« C’est mon seul point commun avec Remco » : Thibaut Clément, vainqueur du Tour du Pays Roannais

Crédit photo Philippe Pradier / DirectVelo
Le duel annoncé entre Antoine Berger et Louka Lesueur a finalement tourné à l’avantage de… Thibaut Clément. Sur une troisième et dernière étape du Tour du Pays Roannais disputée autour de Riorges (Loire), c’est le Normand du Team 74-Haute-Savoie qui a déjoué les pronostics. Revenu en cours d’étape sur l’échappée, il a réussi à s’extirper du groupe de tête dans une courte difficulté située à deux kilomètres de l’arrivée pour s’en aller faire coup double. Maillot jaune sur le dos, le grimpeur de 32 ans, venu sur le tard au cyclisme, est longuement revenu sur sa journée au micro de DirectVelo.
DirectVelo : Tu fais coup double sur cette dernière étape du Tour du Pays Roannais !
Thibaut Clément : Si on me l'avait dit avant le départ, je n'y aurais pas cru. Honnêtement, je ne me sentais pas capable de gagner une Élite Nationale, donc c'est une grosse surprise et une grosse fierté pour l'équipe. Les N3 manquent parfois de reconnaissance et on est souvent vu comme les petits poucets, à juste titre par moment. On voulait montrer qu'il y avait de vrais bons coureurs dans les divisions inférieures.
Ton étape avait mal débuté…
Je crève au bout de 5 kilomètres. Je fais 20 kilomètres dans les voitures, donc j'étais déjà content de rentrer. J'ai vu qu'il y avait un coup qui était parti, je voulais être acteur de la course, quitte à tout perdre. De toute façon, on était à une trentaine dans le même temps, donc je me suis dit que si on ne courrait pas au panache, on n’allait rien changer. Je suis parti et je me suis retrouvé en chasse-patate tout seul à 40 secondes de l'échappée. Je n'ai pas trop réfléchi, j'ai tout mis pour rentrer. Une fois qu'on est rentré, il y avait Hexagone Corbas qui a fait des grosses montées avec Adrien Guillonnet. Ça nous a permis de garder une belle avance. Au kilomètre 100, on avait quasiment deux minutes d'avance sur le peloton. Derrière, on a réussi à s'entendre. Ce n'était pas fraternel comme entente, mais c'était cordial. On a pu garder deux minutes d'avance. Je me sentais vraiment dans un très bon jour, avec beaucoup de force.
« IL NE FAUT RIEN LÂCHER »
Avais-tu prévu de sortir dans la dernière bosse à deux kilomètres de la ligne ?
Je l'avais repéré, mais comme tout le monde. Parfois, quand ça paraît trop évident, je me dis que ce n'est pas là que ça sort le plus. Tout le monde sait que ça risque d'être le moment décisif. Je pensais plus suivre et éventuellement contrer en haut. Je me suis retrouvé en troisième position, bien placé, avec de l'élan, donc j'ai tout mis. Je n'ai pas réussi à être en danseuse jusqu'au bout, mais ça l'a fait. Tout le monde était cramé. C'était quand même une étape et un week-end usant. Je ne suis pas hyper punchy, mais à la fraîcheur, j'ai réussi à faire un écart. Ils se sont un peu regardés et puis j'ai pu finir le dernier kilomètre tout seul avant de lever les bras. Le DS (Romain Faussurier) est un local, il nous a donné les bons tuyaux ce week-end.
En passant la ligne, tu savais que tu avais gagné le général ?
Honnêtement, comme on nous avait annoncé 3’45’’ d'avance, on m'a dit que c'était plié, mais on ne veut jamais trop y croire parce qu'on savait qu'il y avait un contre. Vu comment Antoine (Berger) et Louka (Lesueur) sont forts, je me suis dit qu'ils n'allaient pas perdre le maillot sans rien faire. J'ai appuyé jusqu'au bout. La satisfaction était d'abord la victoire d'étape. Je ne pensais pas gagner le général. Comme je l’ai dit, je ne pensais pas être capable de gagner une Élite Nationale un jour. Il ne faut rien lâcher, être sérieux et bien travailler. Dans un vélo où on demande de plus en plus de compter ses coups de pédale et de ne pas trop en faire, c'est aussi un exemple comme quoi les gens un peu plus généreux qui ne comptent pas trop leurs coups de pédale peuvent être récompensés.
« GAGNER L’ÉTAPE DU TOUR »
Tu aurais imaginé ça, il y a quelques années ?
Non, j'ai commencé le vélo il y a cinq ans. J'ai toujours été passionné, mais je n'ai jamais fait de course. Je faisais du foot, ce qui est mon seul point commun avec Remco (Evenepoel). On ne va pas abuser (rires). J’ai commencé le vélo pendant le Covid et j'ai tenté une course en Open. J'ai gagné avec plusieurs minutes d'avance, donc je me suis dit qu'il y avait quelque chose à faire. J'ai appelé Axel Chatain, parce que mes années étaient un peu comptées. Je n'avais plus trop de temps à perdre. Il m'a dit de venir à Grenoble et m'a en partie formé en m’apprenant les rouages.
Comment tu te vois évoluer ?
J'avais deux objectifs : remporter une Élite Nationale un jour et éventuellement de gagner l'étape du Tour. On verra ça dans deux semaines. Maintenant que c'est fait, je me suis toujours dit que je ne me donnais pas de limites. Je veux voir jusqu'où le vélo peut m'emmener. Je sais très bien que je n'irai pas beaucoup plus haut compte tenu de mon âge. Je vais peut-être plus essayer de transmettre des bonnes valeurs aux jeunes. Dans le vélo, on est de plus en plus à faire trop attention à tout, ça donne parfois des comportements un peu trop calculateurs. Il faut aussi laisser parler sa nature et y aller un peu plus au feeling et au panache. Un peu comme pouvait faire Julian Alaphilippe. Ce sont plutôt ces valeurs-là que j'aimerais véhiculer plus tard.
« POUR EUX, CE N’EST RIEN »
Un passage chez les pros en Continentale, tu ne te dis pas que c'est possible ?
Je ne sais même pas si je le souhaite. J'ai un équilibre de vie avec mon travail. Je m'occupe de l'accueil des réfugiés qui arrivent sur le canton de Genève en Suisse. Le plus gros de mes entraînements, c'est de faire Annecy-Genève en vélo. J'ai un équilibre de vie qui me permet de ne pas me mettre trop la pression sur le vélo. Quand on sait à quel point c'est précaire maintenant d'être dans des Continentales, je ne sais pas si c'est ce que je veux pour moi et pour mon équilibre de vie avec ma conjointe.
Ton travail doit te permettre de relativiser quand tu as mal aux jambes…
On accueille tous ceux qui ont eu le droit d'asile, beaucoup d’Ukrainiens, des Érythréens, des Syriens, des Afghans et tous ceux qui fuient un pays en guerre ou un régime totalitaire. Certains de mes collègues sont venus en bateau d'Afghanistan pour fuir le régime taliban. Quand je leur dis que j'en chie sur mon vélo, pour eux ce n’est rien. Ça permet de relativiser et d'avoir autre chose dans sa vie.