Maillot transparent et soleil couchant : les 50 ans d'arrivée aux Champs

Crédit photo ASO - Pauline Ballet
Ce mercredi matin, Christian Prudhomme a dévoilé le parcours de la dernière étape du Tour de France 2025. Le peloton empruntera la Butte Montmartre, au pied du Sacré Cœur : un hommage à la carte postale offerte par le vélo aux Jeux olympiques (lire ici). Les organisateurs du Tour espèrent-ils que le peloton du Tour rejoue la même course débridée que celle des JO ou sont-ils conscients que 23 équipes de marques de huit coureurs (un peu moins à Paris) ne livreront pas la même course que 90 partants répartis dans de petites équipes nationales en manque de main d'œuvre ?
En tout cas, ce nouveau circuit pour la dernière étape va fêter les 50 ans de l'arrivée du Tour sur les Champs-Élysées.
À QUOI RESSEMBLAIT LA PREMIÈRE ARRIVÉE SUR LES CHAMPS ?
L'annonce en avait été faite le 24 novembre 1974 et le circuit avait été présenté au mois de mars suivant à la télévision avec des figurants de luxe, Bernard Thévenet et Joop Zoetemelk, dans le journal de 13h d'Yves Mourousi. Normal, c'était lui qui en avait eu l'idée.
Depuis 1903, le Tour arrivait sur un vélodrome. D'abord le Parc des Princes, où L'Auto puis L'Equipe a des intérêts. Puis à partir de 1968, c'est au tour de la Cipale dans le Bois de Vincennes jusqu'en 1974. Cette année-là, de l'autre côté des Alpes, le Giro de Vincenzo Torriani se termine encore une fois dans le vélodrome du Vigorelli mais le lendemain, les Girini doivent disputer l'épilogue, c'est-à-dire un critérium dans Milan avec départ et arrivée au Vigorelli mais avec un circuit qui passe par la Place Castello, la place du Dôme, la Porta Venezia, devant une foule énorme.
La dernière étape 1975 se déroule donc sous la forme d'un critérium mais un critérium de 163,5 km, 27 tours de 6,050 km. Les spectateurs parisiens doivent avoir l'impression de voir une étape du Tour en miniature. Alors il y aura un point-chaud disputé et deux contrôles de ravitaillement quand il n'y en avait qu'un seul, la veille pour une étape de 220 bornes. Ce n'est pas sans rappeler le "Petit Tour de France", la réunion d'après-Tour disputée au Parc des Princes dans les années 20 où des étapes étaient reconstituées avec deux contrôles de signatures et de ravitaillement.
Pour cette première, le Président de la République en personne remet le maillot jaune à Bernard Thévenet. Mais Valéry Giscard d'Estaing ne veut pas remettre un trophée bardé de publicités. Alors le dimanche 20 juillet 1975, il remet un maillot jaune vierge de pub à Bernard Thévenet. Mais la soie est assez transparente pour qu'on devine "Peugeot" à travers l'étoffe. Tant pis pour Miko, le parrain du maillot jaune, moins visible. En 2013, le maillot jaune était parsemé de paillettes dorées censées briller à la lumière de l'arrivée en semi-nocturne mais l'effet ne saute pas aux yeux.
LES CHAMPS DU DÉPART
Avant d'arriver aux Champs, le Tour en est parti. C'est en 1908 que le Tour passe pour la première fois par la plus belle avenue du monde. Le départ qu'on n'appelle pas encore fictif est donné place de la Concorde. Le peloton remonte l'avenue. "Pensez à ce défilé impressionnant de 100 hommes en tenue de course dans Champs-Élysées, au milieu des acclamations de milliers de personnes", raconte Charles Ravaud, une des grandes plumes de l'Auto. Ces centaines de cyclistes escortent les coureurs. Rebelote en 1909. Le même Charles Ravaud salue la "consécration définitive" de la Grande Boucle "après la colossale manifestation de sympathie et d'enthousiasme à laquelle son départ donna lieu".
Autour de la Place de l'Etoile, le vélo est chez lui. L'avenue de la Grande Armée, dans l'axe des Champs-Élysées, restera longtemps dominée par les marques de cycles qui y ont pignon sur rue.
Selon l'orientation du tracé de la première étape, le peloton remontera plusieurs fois en cortège l'avenue vers le point de départ jusqu'en 1948.
VU À LA TÉLÉ, FAIT POUR LA TÉLÉ
Imaginé par un homme de télévision et d'information, Yves Mourousi, le tracé de cette dernière étape est fait pour donner de belles images. Les cartes postales vont s'ajouter année après année. Pour l'an 2000, la dernière étape part de la Tour Eiffel et l'étape va proposer deux circuits intra-muros : une grande boucle de 29 kilomètres qui va jusqu'à Nation, à l'est de Paris dans le XIIe arrondissement et le petit circuit devenu traditionnel de 6 kilomètres.
En 2019, l'année des 100 ans du Maillot Jaune, c'est l'arrivée la plus tardive sous l'or du soleil couchant après le premier détour par le Louvre, sa cour Napoléon et sa pyramide de verre, pour offrir un des plus beaux tableaux de la course. La première arrivée en soirée fêtait un autre centenaire, celui de 2013 et de la 100e édition. La Patrouille de France salue de son panache tricolore le Tour. Pour la première fois, les coureurs font le tour de l'Arc de Triomphe.
Entre la Place de la Concorde et l'Arc de Triomphe, le Tour va accentuer la perspective en 2000. Le podium protocolaire est posé dans le bas des Champs pour que les caméras fixent sur leur objectif l'Arc de Triomphe dans l'ombre des vainqueurs.
En revanche, il faut attendre 2005 pour que la télévision ait l'idée de réserver un couloir pour que la moto caméra filme l'emballage de profil, au ras des barrières. Mais cette année-là, ce n'est pas le peloton qui gagne mais les attaquants avec Alexandre Vinokourov. Il faut attendre 2006 pour mettre en valeur le sprint victorieux de Thor Hushovd sous ce nouvel angle de caméra.
L’ÉTAPE QUI FAIT BAISSER LA MOYENNE
L'image d'Epinal de la dernière étape, c'est le peloton en croisière qui s'amuse et qui met en route juste avant l'entrée du circuit final. Bien avant la création de l'arrivée aux Champs-Élysées, c'était déjà le cas. En 1938, alors que le peloton reliait Lille à la capitale, Félix Lévitan, pas encore directeur de l'épreuve, relatait l'étape : "Après le contrôle de ravitaillement d'Amiens, c'est le déjeuner. Après le déjeuner, la sieste...". Paradoxalement, les premières années, de 75 à 77, quand la dernière étape se cantonne à ce circuit de 6 km et des poussières de pavés, pas question de rouler les mains en haut sous les yeux du public parisien. Encore moins avec les demi-étapes contre-la-montre de 1976 et 1977. Les choses changent quand le départ est donné hors de Paris à partir de 1978. Depuis, à de rares exceptions, la dernière étape fait baisser la moyenne.
Le véritable tournant remonte à 1989 dans... l'avant-dernière étape. C'est l'année de l'arrivée mythique contre-la-montre, entre Versailles et Paris, pour célébrer le Bicentenaire de la Révolution et reprendre le trajet emprunté par Louis XVI le 6 octobre 1789 pour quitter son château et rejoindre les Tuileries, escorté par la foule. Donc après un Tour entré dans l'histoire de son vivant, les coureurs ont besoin de souffler et de s'amuser. Jusqu'à 15 kilomètres de l'arrivée, ils n'ont pas la tête à la course.
QUI DOIT ENTRER EN TÊTE DANS LA PLUS BELLE AVENUE ?
Dernier jour du Tour 1991. L'équipe Banesto emmène Miguel Indurain en jaune vers sa victoire finale. Mais un trouble-fête va jouer les grains de sable. Il porte le dossard 1 et ne veut pas terminer le Tour sans montrer qu'il est toujours là. C'est Greg Lemond, le vainqueur des deux derniers Tours de France qui s'échappe dans les rues de Paris et va boucler deux tours en tête sur les Champs. La démonstration de l'Américain dans Paris n'a pas beaucoup plu à l'équipe espagnole qui voulait entrer en tête sur les Champs. Pourtant, à cette époque, c'est tout sauf une tradition.
Les premières années des départs en dehors de la capitale, l'enjeu est d'arriver le premier sur les Champs. C'est le cas d'Henk Lubberding en 1978. En 1982, le symbole est encore plus fort. Régis Clère, maillot bleu blanc rouge de Champion de France, démarre avant l'entrée dans Paris. Il roule au pied de la Tour Eiffel, passe en tête Place de la Concorde, remonte les Champs jusqu'à l'Arc de Triomphe. Régis Clère va de nouveau ouvrir la route à l'entrée des Champs-Élysées en 1987.
Depuis 1992, le peloton a pris le pli de laisser l'équipe du vainqueur du Tour d'entrer en colonne en tête depuis la place de la Concorde. Mais il reste des empêcheurs de grande roue de tourner en rond. C'est le cas de Filippo Simeoni en 2004. L'Italien avait témoigné à charge dans le procès Ferrari en 2000 et Lance Armstrong l'avait traité de menteur. Dans l'étape de Lons-le-Saunier, l'Américain ruine sa tentative d'échappée en lui collant aux basques. "Simeoni, repenti devenu la tête de Turc du tout-puissant, est quelque part le seul à lui rentrer dans la moulure, et il fut hier absolument génial. Puisque le peloton n'aime pas ceux dont la langue dépasse, eh bien ! Il allait se mettre en file indienne un petit moment à la poursuite du modeste gregario, au lieu de trinquer tout de suite au Champagne", raconte Philippe Bouvet dans L'Equipe le lendemain. Le coureur de Domina Vacanze met le feu au km 0. Rappelé à l'ordre par les US Postal, il remet ça dans les rues de Paris mais les cow-boys d'Armstrong le ramènent au lasso pour s'assurer de rentrer en tête sur les Champs. Le rapport de l'USADA de 2012 montrera que s'il y avait un menteur, ce n'était pas Filippo Simeoni.
L’ÉTAPE QUI NE SERT PAS VRAIMENT À RIEN
L'étape des Champs et son ambiance de cour de récré et de premier critérium d'après-Tour a-t-elle un intérêt sportif ? Les exemples sont nombreux pour prouver que oui.
Dès la première année, en 1975, Eddy Merckx, 2e du classement général, n'a pas l'intention de laisser tout cuit son maillot jaune à Bernard Thévenet. Le Champion du Monde attaque dès le départ. "Nous avons pris 200 mètres au peloton et il m'a proposé de continuer en sa compagnie. J'ai refusé car il voulait m'isoler et m'exposer ainsi au risque d'un incident", raconte Thévenet. Et gare au maillot jaune quand il se laisse enfermer en fin de course. "J'ai aperçu le maillot arc-en-ciel 50 mètres devant moi !".
La deuxième année, c'est le maillot à pois rouge (une autre nouveauté qui fêtera ses 50 ans en 2025 et qui reprenait le maillot du stayer Henri Lemoine). En 1976, il y a deux demi-étapes, un contre-la-montre et une course en circuit. Les organisateurs font disputer un prix de la montagne de 4e catégorie dans le contre-la-montre au sommet de l'avenue et il n'y a qu'un seul point entre Bellini et Van Impe, le maillot jaune. L'Italien fait le départ à bloc, son Tour s'achève à l'Etoile, mais il n'est pas un des trois plus rapides. Heureusement pour lui, Lucien Van Impe non plus. Giancarlo Bellini conserve donc ses pois rouges jusqu'au bout. En 1985, Pedro Delgado anime la traversée de la Vallée de Chevreuse pour prendre la 2e place du classement de la montagne à Robert Millar.
Plus logique, dans cette étape de sprinteurs, le maillot vert peut changer de propriétaire. C'est le cas en 2003. Si Jean-Patrick Nazon gagne l'étape, une autre victoire se joue entre deux Australiens. Robbie McEwen et Baden Cooke. Au départ, il n'y a que deux points d'écart entre les deux à l'avantage du premier. Sur les Champs-Élysées, Cooke termine 2e, McEwen 3e, et le coureur de la FDJeux.com remporte le classement par points pour deux petites unités.
POUR QUELQUES SECONDES...
En 2005, il y a déjà 20 ans, Alexandre Vinokourov veut absolument rentrer parmi les cinq premiers du Tour. Il n'est qu'à 2" de Levi Leipheimer avant la dernière étape. Au premier sprint bonif, le Kazakh revient à égalité avec l'Américain qui résiste. En raison de la pluie, les temps pour le classement général sont pris au premier passage sur la ligne mais les bonifications sont maintenues : 20", 12" et 8" aux trois premiers. Alexandre Vinokourov doit donc terminer dans les trois premiers, sans Leipheimer, pour terminer 5e du Tour. Chose faite avec sa victoire qui déjoue les plans des sprinteurs.
Tous les classements peuvent changer le dernier jour. C'est aussi le cas de la Combativité. En 1982, des points sont attribués chaque jour avec un classement général. La veille de l'arrivée, Daniel Willems a pris la tête avec un point d'avance sur Régis Clère. C'est pour cela que le Champion de France attaque dans Paris, bien avant l'entrée des Champs. Cette année-là, Banania patronne la Combativité mais aussi la flamme rouge. La lanterne rouge aussi peut changer de main sur les pavés. En 2008, Wim Vansevenant ne compte qu'une vingtaine de secondes "d'avance" sur Bernhard Eisel dans ce classement particulier. L'Autrichien se laisse décrocher à la flamme rouge mais le Belge l'aperçoit et les deux coureurs finissent ensemble. Ce jour-là, le dernier de l'étape s'appelle Chris Froome.
Mais bien sûr, on ne peut pas parler de la dernière étape des Champs-Élysées sans parler de 1979 et 1989. En 1979, Joop Zoetemelk et Bernard Hinault font la course dans la Vallée de Chevreuse et lâchent tout le monde. Le Breton en jaune s'impose. En 1989, c'est le contre-la-montre mythique avec la remontée de Greg Lemond et les huit secondes qui crucifient Laurent Fignon. Pourtant, à la présentation du Tour 1989, des observateurs faisaient la fine bouche sur ce contre-la-montre final. Une raison de plus pour se méfier des commentaires que suscitera le nouveau circuit de la dernière étape du Tour 2025. La course sera ce que les coureurs en feront.