Loïc Varnet : « Tout doit aller vite… »

Crédit photo Robert Gachet - DirectVelo

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AG2R Citroën U23 Team continue d’envoyer chaque année des coureurs chez les professionnels. Mais le club savoyard peine désormais à attirer les meilleurs Juniors en raison de la forte concurrence des équipes Continentales. Loin d’être un adepte du jeunisme ambiant, le manager du CCF, Loïc Varnet, fait le point sur la situation au micro de DirectVelo.

DirectVelo : Comment juges-tu la saison 2022 d'AG2R Citroën U23 Team ?
Loïc Varnet : Je qualifierais cette saison de trompe l’œil. Au premier abord, c’est plutôt bien. On termine 2e de la Coupe de France, on a quatre victoires UCI. On n’a pas toujours fait aussi bien. Deux coureurs, au cours de la saison, ont rejoint le WorldTour. On a également 100% de réussite aux examens scolaires. A priori, le bilan est plutôt flatteur. Néanmoins, il ne peut pas être satisfaisant parce que certes, on est 2e de la Coupe de France, mais on s’est littéralement fait marcher dessus par le Vendée U qui a les mêmes coureurs que nous. C’est indéniable et eux, en plus, ont ajouté deux titres de Champion de France. On n’a pas gagné de manche de Coupe de France alors qu’on en avait remporté deux la saison précédente. Il n’y a pas eu de médaille aux Championnats de France, tandis que nous en avions eu quatre l’an passé. Pour une partie du groupe, on n’a pas trouvé le rendement optimum, c’est incontestable. Notre vocation est que les jeunes atteignent leur plein potentiel, qu’ils passent pro ou non. On a le sentiment d’avoir fait le travail lorsqu’ils atteignent leur plein potentiel.

Comment expliques-tu les difficultés d’une partie de l’équipe ?
Si j’avais une explication, on aurait réglé le problème et ils auraient trouvé les clés du succès. Aujourd’hui, je n’en ai pas. Dans un contexte où il est dit que les jeunes sont tout de suite opérationnels à leur sortie des rangs Juniors, je m’appuie sur cette expérience pour démontrer que ce n’est pas une règle établie et universelle.

À l’heure du jeunisme, comment réussir à l’expliquer à un coureur ?
C’est un message qui est devenu inaudible. Il faut dire les choses comme elles sont. Aujourd’hui, il y a une telle précipitation, tout doit aller vite… Je pense que le métier de psychologue a de l’avenir dans le cyclisme. On court vers des situations de burn out car on aura voulu aller trop vite et esquiver des phases d’apprentissage qui sont des étapes qu’on juge incontournables sur le plan sportif. On n’évoque pas l’aspect de la scolarité car ça n’entre plus dans les débats. Pour nous, c’est un retour en arrière de constater que la règle est d’avoir une activité exclusive dès 19 ans. C’est un risque qui est très important et dont on mesurera les conséquences dans quelques années.

« PAS À ROUGIR DES COUREURS QUI REJOIGNENT LES RANGS PROFESSIONNELS »

Pour une N1, même réserve d’une WorldTeam, il est devenu difficile de recruter. Comment arrives-tu à séduire les coureurs ?
Quand ils rentrent au centre de formation, ils ont un service qui est très conséquent. Mais l’aspect financier n’est jamais entré en compte. Le calendrier d’une Conti et cette possibilité d’aller faire des épreuves en Classe 1 avec le peloton professionnel, c’est quelque chose qui tourne en boucle. La possibilité de franchir quatre par quatre les étapes et de faire des courses avec le peloton pro, c’est une aspiration qui est très forte désormais.

Il y a eu un « Chambéry bashing » au moment où votre équipe 2023 a été annoncée…
C’est quelque chose que j’entends souvent. Je rappelle que je me focalise davantage au statut d’un coureur qui sort plutôt qu’au statut d’un coureur qui rentre. La différence entre les deux est la plus-value qu’on apporte. Notre vocation est basée sur le service, la formation et l’éducation. Si on rentre des coureurs de second plan et qu’on sort des coureurs de premier plan, je m’en réjouirai toujours. Aujourd’hui, je n’ai pas à rougir des coureurs qui rejoignent les rangs professionnels en 2022 et ce sera encore le cas en 2023. Concernant les coureurs qui rentrent, beaucoup oublient avec cette frénésie et cette précipitation que Clément Champoussin, Nans Peters et Benoît Cosnefroy ont remporté cinq victoires en WorldTour ces dernières années, mais ils n’avaient aucune sélection en équipe de France Juniors sur route…

Avant, on restait trois voire quatre ans au CCF avant de rejoindre le peloton pro. Cette année, Bastien Tronchon va chez les pros après deux années Espoirs. Te fais-tu à l’idée qu’un coureur ne passera plus forcément une troisième année au CCF ?
Je retiens son propre intérêt. On a la chance de travailler en relation étroite avec Vincent Lavenu. Il faut qu’on s’adapte à l’environnement concurrentiel. On ne peut pas être aveugle aux offres concurrentielles avec beaucoup d’équipes Continentales qui se sont greffées ces dernières années avec une offre très dense ainsi que les agents qui ont perçu qu’il y avait un peu d’argent à faire dans le cyclisme. Ils entretiennent cette illusion du jeunisme en faisant croire qu’ils ont tous des Evenepoel dans leur portefeuille. Il nous faut sécuriser les parcours, au risque de mettre en difficulté toute la construction de la filière. À titre personnel, je peux être frustré que je sois empêché de travailler. On a le sentiment de ne pas être allé au bout de ce qu’on pouvait faire et d’avoir conduit le coureur à un statut qui lui permettait d’être opérationnel sur le plan sportif ; mais aussi d’avoir la maturité qui lui permet d’affronter un environnement qui potentiellement peut être hostile car très concurrentiel, et où la passion est devenue un métier. Donc c’est une autre manière de pratiquer son sport et il faut être préparé. Les années Espoirs préparent à ça. Ce n’est pas une compétence supplémentaire sur le plan cycliste, mais c’est une habileté supplémentaire sur le plan personnel.

« TRÈS MÉFIANT DU CÔTÉ UNIQUE »

As-tu adapté ton discours ?
On est dans une adaptation permanente, heureusement que le discours n’est pas le même qu’il y a dix ans. Notre finalité reste la même. Le vélo a beaucoup changé mais c’est toujours une ligne de départ et d’arrivée, et le premier qui arrive au bout a gagné. Les fondamentaux restent les mêmes et les voies pour y arriver se sont diversifiées.

Tu as toujours ce même plaisir à diriger une équipe ?
Je souhaite à tout le monde d’avoir la chance du métier que j’exerce depuis 30 ans, d’avoir la fidélité que Vincent Lavenu nous accorde. Mon cas particulier n’est pas très important. Ce qui est important pour moi est de laisser l’opportunité aux jeunes de choisir. Je suis très méfiant du côté unique : « le modèle, il est comme ça et vous n’avez pas le choix… ». Je milite pour préserver une alternative et laisser le choix. Beaucoup de jeunes sont encore motivés par leur projet scolaire. D’autre part, si on appliquait la règle actuelle quatre-cinq ans en arrière, on se serait privé de Nans Peters, Clément Champoussin et Benoît Cosnefroy. Je milite pour maintenir la pluralité et la diversité, de laisser au moins un choix…

Quel est l’avenir d’AG2R Citroën U23 Team ?
Notre vocation est articulée autour de la biqualification. Aujourd’hui, c’est indéniable, on ne peut pas contester qu’il y a un rajeunissement de la performance. Ce n’est pas que dans le cyclisme, c’est valable dans le tennis, le rugby… Si on veut que le modèle perdure, il faut le faire évoluer. Quand les équipes WorldTour font une Continentale, ça peut être présenté comme une filière de formation. La réalité est que ce sont des coureurs qui viennent suppléer l’effectif de la WorldTeam et soulager le calendrier de leurs leaders. L’objectif de la Continentale reste d’aller pouvoir courir avec la WorldTeam, c’est la motivation première. Dans le format Continentale, il y a peu de place qui est laissée à la scolarité, voire pas du tout. Le modèle doit évoluer si on veut le faire perdurer. Mais la solution, on ne l’a pas aujourd’hui.

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