« Tout le monde est abattu ». La Panne : Comment expliquer un tel carnage ?

Crédit photo Pierre Willemetz / DirectVelo

Crédit photo Pierre Willemetz / DirectVelo

Les cinq derniers kilomètres de la Classic Brugge-De Panne (1.UWT) risquent de marquer les esprits un bon moment. Le final de la course d’un jour belge a été marqué par une série de chutes toutes aussi spectaculaires les unes que les autres. “Il y avait tellement de chutes qu’il y en a même une que l’on n’a pas vu à la télé car il n’y avait pas assez de moto-caméra. C’est dire l’accumulation…”, assure Jimmy Engoulvent, directeur sportif d’une équipe Cofidis qui a fait partie des plus touchées. Alors que le peloton était encore très fourni avant le premier incident, ils n’étaient ainsi plus qu’une grosse vingtaine à se disputer la victoire dans la ligne droite finale au terme de ce que certains ont décrit comme un véritable “carnage”.

« TOUT LE MONDE ÉTAIT FRAIS »

Avant de s’interroger sur les explications de ce scénario on ne peut plus marquant, les faits : aux 4800 mètres se produit une première chute sur la droite de la chaussée, en sortie de virage. Parmi les victimes, le sprinteur Alberto Dainese mais aussi Juri Hollmann, Damien Touzé ou encore Lindsay De Vylder, en sang au niveau du visage. Un kilomètre plus tard, accrochage entre plusieurs coureurs d'Intermarché-Wanty dont Gerben Thijssen mais aussi et surtout Huub Artz, qui reste un long moment allongé au sol, pétri de douleurs. À 2.2 km de la ligne, maintenant ; gros carambolage sur le côté gauche de la route. Plusieurs favoris dont Arnaud De Lie, Milan Fretin ou encore Arnaud Démare sont impliqués. Le Picard vole dans une haie. Image impressionnante et troisième chute en deux kilomètres et demi. Mais ce n’est pas fini. Peu après la flamme rouge, lors d’un rétrécissement de la chaussée, une chute massive plus impressionnante encore que les précédentes, envoie au tapis de nombreux favoris dont Paul Penhoët, Lukas Kubis, Olav Kooij, Alexander Kristoff ou encore Tim Merlier. Dans la confusion la plus totale, le Colombien Juan Sebastian Molano (UAE Team Emirates) s’en va aux 400 mètres en anticipant le sprint et résiste de justesse à Jonathan Milan (voir classement). “J’espère que tout le monde va bien car c’était vraiment de la folie dans le final”, lâchera brièvement le lauréat en zone d’interviews.

Mais alors, qu’est-ce qui peut bien expliquer cet enchaînement de chutes ? “C’était nerveux dans le final car il ne s’est pas passé grand-chose pendant la course. Même si ça reste une journée très usante car le rythme était élevé mais au cœur du peloton, tout le monde était frais”, répond Frédéric Guesdon, directeur sportif de la Groupama-FDJ. “Il n’y a pas eu de course avant, tout le monde était capable de faire le sprint. On a ramassé les premiers lâchés à la voiture à dix bornes de l’arrivée alors forcément, ça faisait un sacré peloton de mecs prêts à frotter sur la fin”, appuie Mickaël Leveau pour Arkéa-B&B Hôtels. “Attention, ça a quand même roulé très fort ! Il y avait 48 de moyenne sur les deux premières heures, tient à préciser Dominique Arnould. “Mais le gros problème, c’est que le grand circuit était soit trois quarts dos, soit trois quarts face”. Son coureur chez TotalEnergies, Lorrenzo Manzin, ajoute : “il n’y a pas de difficultés sur le parcours, donc pas de lâchés…”.

« FAUT-IL MAINTENIR CETTE ARRIVÉE ? C’EST À L’UCI DE TRANCHER »

Voilà donc un premier point d’entente : il n’y a pas eu de sélection pour différentes raisons - conditions météos, profil de l’épreuve et scénario de course - et le peloton était trop compact sur un parcours pas adapté pour que 150 bonhommes se jouent la victoire. Car il s’agit là d’un deuxième point d’accord entre les différents acteurs sondés ; les routes du final ne sont pas les plus “belles” de la saison ; “le parcours est ce qu’il est. Le final a toujours été comme ça à La Panne. On est passés trois fois avant, comme au Samyn où ça tombe quand même aussi car c’est sinueux”, déclare Mickaël Leveau. “La Panne avec du vent propice aux bordures, ce n’est pas la même course, mais là… Ce n’est pas un parcours fait pour avoir autant de gars dans les dix derniers kilomètres, considère Dominique Arnould. Faut-il maintenir cette arrivée ? C’est à l’UCI de trancher. Toute l’approche est dangereuse, le rétrécissement aux 4 km avec 300 mètres où il passe à peine une voiture en largeur, ce n’est pas tip-top. Puis celui à la flamme rouge…”, ajoute le technicien. “Il y avait beaucoup d’aménagements urbains et de gros rétrécissements”, tient aussi à préciser Alexis Renard, 7e sur la ligne, pour DirectVelo. Lorrenzo Manzin argumente dans le même sens. “C’est souvent comme ça à La Panne. Je savais où je mettais les pieds et les roues, avec notamment les rails de trains sur le circuit…”. Son DS Dominique Arnould est plus cash et plus sévère. “L’arrivée est dangereuse, les deux rétrécissements sont franchement limites”.

Pour autant, alors que tous les acteurs évoquent aussi “le nombre fou” de grands sprinteurs au départ - “il y avait quasiment 20 trains de sprinteurs possibles sur le papier” - et “l’enjeu colossal des points sur une course d’un jour WorldTour”, les six coureurs/directeurs sportifs sondés au sein des structures hexagonales s’accordent tous pour déclarer que l’explication principale vient du comportement des coureurs. “Ça accélère avant chaque rond-point ou entonnoir mais il n’y a pas la place pour tout le monde. Il y a des cartons jaunes de distribués et c’est normal”, juge Mickaël Leveau. “Les coureurs sont prêts à tout à des vitesses folles, dit Jimmy Engoulvent. Même à 40 mecs à la flamme rouge, c’est encore tombé. On s’est dit que ça n’allait jamais s’arrêter… Mais personne ne freine”. Dominique Arnould insiste : “si ça tombe, c’est de la faute des coureurs car ils virent trop vite, font des écarts et freinent trop tard”.

« SI TU FREINES, TU PERDS TA PLACE »

Constat saisissant : beaucoup se veulent dépités mais fatalistes, comme s’il n’y avait pas grand-chose à faire pour éviter que ce scénario catastrophe ne se reproduise à l'avenir. “Vu le plateau de sprinteurs au départ et ce final sinueux, on savait qu’il y avait de grandes chances que ça finisse mal. Et c’est ce qu’il s’est passé”, admet ainsi Frédéric Guesdon. “Arriva ce qu’il devait arriver, tout simplement”, lance Dominique Arnould. “Pour moi, ce n’est pas très étonnant, reprend Lorrenzo Manzin. Il y a de la tension et certains manquent de lucidité. C’est un cocktail explosif. Il aurait presque été miraculeux qu’il n’y ait pas de chutes. Malheureusement, il faut y aller même en ayant conscience du danger. Si tu freines, tu perds ta place. Alors il faut jouer des coudes, mais tout le monde n’a pas la même agilité. J’ai le sentiment fataliste que c’est comme ça et puis c’est tout”.

Le Réunionnais souffle quand même que “ce n’était pas marrant” et qu’il se souviendra de ce final marquant, où il a lui-même frôlé la chute à deux reprises. Chez Cofidis, où Piet Allegaert, Milan Fretin et Damien Touzé ont tous trois violemment heurté le sol - rien de cassé mais il se pourrait qu’ils soient tous forfaits pour les prochaines échéances en raison notamment de commotions cérébrales -, Jimmy Engoulvent était vraiment dépité après coup. “Sur une journée comme celle-là, tout le monde est abattu. Si ça arrivait plus souvent, je me demande si je continuerais ce métier-là. On se pose même la question de savoir s’il est bien de les pousser dans la gueule du loup de la sorte. Mais on représente une équipe, des partenaires… On connaît les enjeux. Enfin… Franchement, c’est dur de vivre ça”. Tous concèdent qu’il s’agissait là, tout de même, d’un événement rarissime de par son côté répétitif et la violence de chaque chute. “C’est exceptionnel, surtout en étant passé plusieurs fois au même endroit avant. Je n’ai pas souvenir d’un truc pareil”, répond Mickaël Leveau lorsqu’on fait appel à ses souvenirs. Même constat pour Dominique Arnould. “Là, ce qu’il s’est passé, c’est bien exceptionnel en effet. Et pourtant, j’en ai vu des chutes à La Panne, mais là c’était encore autre chose”

Mots-clés

En savoir plus

Portrait de Lorrenzo MANZIN
Portrait de Juan Sebastian MOLANO BENAVIDES
Portrait de Alexis RENARD