Cédric Vasseur et la menace de la descente : « Ça tirerait tout vers le bas »

Crédit photo Mathilde L'Azou / Team Cofidis
Le grand moment est arrivé. Ce samedi, la formation nordiste Cofidis va lancer son Tour de France 2025, à domicile. Avec une volonté claire : tenter de décrocher une victoire d’étape, comme elle l’avait fait il y a deux ans, par deux fois, avec Victor Lafay puis Ion Izagirre. À l’occasion de la conférence de presse d’avant Tour de la structure WorldTour, DirectVelo s’est longuement entretenu avec le manager général, Cédric Vasseur. L’occasion d’aborder cette lutte acharnée pour le maintien en WorldTour, laquelle s’annonce indécise jusqu’aux dernières courses de la saison. Entretien.
DirectVelo : Quelles sont les ambitions de l’équipe Cofidis pour ce Tour ?
Cédric Vasseur : Ce qui est important, c'est d’abord de montrer un beau visage. Notre objectif est de gagner une étape sur ce Tour de France. On a une équipe expérimentée, motivée et qui a tout pour briller. Le fait que le Tour s'élance de Lille, ça met une pression supplémentaire pour l'ensemble de l'équipe, mais ce n'est en aucun cas une pression négative. Au contraire, c'est une pression qui va nous booster. Je fais une totale confiance à l'ensemble de cet effectif. Ce sont des professionnels. Ils ont déjà fait des super résultats dans leur carrière.
« SUR LES CHAMPIONNATS, ON N’A PAS VU GRAND-CHOSE… »
On imagine que la sélection de plusieurs coureurs était actée depuis (très) longtemps. Comment la décision finale a-t-elle été prise pour les dernières places vacantes ?
On ne s'était pas interdit la possibilité de mettre un coureur comme Stanislaw Aniolkowski pour les sprints aussi, alors que Paul Ourselin est remplaçant. Mais à un moment donné, quand on a des garanties de la part de Bryan (Coquard) et d'Alexis (Renard), ce n'est pas intelligent de mettre un sprinteur supplémentaire. Il faut garder une ligne. On sait qu'on aura des arrivées qui seront un peu plus punchy. Ça concernera plus Bryan. Quand c'est vraiment un truc où ça frotte et qu'il faut rouler à 75 km/h, on a peut-être plus intérêt à privilégier Alexis. Il ne faut pas se disperser. Il faudra se dire : “Aujourd'hui, on joue cette carte-là”. On le mettra dans les meilleures dispositions et on essaiera de faire le meilleur résultat possible.
Cette sélection, est-ce celle de l’ensemble du staff ou des choix personnels que tu as fait en tant que manager ?
Ce n’est pas moi tout seul, non. On avait déjà la certitude de cinq noms depuis plusieurs semaines : Alex Aranburu, Bryan Coquard, Benjamin Thomas, Alexis Renard et Emanuel Buchmann. Pour ces cinq là, c’était acquis. Pour les autres, on voulait voir ce qu’il allait se passer sur les Championnats nationaux mais finalement, on n’a pas eu d’enseignements sur ces Championnats, on n’a pas vu grand-chose… Alors on s’est fié à nos sentiments perso et aux chiffres que les coureurs peuvent développer en course et à l’entraînement. On pense aussi à l’expérience. Des gars comme Ion Izaguirre ou Dylan Teuns, on ne peut pas s’en passer si, en face, on n’a pas des coureurs capables de jouer la gagne. Évidemment que si Paul Ourselin était devenu Champion de France, il aurait été au départ du Tour. C’était encore ouvert. Mais on ne s’est pas retrouvés dans cette situation-là. Pour compléter cet effectif, on avait besoin d’un coureur capable de rouler en tête de peloton, raison pour laquelle on a pris Damien (Touzé). Il aura la responsabilité de replacer Bryan Coquard et Alexis Renard devant. Voilà comment on a complété l'effectif, en concertation avec la direction sportive, avec la performance et avec le médical.
L’équipe Cofidis risque la relégation en ProTeam. Dans quel état d’esprit es-tu à l’instant-T, avant le départ de la plus grosse course au monde ?
On reste sur cette position de vouloir terminer dans le Top 18. Quand on regarde l'effectif, il a quand même une belle gueule. C'est un effectif qui est légitime en première division. On a recruté pour ça. On n'a pas trouvé notre plein régime pour l'instant, depuis le début de saison. Ça me laisse l'espoir, parce que tu ne peux pas être à 100% de la première course, jusqu'au Tour de Lombardie, c'est impossible. Je me dis que toute l'énergie qu'on n'a pas dépensée au printemps, on va la mettre ici, pendant le Tour de France. Ce qui va être important, c'est l'après-Tour de France aussi, jusqu'à Guangxi. Ce sera primordial. Maintenant, ça ne doit pas nous empêcher de faire un super Tour de France. Le Tour, c’est aussi une question de prestige.
« JE NE M’IMAGINE PAS TROP JOUER EN DEUXIÈME DIVISION »
Le nouveau règlement va permettre aux trois meilleures ProTeams de disputer les trois Grands Tours à partir de l’an prochain, au lieu de deux actuellement. Est-ce que ce type d’évolution permettrait de relativiser une descente ?
Non, je n'envisage pas la situation où on se dit qu'on n'est plus capable d'être en WorldTour. Depuis que je suis arrivé dans le vélo en 1994, j'ai toujours été en première division dans ma carrière de coureur. Quand j'ai intégré Cofidis en 2017 en tant que manager, l’équipe était en deuxième division, mais avec l'objectif de remonter en première division, justement. C’est ce qui m’a motivé. Je ne m'imagine pas trop jouer en deuxième division car j'ai toujours été habitué à côtoyer le top niveau. Ça tirerait tout vers le bas. À la fois le sportif, les coureurs, les participations aux courses, les partenaires, etc. Quand on est habitué à un certain standing, et l’UCI WorldTour en est un, et on ne peut pas le lâcher.
Tu ne vois donc aucun potentiel “avantage” à évoluer en deuxième division, comme celui de pouvoir faire l’impasse sur certaines épreuves ?
On veut rester en WorldTour. Il ne faut pas faire une fatalité de l’histoire des budgets. Rien ne dit que certaines équipes qui ont 50 millions d'euros de budget aujourd'hui vont continuer l'aventure pendant 29 ans comme l’a fait Cofidis. On l'a vu avec Oleg Tinkov, par exemple. Je pense que INEOS s'est “sauvé” grâce au renfort de TotalEnergies, sinon, ils ne seraient peut-être plus dans le circuit. Q36.5, aujourd'hui, ne repose que sur un seul homme, Ivan Glasenberg. Si demain, il décide d’arrêter d’investir dans le vélo, comme Tinkov, c’est une équipe supplémentaire qui disparaît. Cofidis ne s'est pas lancé dans le vélo avec cette idée de faire de l'argent avec son équipe cycliste, contrairement à d’autres. C'est un peu la philosophie de One Cycling. Ils essaient de générer des revenus, ce qui peut être légitime, mais ce n'est pas l'esprit avec lequel Cofidis vient dans l'équipe cycliste. Sinon, on serait aussi adhérents à One Cycling, mais on ne l’est pas. L'équipe, c'est la vitrine de l'entreprise, ça véhicule les valeurs de l'entreprise, ça fait la promotion de l'entreprise et ça s'arrête là. L'entreprise fait le reste derrière. C'est l'entreprise qui est censée, elle, devenir rentable. On ne cherche pas forcément à faire de notre équipe une entreprise rentable, on a une mission sportive. On ne veut pas devenir le Louis Vuitton du cyclisme. Il y a quelques équipes qui veulent devenir le LVMH du cyclisme, nous, ce n'est pas notre finalité.
Que ferais-tu, personnellement, si l’équipe descendait ? Serais-tu encore en poste ?
Aujourd'hui, je ne me suis même pas posé cette question. Je mets toute mon énergie, je pousse mes équipes, staff, performance, direction sportive… Sur le papier, on a statistiquement les moyens d'être en WorldTour l’année prochaine. S'il y a une mauvaise nouvelle qui devait arriver le 19 octobre, au lendemain de Guangxi, je me mettrai sur une table et je réfléchirai. Honnêtement, le travail qui a été fait depuis 2017 montre qu'on n'a fait que monter, et monter encore. C'est vrai qu'on arrive dans un contexte de concurrence élevée. Encore une fois, je pourrais dire qu'on n'a pas les moyens de rivaliser parce qu'on n'a pas de bons coureurs, et on jetterait l’éponge, mais ce n'est pas le cas. On a quand même Alex Aranburu, que plein d'équipes voulaient. On a Benjamin Thomas, que des équipes veulent. On a Bryan Coquard, Dylan Teuns… Ce sont des coureurs qui, aujourd'hui, sont aussi convoités par d'autres équipes et qu'on a réussi à séduire. Maintenant, c'est à eux de répondre sur le terrain. J'imagine que les coureurs aussi veulent rester en WorldTour.
« JE NE SUIS PAS UN MAGICIEN »
Le 31 mars dernier, lors d’un “Bistrot Vélo” sur Eurosport, tu ne te montrais pas particulièrement inquiet de la situation du classement mondial. Depuis, le manager d’XDS Astana, un certain Alexandre Vinokourov, s’est gentiment amusé de ce discours dans cette même émission de débats…
Honnêtement, on ne pouvait pas imaginer en début de saison que XDS-Astana allait faire cette saison-ci. Si on enlève Astana du match, on est en WorldTour aujourd'hui. C'est vraiment eux qui viennent jouer les trouble-fêtes. Ils nous ont repris 5000 points depuis le début de saison, ce qui est incroyable ! Ce qu'Astana a fait cette année, on n'est pas capables de le faire. Je ne suis pas un magicien, je ne peux pas faire ça. Là, ça relève vraiment de l'exceptionnel. C’est l’invité surprise. Mais il y a encore match. Maintenant, s’ils continuent comme ça jusqu’en octobre, et qu’ils marquent autant de points qu’UAE, Visma et Lidl-Trek, il faudra s’incliner.
Tu doutes toujours qu’ils tiennent à ce rythme jusqu’en octobre…
Si Astana fait une saison normale, ils ne sont pas dans le Top 18. Et nous, on n'est pas 19e, on est 18e, donc, on est tranquille. Astana, c'est l'invité surprise. On va voir maintenant s'ils seront capables de tenir, oui, parce qu'il reste encore pas mal de points à prendre. Ils n'ont pas tant d'avance que ça sur nous, ils ont 600 points de marge. Il y a match. Après, s'ils continuent sur leur lancée et qu'ils font une saison proche de Lidl-Trek, UAE ou Visma, évidemment, on sera obligé de s'incliner.
Vous pouvez encore espérer, dans l’autre sens, dépasser Picnic-Post NL ou Intermarché-Wanty…
Picnic PostNL, ils sont de notre niveau. Et Intermarché-Wanty, ils ne sont pas beaucoup mieux que nous. Tout va dépendre de (Biniam) Girmay au Tour de France, parce qu'il a mis un paquet de points l’an dernier au Tour. Cette année, si Biniam Girmay échoue au Tour de France, ça va mettre Intermarché-Wanty en difficulté. Il faut aussi faire attention à Uno-X, parce qu’ils ont des coureurs solides. Aujourd'hui, rien n'est écrit. Ça veut dire qu'il faut se battre. Et on est là pour se battre. Il faudra être endurant jusqu'à la dernière course. Il y a beaucoup de coureurs qui, à un moment donné, vont avoir envie de baisser les bras. Les saisons sont longues et fatigantes. Et je pense notamment aux Astana. Ils sont en surrégime depuis février. Peut-être finiront-ils par retomber sur leurs standards de 2023-2024. À ce moment-là, ça peut être une équipe qu'on va chercher, même si la tendance, pour l'instant, est plutôt inverse. C'est un peu comme une action en bourse. Ils montent, ils montent, ils montent… Il y aura peut-être un krach boursier un jour, je l’espère (rires).
« MÊME SI ON SE SAUVE, LE PROBLÈME SE REPOSERA »
Vous n’avez pas l’impression d’être à votre place ?
Au terme des trois ans, on sera à la place qu'on mérite. Sur une année, tu as toujours des variables. Sur trois ans, c'est quand même le reflet de l'évolution naturelle d'une équipe. Mais encore une fois, je sors du lot Astana, parce que si on regarde sur trois ans, la courbe Astana s'est affolée. C'est la seule équipe dans ce cas. Toutes les autres équipes ont une progression plus ou moins logique, que ce soit vers le haut ou vers le bas.
La saison passée a compliqué la donne pour Cofidis…
Oui, 2024 était une mauvaise année pour nous et on le paie aujourd’hui. C’est vraiment ça, mais on ne peut plus y toucher… Immanquablement, sur un cycle de trois ans, il y a toujours une année où c'est un peu plus difficile.
En projection de la nouvelle période 2026-2028, et avec l’expérience acquise encore ces dernières saisons avec ce jeu des montées/descentes : que faudrait-il mettre en place pour espérer être moins en danger si vous parvenez à vous sauver ?
Pour être régulier, il faut encore élever le niveau sportif de l'équipe. C'est une obligation. Plus le niveau sportif de l'équipe est élevé, moins tu as de risques d'avoir une année de moins bien. Quand tout repose sur un coureur qui peut forcément connaître un moment un peu plus difficile, là, l'équipe plonge. Comme Lotto cette année avec Arnaud De Lie. Il est moins bien, et Lotto plonge. C’est la vie de toutes les équipes et on l'accepte. On avait déjà connu une saison difficile en 2020. C’était mieux en 2021, top en 2022, puis 2023 a été pas mal, 2024 mauvais. J’espère que 2025 sera la plus belle des cinq années en WorldTour. En tout cas, même si on se sauve, le problème se reposera pour les trois années suivantes. Il va falloir s’adapter à ce circuit.