Michel Callot : « On a des trous dans la raquette »

Crédit photo Freddy Guérin - DirectVelo
La France recule au classement des nations. Si à la mi-juillet l'Hexagone pointe au 7e rang, la France avait même reculé à la 9e place il y a un mois. Un classement qui serait inédit si la tendance ne s'inversait pas, depuis dix ans et l'instauration de ce classement sous cette forme par l'UCI. S'il reste encore quelques mois pour redresser la barre et oublier cette première moitié d'année, la Fédération Française de Cyclisme essaie de comprendre le phénomène. Problème en haut de la pyramide, à sa base, ou les deux, DirectVelo a interrogé le président de la FFC, Michel Callot, à l'occasion de la traditionnelle conférence de presse du Championnat de France.
DirectVelo : La Fédération a saisi la DTN pour réaliser une étude sur le recul du niveau français. Quels sont les critères de cette étude ?
Michel Callot : C'est surtout un constat qui, pour moi, a été le fait générateur de cette étude. C'est qu'on a un cyclisme professionnel français qui est florissant en volume. On a beaucoup de coureurs professionnels depuis plusieurs années. J'ai besoin de comprendre pourquoi on a accumulé pendant ces 20-25 dernières années les titres dans les catégories jeunes et pourquoi on a du mal à voir nos générations de coureurs s'installer dans la hiérarchie mondiale. Heureusement, il y a des exceptions à tout ça. Il y a eu un Romain Bardet, un Thibaut Pinot, un Julian Alaphilippe, deux fois Champion du monde et vainqueur d'autres très belles courses. Heureusement qu'il y a des exceptions, sans quoi on disparaîtrait vraiment des écrans. Mais on a, me semble-t-il, un manque de densité à très haut niveau. Par exemple, on a des trous dans la raquette en n'ayant pas gagné de Monuments depuis un moment, en ayant du mal à gagner les courses à étapes, en ayant du mal à être régulièrement présent dans le Top 5 des Grands Tours. Il faut qu'on essaye de le comprendre. Est-ce qu'il y a des paramètres français qu'il faudrait qu'on corrige ou est-ce que c'est une sorte de fatalité ? J'ai besoin d'avoir des réponses à cette question.
« EST-CE QU'ON PEUT ESSAYER DE BOUGER OU PAS ? »
Pourquoi est-ce la Fédération qui le fait et pas la Ligue ?
Parce que c'est du sport. La Ligue, elle est là pour gérer administrativement un secteur, qui est le secteur professionnel, mettre en place des conditions de cahier des charges pour les équipes, pour les organisateurs, préparer un calendrier, orchestrer le dialogue social entre le syndicat des coureurs et les employeurs. Ça, c'est un travail de la Ligue. Le travail sportif, il est à la Fédération. Il n'y a pas de cadre technique à la Ligue.
Quels sont les leviers de la Fédération pour pouvoir influencer la formation des futurs coureurs ? Il n'y a plus tellement d'équipe de France Espoirs, et chez les Juniors, il y a la concurrence des structures du World Tour...
C'est pour ça que ça m'inquiète encore plus. C'est-à-dire qu'aujourd'hui, on peut considérer qu'après 19 ans, pour les meilleurs en tous les cas, il ne se passe plus grand-chose avec l'équipe de France en dehors de l'équipe de France professionnelle. On perd encore un levier de formation supplémentaire. C'est pour ça qu'il m'a semblé temps d'ouvrir un petit peu la boîte autour de ça, de se poser des questions. L'avantage de la DTN, c'est d’être des fonctionnaires d'État. Donc, ce sont des personnels qui ont une forme de neutralité. J'ai besoin de leurs compétences, de leur technicité pour produire des observations. Et puis après, avec les acteurs concernés, on se mettra autour de la table, puis on se dira s'il y a des choses sur lesquelles on peut jouer. Est-ce qu'on peut essayer de bouger ou pas ? Je ne sais pas dire ça. Je vais attendre l'étude pour pouvoir vous dire s'il y a un plan d'action qui s'en suit ou si on fait un constat, malheureusement, un peu fataliste, ce que je n'espère pas.
« IL N'Y A PAS DE FATALISME À AVOIR »
Il y a une baisse des licenciés chaque année au niveau des Cadets et Minimes. Qu'est-ce que vous pouvez faire ?
Je pense que là, on rentre sur un registre qui est assez différent, qui est le registre du cyclisme sur route en général, avec un phénomène d'attrition vers la compétition, qui n'est pas seulement français, mais largement européen. Donc toute la vieille Europe qui a porté le cyclisme sur route est dans ce cas-là. Et il y a quand même quelques facteurs clés qui sont évidents. Le premier de ces facteurs, c'est malheureusement l'utilisation de la route. Que ce soit à l'entraînement ou que ce soit en compétition, c'est devenu quelque chose de complexe. Alors on essaie de se battre, on essaie d'avoir des actions, mais il ne faut pas rêver. On ne va pas renverser les phénomènes de société.
Quels sont-ils ?
Il y en a deux qui nous gênent terriblement. Le premier, c'est que le nombre de voitures ne fait qu'augmenter dans notre pays et ça ne va pas s'arrêter demain. Peut-être que ce sera des voitures électriques, mais il y aura toujours plus de voitures. Puis le deuxième phénomène, c'est la manière dont on se sert de sa voiture. C'est l'individualisme, qui est un autre facteur d'évolution sociétale, qui joue très en défaveur de toutes les disciplines sportives qui ont besoin de partager l'espace public. On commence à avoir les mêmes problèmes pour partager des sentiers ou pour partager des espaces de pleine nature. Ça, ça fait partie de nos difficultés. Les premiers qui luttent là-dessus, ce sont nos clubs, qui font des efforts énormes pour accueillir en sécurité, donner confiance. Et si on raccorde le premier sujet au deuxième sujet, c'est d'autant plus important qu'on ait une vitrine qui soit séduisante, attractive. On sait que ce qui peut donner une impulsion à des jeunes pour choisir un sport plutôt qu'un autre, c'est aussi ce qui les fait vibrer quand ils voient les médias, la télé, des images qui sont largement répandues. Il faut être à des heures de grande écoute sur des grands médias. Autrement dit, il faut être dans les JT avec des résultats au top niveau.
Là aussi il y a un risque de fatalité ?
Il ne faut pas le prendre comme une fatalité. La première raison, c'est qu'on a la chance d'avoir un sport qui est éclectique. On a la chance de pouvoir créer des rebonds avec d'autres disciplines. C'est vrai avec le BMX, c'est vrai avec le VTT, sans doute. Pour le moment, ce n'est pas trop le cas chez les jeunes, mais il faut que ça vienne avec le gravel, qui est une alternative, des moyens aussi de s'entraîner différemment et moins exposés par rapport à la route. Donc non, il n'y a pas de fatalisme à avoir. D'autant plus que la pratique du vélo sportive s'accentue chez des gens un petit peu plus âgés. Donc ces gens-là, ils ont des enfants, ils sont en contact évidemment aussi avec des jeunes. Donc il faut qu'on continue à être militant par rapport à ces aspects liés à la route. Il faut qu'on joue sur notre éclectisme et qu'on continue à pousser par rapport à tout ça et à soutenir l'effort de nos clubs.
