Classement UCI : Y’a-t-il un problème de barème ?

Crédit photo Zoé Soullard - DirectVelo

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En septembre dernier, l’UCI profitait des Championnats du Monde d’Innsbruck pour officialiser la mise en place d’une réforme du cyclisme professionnel. Parmi les nouveautés, un classement par équipes regroupant les formations des trois premières divisions mondiales et permettant - en fin de saison - aux deux meilleures structures de deuxième division d’être automatiquement invitées pour les trois Grands Tours lors de la saison suivante. Pour toutes les autres épreuves du WorldTour, ce sont mêmes les trois meilleures Continental Pro qui auront le droit d’y participer sans dépendre du bon vouloir des organisateurs (lire ici).
Mais alors, qu’en pensent les principaux intéressés ? Les formations de deuxième division mondiale ont-elles adapté leur effectif et leur calendrier 2019 en conséquence de cette réforme ? Comptent-elles mener une véritable “chasse aux points” tout au long de la saison ? Y’a-t-il un risque de voir des équipes se marquer en fin de saison ? Certains organisateurs peuvent-ils profiter - ou au contraire payer - ce nouveau système en terme de qualité de plateau ? Les équipes comptent-elles désigner des coureurs pour marquer un maximum de points, puisqu’à la fin de l’année, seuls les points des dix meilleurs « scoreurs » de chaque groupe sportif seront comptabilisés ? Le barème semble-t-il logique et cohérent ?
DirectVelo a pris le pouls du peloton, du côté des formations Arkéa-Samsic, Cofidis, Delko Marseille Provence, Total Direct Energie, Israël Cycling Academy, Vital Concept-B&B Hôtels et Wanty-Gobert.

LES ETAPES RAPPORTENT PEU

Tout au long de la saison, les points ramassés par les coureurs de formations Continental Pro vont s’avérer être d’une importance capitale. Si dans toutes les formations, on confirme jeter un oeil au classement (lire la première partie de ce dossier), certains admettent avoir encore du mal à s’y retrouver. A l’image de Lylian Lebreton. “Le souci du classement, c’est qu’il est roulant. J’ai donc le sentiment qu’il n’est pas encore de grande valeur, celui qui sort tous les lundis. Par exemple, sur le Grand Prix E3 ou le Tour des Flandres, on perd les points de Niki Terpstra, et c’est dur de s’y retrouver”, concède-t-il. “On essaie quand même d’avoir une idée précise de ce que peut donner le classement, mais ce n’est pas simple”.

Prenons un exemple pour expliquer ce classement roulant. Imaginons un coureur qui dispose d'un capital de 500 points. En 2018, il s'est classé 10e de Paris-Roubaix, soit un gain de 85 unités. Si dimanche prochain, il termine 12e de la "Pascale", son total va passer de 500 à 475 points car il perdra les 85 points de l'année passée et n'en rajoutera que 60 dans sa tirelire.

Le directeur sportif de l’équipe Total Direct Energie remet aussi en question le barème actuel instauré par l’UCI. “Les courses d’un jour rapportent bien plus de points, et c’est là que ça se joue. Je ne sais pas si c’est bien équilibré. Pour moi, il y a un problème avec le barème”, lance-t-il. “Je trouve qu’il y a malheureusement plein de choses qui ne sont pas logiques. Pour moi, les étapes des courses par étapes ne sont pas assez valorisées, par rapport à un classement général ou à une course d’un jour. Une victoire d’étape sur Paris-Nice ou sur Tirreno-Adriatico rapporte à peine plus de points qu’une victoire sur Paris-Troyes, en Classe 2. Je ne sais pas si c’est une bonne chose… Il faudrait peut-être également attribuer moins de points sur les courses exotiques, où le plateau est moins relevé”. Mais ce niveau pourrait lui aussi progresser si plusieurs Conti Pro font le déplacement pour dénicher ces fameux points.

Directeur sportif d’Arkéa-Samsic, Roger Tréhin a fait le même constat.
On s'aperçoit que les courses d'un jour sont très importantes, et que le classement général d'une course par étapes ne rapporte pas plus de points qu'une course d'un jour. Les étapes rapportent peu. Le problème, c’est que l’on peut avoir gagné beaucoup de courses sans marquer trop de points, si ce ne sont que des étapes. Je ne suis pas certain que ce soit une bonne chose”.

L'ÉQUIPE WANTY EN FRANCE POUR LES POINTS ?

Le manager de Vital Concept-B&B Hôtels, Jérôme Pineau, va plus loin : Je pense beaucoup aux organisateurs français. On a plein de belles Classe 1 qui risquent d'être délaissées par des équipes qui iront disputer des épreuves Hors-Classe à l'autre bout du Monde, car elles rapportent plus de points UCI”, regrette celui qui tient à donner un exemple très concret. “Début février, on était à l’Etoile de Bessèges puis au Tour La Provence, avec un très bon niveau et une concurrence élevée. Franchement, si je décide de ne penser qu’aux points, l'année prochaine, je change de stratégie et je mets tous mes meilleurs coureurs au Challenge de Majorque ! Car là-bas, c’est considéré comme une course d’un jour sur chaque manche, et ça rapporte énormément plus de points qu’une victoire d’étape à Bessèges”. Voilà donc toute la problématique de ce problème. Un véritable casse-tête pour les managers. “Gagner à Majorque, ça fait 120 points. Gagner une étape à Bessèges, c'est 14 points ! Vous vous rendez compte de la différence ? Qu'est-ce qui est le mieux ? Faire des points à Majorque. Oui, mais on est Français, et nos sponsors sont français… Alors tant pis, je ne vais pas délaisser notre beau calendrier français”. La balle est donc dans le camp des organisateurs qui peuvent aussi changer de formule. A sa création, l'Etoile de Bessèges, par exemple, était une succession de courses d'un jour, sans classement général au temps.

Du côté de l’équipe belge Wanty, on contredit la désaffection supposée pour les courses françaises. Le groupe sportif admet disputer certaines épreuves, notamment en France, pour tenter d’y marquer de gros points. “On aime bien venir sur des épreuves de la Coupe de France, entre autres, car le niveau y est moins relevé que sur d’autres compétitions et on peut, entre guillemets, plus facilement essayer marquer des points”, admet Jean-Marc Rossignon. Parmi les épreuves intéressantes pour « scorer », il cite notamment le GP La Marseillaise, les Boucles Drôme-Ardèche, le Grand Prix de Denain, l’actuel Circuit de la Sarthe, Paris-Camembert ou encore le Tro Bro Leon. “Cela ne veut pas dire que l’on a la prétention d’être sûr d’y faire des résultats. C’est simplement que l’on a l’espoir d’y marquer de bons points et surtout de gagner des courses”, tient-il à préciser. 

LES COURSES WORLDTOUR POUR LE PRESTIGE, LES “CLASSE 1” POUR LES POINTS

Les meilleures formations de deuxième division mondiale affrontent également un autre dilemme, tout au long de la saison. Celles-ci sont régulièrement invitées à des épreuves WorldTour. Des courses sur lesquelles elles ont plus de mal à obtenir des résultats, et donc à marquer de gros points. Alors, que faire ? “C’est un honneur de disputer des courses WorldTour comme Tirreno-Adriatico ou Milan-San Remo, mais on a forcément du mal à y marquer des points. On doit jongler en permanence au niveau du calendrier. On fait l’effort pour essayer d’atteindre notre objectif. On a signé pour ça. Alors on profite d’être invités sur certaines des plus belles courses, et on se rend aussi sur des courses moins prestigieuses pour essayer d’y assurer des résultats”, résume Lionel Marie, pour Israël Cycling Academy.

“Être au le Tour de France, c’est extraordinaire. Disputer des courses comme le Tour des Flandres, Paris-Roubaix ou le Critérium du Dauphiné est magnifique. Mais si on parle du classement UCI, ce n’est pas trahir un secret de dire que ce n’est pas sur ces courses-là que les plus gros points vont se chercher pour une équipe comme la nôtre”, insiste Jean-Marc Rossignon. “Ca reste compliqué de performer et d’aller gratter des points sur les courses WorldTour, mais c’est évident qu’on veut y être. A côté de ça, il nous faut forcément un deuxième voire un troisième front pour essayer de marquer des points sur des courses de moindre importance”. L’effet boule de neige se poursuit alors, notamment du côté des organisateurs et des invitations, selon le directeur sportif de la Wanty-Gobert. “Je pense que c’est bien pour certains organisateurs car ils ont un plus grand nombre de sollicitations de Conti Pro. Par contre, ça devient encore plus dur pour des équipes comme Roubaix ou Auber, peut-être, en terme d’invitations ? Il n’y a pas de places pour tout le monde”.

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