La Grande Interview : Louis Pijourlet

Crédit photo Jean-Michel Ruscitto, Julie Desanlis,

Crédit photo Jean-Michel Ruscitto, Julie Desanlis,

Allevard : la ville iséroise de quelques milliers d’habitants, équidistante entre Chambéry et Grenoble, est le fief de la famille Pijourlet. Le papa Thierry d’abord, ancien coureur de bon niveau régional. La maman Mireille ensuite, psychologue de profession. Puis l’aîné Jules, pistard et routier, vainqueur du Tour des Deux-Sèvres en 2015, qui a arrêté la compétition depuis. Et enfin Louis. Solide coureur du CR4C Roanne, actuel stagiaire au sein de la formation Roubaix-Lille Métropole, le coureur de 21 ans caresse du bout des doigts son rêve de devenir coureur cycliste professionnel, lui qui étudie la psychologie en parallèle de sa pratique du sport cycliste. Un passage chez les pros qui le verrait récompensé de ses vieux sacrifices, comme celui d'avoir quitté le domicile familial dès ses années lycée. Logé en famille d’accueil lors de son passage au Chambéry CC ou quand il courait au Team Vulco-VC de Vaulx-en-Velin, il partageait durant les deux dernières saisons l’appartement du club du CR4C à Roanne. « Avec mes études de psychologie à Lyon et la vie à Roanne, les déplacements sur les courses, la piste... ça ne me laisse que peu de temps, mais dès que je le peux, je rentre à Allevard pour passer un maximum de temps auprès de mes proches ». Louis Pijourlet doit beaucoup à sa famille et notamment à son frère, qui a su le motiver lorsqu'il considère en avoir eu le plus besoin. « Mon frère m'a admirablement conseillé », lâche-t-il, comme pour lui rendre hommage.

DirectVelo : Tu suis actuellement des études en psychologie : c'est une passion ?
Louis Pijourlet : Une passion, je ne sais pas, mais c’est une discipline qui m’intéresse énormément. Ce n’est pas très simple car la faculté ne m’offre aucune adaptation relative à mon calendrier de courses ou à mes entraînements. Du coup pour le moment, je galère un peu en L3. Mais je vais y arriver ! Jusqu'à présent, j’ai toujours privilégié le cyclisme quand il y avait un choix à faire, pour me laisser un maximum de chances pour la suite dans ce sport.

La psychologie tient-elle un rôle important dans ton activité de coureur cycliste ?
S'il ne s'agissait que d’obtenir un diplôme universitaire, j’aurais choisi une filière plus adaptée à mes activités sportives. Mon souhait à long terme est de pouvoir faire coïncider le cyclisme de haut-niveau et la psychologie. La psychologie du sport est encore balbutiante en France mais c’est vraiment ce métier que je vise pour ma reconversion. Aujourd’hui, le titre professionnel n’est pas encore protégé. On peut se déclarer psychologue du sport en ayant un cursus STAPS mais sans jamais avoir suivi une heure de cours de psycho. Sans doute qu’à ce niveau, les choses vont évoluer dans les années qui viennent. Mon ambition est de pousser ma formation jusqu’au titre de psychologue clinicien pour ensuite m’orienter vers un public exclusivement de sportifs de haut-niveau et si possible issu du monde cycliste. Il y a déjà des psychologues du sport au sein de certaines équipes de France ou à l’INSEP par exemple. C’est ce rôle qui m’intéresse, rôle qui va au-delà du coaching en s’intéressant surtout aux aspects cliniques.

Cette relative absence de psychologues du sport au sein des équipes cyclistes amateurs a-t-elle une quelconque influence selon toi ?
Oui et pour moi même en premier lieu. J’ai réfléchi assez souvent à ce qui m'avait emmené à faire du vélo en pré-licencié ou en Poussins : je voulais faire comme mon grand frère. Symboliquement, je cherchais probablement à faire plaisir à mon père, passionné de vélo. Tout cela constitue un schéma assez classique mais on s'interroge. Quand tu es ado, tu dois faire des choix. Le vélo, la médecine, les deux ? Je me suis demandé si j'aimais assez le vélo pour y consacrer énormément de temps. C’est typiquement le type de situations autour desquelles un psychologue du sport peut aider : faire émerger les raisons profondes d’une implication pour faire des bons choix de vie.

Tu as essayé de suivre le chemin tracé par ton père, qui avait lui-même concilié le cyclisme et les études ?
Il a été coureur de bon niveau à une époque où suivre à la fois un parcours sportif et des études supérieures n’était pas simple. Il a plutôt privilégié le volet études. Étant licencié au club de Pontcharra, quand le club a ouvert une école de vélo, nous y sommes allés mon frère et moi.

Toujours psychologiquement, penses-tu avoir - consciemment ou inconsciemment - fait du vélo pour faire plaisir à ton père, et choisi d'étudier la psychologie pour rendre fière ta mère dont c'est la profession ?
Je sais que mon père serait fou de joie si je devenais coureur professionnel mais je sais également, et j’ai pu le vérifier lorsque Jules a arrêté le vélo, que l’important n’est pas là à ses yeux. Sans doute que cela m’a rassuré pour la suite : je sais que le passage pro ou non ne conditionnera ni l’amour ni la fierté qu’il nous portent. Quant à ma mère et la psychologie... Un adage dit qu’on ne va jamais en psycho par hasard. Ça semble se vérifier (rires). Plus sérieusement, mon choix numéro un était de faire médecine mais j'ai considéré que c'était incompatible avec la pratique du cyclisme à haut-niveau. Or à l’époque comme toujours aujourd’hui, je voulais vraiment jouer à fond la carte vélo et me donner toutes les chances d'y percer. Entre les questions existentielles que je me posais lors du choix pour le post-bac et le fait que ce soit le métier de ma mère, je pense qu’un psy pourrait s’en donner à cœur joie et proposer à coups sûrs diverses interprétations intéressantes.

« Il M'A DIT D'ASSUMER SES AMBITIONS ET SURTOUT SE DONNER LES MOYENS D’Y PARVENIR »

Tu as rarement croisé ton grand-frère sur les courses mais il a été ton directeur sportif sur certaines épreuves lorsque tu étais à Vaulx-en-Velin, notamment sur le chrono des Herbiers...
C’est un super souvenir. Avoir été en situation de course à ses côtés reste vraiment un très bon moment d’autant que je considère qu’avec mon entraîneur (Mickaël Buffaz), c’est sans doute la personne la plus importante pour moi dans le monde cycliste. Importante au sens déterminante, tant il a fait basculer plusieurs fois ma carrière.

En quelles occasions ?
Quand je me posais des questions sur ma pratique du vélo, sur le choix de faire médecine ou non... Il m’a admirablement conseillé lorsque j’étais Junior 2. Je me souviens encore de notre discussion lors d’une sortie d’entraînement. Je me souviens exactement des routes qu’on avait empruntées ce jour-là. D’une certaine manière, je commence seulement à vraiment comprendre ce qu’il m’avait dit alors. En substance, il avait su trouver les mots pour m’expliquer que si je n’évoluais pas psychologiquement, je deviendrais un bon coureur Élite mais certainement pas pro. Qu’il fallait assumer ses ambitions et surtout se donner les moyens d’y parvenir. Sans doute qu’à l’époque, je n’en faisais pas assez sur et en dehors du vélo.

C'est la discussion la plus importante que tu aies eu avec lui ?
Il y en a eu une autre tout aussi déterminante sur un coin de parking, cette saison. Il m’a dit un peu mes quatre vérités. Je pense que je n’assumais pas encore mes ambitions de passer pro et il m’a aidé à nouveau à me donner les moyens d’y arriver et ça a débloqué quelque chose peu après. Dès le mois de juin, je me suis mis à bien marcher alors que les résultats n’étaient pas top depuis le début d'année.

As-tu eu ce type de conversations avec ton père également ?
Oui mais plus rarement. Sans doute également que ce genre de choses est plus difficile à entendre et à accepter quand c’est mon père qui les dit. Je pense également que mon frère a régulièrement été un relais de ce que mon père voulait me faire passer. On est très proches mon frère et moi et il sait trouver les bons mots pour me faire avancer. Jules me connaît très bien, connaît très bien mon entourage et a vécu des choses similaires aux miennes et il sait me faire bénéficier de son expérience.

« ON NOUS SURNOMMAIT LES DUPOND ET DUPONT »

Tu sembles faire partie d'une famille au sein de laquelle les liens sont très fusionnels, notamment avec ton frère...
Sur l’aspect fusionnel, je sais que quand on était à Vaulx-en-Velin, on nous surnommait les « Dupond et Dupont » (rires). Peut-être par le fait d’une ressemblance physique mais j’imagine aussi par le fait d’une similarité au niveau du caractère. En tout cas, on me renvoie souvent et encore aujourd’hui à mon frère.

Ce lien très fort, il est seulement agréable ou il peut également être pesant parfois ?
Deux ans après l’arrêt de Jules, j’ai le sentiment d’avoir du mal à me faire un prénom parfois. Donc oui, ce peut être un peu pesant. Il a marqué les esprits je pense, par ailleurs nous étions souvent ensemble et effectivement très proches. En tout cas il y a souvent confusion.

On vous confond ?

Oui ! Si la personne en question a côtoyé Jules, qu’ils se connaissent, ça peut presque me faire plaisir. En tout cas je comprends. Quand manifestement ce sont des gens qui n’ont pas connu mon frère sur le vélo, ça m’étonne voire ça m’agace un peu. En tout cas, je suis très fier de mon frère et le fait qu’on m’associe à lui est plutôt une forme de compliment à son égard.

Où et comment t'imagines-tu dans cinq ans, dans tes plus beaux rêves ?
Si je pouvais choisir, je serais un coureur professionnel qui a disputé le Tour de France et les Jeux Olympiques... On aurait remporté la poursuite par équipes (rires). J’aurais décroché mon Master de psycho également. Je chercherais donc à me faire un réseau pour mon après-carrière pour préparer mon activité de psychologue du sport. J’espère aussi que nos chemins, mon frère et moi, se croiseraient. Il vient de signer pour gérer l’organisation de l’ultra-trail du Mont Blanc ce qui est en plein dans sa grande passion « sport et montagne ». Si je pouvais choisir, l'ultra-trail se serait encore développé. C'est un sport avec un fort besoin de psychologie du sport et on travaillerait peut-être ensemble, avec mon frère.

« LA PISTE M’AIDE À AVOIR DE L’AUDACE ET À CROIRE EN MA CHANCE »

Tu as mentionné la piste. Au niveau mental, c'est une discipline qui t'a apporté quelque chose pour la route ?
C’est une discipline hyper exigeante au niveau de la gestion de la pression. Au départ d’une poursuite, quand tout le vélodrome se tait, qu’il y a les caméras etc. il ne faut pas se planter. Je me suis déjà dit à moi-même sur route, sur des situations données : « Ce n’est pas pire qu’un départ sur piste ». Et ça m’aide à avoir de l’audace et à croire en ma chance. Sur les aspects plus fonciers, je pense que j’ai mis une année de plus à atteindre un certain niveau du fait de la piste, mais grâce à cette discipline, je suis probablement arrivé plus haut aujourd'hui.

Tu es souvent aux quatre coins de la France sur les routes. Comment vis-tu la séparation avec tes proches ?
C'est vrai que je ne vois plus ma famille très souvent. Au début, cela a été difficile notamment pour ma Maman. Avec le cyclisme, mon frère et moi sommes partis de la maison dès le lycée, donc très tôt. Elle m’a apporté beaucoup de soutien surtout quand les résultats n’étaient pas forcément là. Elle a une vision sans doute moins cycliste et plus objective sur la vie elle-même, ce qui m’a permis de prendre du recul sur ce que je fais dans le vélo. Je comprends maintenant que ça a été une source de culpabilité pour moi et j’ai mis du temps à en faire une source de motivation.

Une source de motivation : dans quel sens ?
Quitte à être éloigné des personnes qui t’aiment et que tu aimes, ce qui est forcément source de souffrance et de frustration de part et d’autre, autant que ça vaille le coup. Et ça vaut le coup si les résultats sont là. Si le succès est au rendez-vous, ça justifie de faire des sacrifices et de passer moins de temps avec ses proches. C’est valable également pour les grands-parents, les oncles et tantes et les cousins/cousines. Il y a un regret commun de ne pas passer plus de temps ensemble. Quand on est un jeune coureur, on peut se demander si tout cela vaut le coup. J’ai dû me poser ce genre de questions par le passé.

Toute la famille, au sens large du terme, suit ta progression sur deux roues ?
Globalement je crois que tout le monde est à bloc (rires). Mon oncle qui est cycliste et mon grand-père paternel s’appellent chaque soir de course pour refaire le match (rires). C’est peut-être un peu trop mais ça fait chaud au cœur. Je me souviens des larmes de mon grand-père maternel, très, très éloigné du monde du vélo, lors de ma première victoire (NDLR : lors d’un Championnat Rhône-Alpes sur piste). Il n’est plus là aujourd’hui mais ce moment symbolise pour moi la bienveillance de mes proches quant à mes choix dans le cyclisme, connaissance du milieu ou non.

Et si on oublie le vélo et la psychologie, alors ?
Il ne reste pas grand-chose (rires) ! C’est vrai que ça prend toute la place. Mais j’essaie de lire un peu et j’aime le cinéma. Je rattrape aussi le temps perdu avec les proches et les copains. Et puis j'aime la montagne bien sûr, le ski et tous les sports de montagne... j'essaie d'en pratiquer dès que je le peux.

Encore un point commun avec ton frère...
Oui ! Cela dit, on y est né ! Quand on grandit en montagne, je crois que ça s’inscrit forcément comme une passion. Au moins autant que le vélo manifestement, pour mon frère et moi.

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