plus que ça : un équilibre. Si le vélo était un exutoire, j'irais rouler le dimanche matin seul ou avec des amis. Bien sûr, les grosses charges de travail pour la prépa ou l'école génèrent du stress, que le cyclisme me permet d'évacuer en partie. Mais je suis principalement à la recherche de sensations. La compétition me fait vibrer. Grâce à elle, je peux me changer les idées.

Comme tu ne conçois le vélo qu'à travers la compétition, est-ce à dire que 2015 est ta dernière saison ?
Je ne me vois pas rouler sans l'objectif de disputer des courses. A partir de novembre prochain, je serai sur le marché du travail. Tout dépendra du métier que je trouve et de l'entreprise qui me recrutera. Et là, de nouveau, l'éternelle question se posera : est-ce que j'aurai assez de temps pour rouler ?

D'ici là...
Je compte bien me faire plaisir. Je prends chaque course telle qu'elle vient, je la savoure et ne pense pas à la suivante. Cela s'arrêtera bien un jour. Mais j'ai l'impression que, même pour quelques mois de bonus, le titre de Champion de France est le début de quelque chose, un recommencement, et non pas une fin.
 

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