La Grande Interview : Nicolas Roux

Crédit photo Zoé Soullard - DirectVelo

Crédit photo Zoé Soullard - DirectVelo

Le 27 octobre dernier, Nicolas Roux, son staff et une partie de ses coureurs se sont rendus à Courbevoie (Hauts-de-Seine), pour recevoir le trophée de vainqueur du classement par équipes du Challenge BBB-DirectVelo 2018. Un véritable accomplissement pour le patron de l’équipe. Mon but initial, c’était simplement de prouver que c’était possible, cette équipe cycliste. Et maintenant que j’ai montré que c’était possible, que l’on a remporté le Challenge DirectVelo, que peut-il arriver de mieux ?”. Nicolas Roux s’interroge. Car lorsqu’il a, en 2012, décidé de monter sa propre structure cycliste - financée par sa société de promotion immobilière -, jamais sans doute aurait-il pu imaginer devenir, six ans plus tard, la meilleure formation du peloton amateur, à laquelle on demande d’ailleurs si elle n’a pas l’intention d’évoluer chez les pros. Question balayée d’un revers de main. “J’espère ne pas avoir encore atteint un état de mégalomanie. On est une équipe amateur qui essaie de faire progresser les Auvergnats”. Point à la ligne. Mais alors, quel avenir pour Nicolas Roux et ses troupes dans le décor du cyclisme hexagonal ? Considère-t-il avoir fait le tour de la question ? Est-il motivé par de nouveaux challenges ? Le patron du Team Pro Immo, basé à Cournon-d'Auvergne (Puy-de-Dôme), retrace son parcours pour DirectVelo.

DirectVelo : Certains l’ignorent mais tu baignes dans le monde du cyclisme depuis ton adolescence…
Nicolas Roux : J’ai 56 ans et cela fait une quarantaine d’années que je suis dans le monde du vélo puisque j’ai moi-même fait de la compétition à partir des rangs Juniors. Je courais à l’AC Clermontoise. J’ai gagné le Championnat d’Auvergne devant Jean-Philippe Duracka (actuel directeur sportif du Team Pro Immo, NDLR), qui était déjà une vedette régionale, et c’est comme ça que je l’ai véritablement connu. Avant ça, j’ai gagné quelques montées chronométrées mais rien de plus. J’ai remporté six ou sept courses en J1 puis en J2, j’ai gagné quatorze-quinze courses sur la vingtaine d’épreuves que j’ai faites. Par la suite, j’ai continué à remporter quelques courses en Séniors, notamment un nouveau Championnat régional, lors duquel j’avais réglé dans un sprint à deux un certain Yves Bonnamour, qui était passé pro peu après (chez S.E.F.B-Tonissteiner-Peugeot, en 1988, NDLR). Il y avait quelques costauds à l’époque. Outre Duracka ou Bonnamour, je pense aussi à Jean Daffis, à Patrick Jérémie ou encore à Claude Séguy.

Tout cela semblait très prometteur…
J’ai un grand oncle qui s’appelle Raphaël Géminiani (ancien équipier de Coppi au Tour d’Italie et de Bobet au Tour de France, passé tout près de la victoire au Tour 1958, et directeur sportif de Jacques Anquetil, NDLR), et à l’époque où il était directeur sportif dans l’équipe Fiat d’Eddy Merckx, il m’avait dit : “si tu continues comme ça, tu pourras peut-être passer pro…”. J’avais également eu une autre proposition mais bon, j’avais déjà l’immobilier en parallèle, puisque je m’y suis mis à 20 ans. Je me souviens d’une phrase du frère Géminiani, qui m’avait dit : “tu étais le grand espoir de l’Auvergne et maintenant, tu es le désespoir de l’Auvergne, je ne comprends pas...” (rires). Mais encore une fois, j’avais d’autres projets et il y avait aussi certaines petites choses qui ne me plaisaient pas forcément dans le vélo. J’avais des plans à côté et en plus, je venais d’avoir mon Bac et j’avais fini l’Armée. Donc j’étais prêt pour partir sur toute autre chose.

En gardant toujours à l’esprit tes années sur le vélo ?
Oui car le vélo est un très beau sport, et une très belle école de la vie. Je me souviendrai toute ma vie d’une course qui se terminait à Pau et où l’on montait le Col de l’Aubisque. J’ai eu un coup de moins bien dans l’Aubisque, alors que j’étais dans le groupe de  tête. Après la course, je me suis dit qu’en terme de dépassement de soi, c’était la pire souffrance que je puisse connaître. J’étais allé au bout de moi-même. Et ce jour-là, je m’étais dit que peu importe le boulot que j’allais faire plus tard, il ne faudrait pas oublier que ça serait bien moins dur que ça. Le but n’est pas d’être masochiste ou de partir dans des thèses sur le dépassement de soi du cycliste, mais je veux simplement dire que c’est utile dans la vie de tous les jours.

Tu as donc fait le choix de te lancer dans l’immobilier dès tes 20 ans…
J’étais salarié pendant un an puis je suis rapidement devenu indépendant, pour prendre mon envol. Je n’ai pas commencé en construisant un immeuble de 200 logements mais en louant un studio, puis en vendant un T2, pour apprendre, sans prendre trop de risques... C’est pareil en cyclisme et c’est ce que j’essaie de transmettre aux coureurs de l’équipe. Quand quelqu’un arrive dans le club, je lui dis : “ne commence pas à tout de suite vouloir être le leader de l’équipe ! Sois sérieux, roule pour les copains, emmène le sprint à tes coéquipiers…”. Tu ne peux pas arriver et dire “hop hop hop, je suis le meilleur, poussez-vous”. Ça peut sembler tout bête, mais c’est essentiel.

Tu as, malgré tout, toujours conservé cette passion pour le cyclisme, jusqu’à participer à différents projets dans ce sport...
Je me suis lancé dans plusieurs projets à la fin des années 90 en effet, notamment à l’UC Aulnat, déjà avec Patrick Bulidon (actuel manager du Team Pro Immo, NDLR). Ce club est ensuite devenu le Team Besson, qui est même passé pro par la suite, en 1999. J’ai pris du recul pendant quelques années, avant que l’on organise un critérium pro à Cournon. C’était lors de la tournée d’adieux de Christophe Moreau. Mais j’ai vite eu envie de repartir sur mon projet initial, à savoir celui de réunir les meilleurs coureurs de la région auvergnate. Cela a toujours été dans l’ADN de mon projet.

C’est donc là qu’est né le Team Pro Immo Nicolas Roux en 2012…
Voilà. On a décidé de monter une DN3 avec le VC Cournon d’Auvergne. On était parti avec 70.000 euros de budget et le but, c’était de gagner le Championnat d’Auvergne et quelques courses en plus. Pour nos débuts, au Bédat, notre premier coureur a fait 25e, ou quelque chose comme ça (Boris Orlhac 27e, NDLR). Ensuite, à la Durtorccha, on termine loin également (Boris Orlhac 16e, Nicolas Chadefaux 22e, NDLR). J’ai regardé Patrick (Bulidon) et je lui ai dit : “putain Patrick, quand est-ce qu’on va gagner une course ?”. Il m’a répondu : “j’espère que tu ne crois pas qu’on va gagner dix courses cette année !”.

« CE N’EST PAS ARRIVÉ PAR HASARD »

Mais finalement, tout s’est bien passé lors des semaines et des mois qui ont suivi !
Oui et “malheureusement”, en fin de saison, les gars ont eu la drôle d’idée d’aller gagner la dernière manche de la Coupe de France DN3, et on s’est retrouvé à pouvoir monter en DN2 dès la fin de la première saison (rires). On s’est demandé ce qu’on allait faire. Cela impliquait d’avoir un directeur sportif salarié à plein temps et il fallait passer de 70.000 à 150.000 euros de budget ! On a recruté des garçons comme Lamiraud, ou Fournet-Fayard, et la saison en DN2 s’est encore bien passée… On a terminé 3e de la Coupe de France et là, on a appris sur DirectVelo que le VC Caladois ne souhaitait pas monter en DN1. Rebelotte ! On s’est regardé et on s’est dit : “Qu’est-ce qu’on fait ?”. Il fallait passer de 150.000 à 250.000 voire 300.000 euros de budget mais bon, pareil, je leur ai dit : “Les gars, des clubs auvergnats en DN1, il n’y ’en a pas eu des tonnes, on se le tente ?”. Et on s’est lancé !



A ce rythme-là, vous étiez partis pour être dans le WorldTour en 2016…
(Sourires). Ce n’est pas arrivé par hasard. On a beaucoup bossé. Mais en réalité, il n’y a jamais eu de plan prédéfinis. Les circonstances ont fait que nous avons pu monter de deux divisions en deux ans. Bien sûr que nous étions sérieux et que nous voulions gagner des courses, mais lorsque l’on est arrivé en DN3, on ne cherchait pas spécialement à monter comme ça. A vrai dire, quand j’ai eu l’idée de ce projet, je pensais que ça n’allait durer que deux ou trois saisons. Puis on a fini par avoir aussi de très bons résultats en DN1, en finissant tous les ans dans les premières places du Challenge DirectVelo. Mais toujours, et j’insiste là-dessus, avec la volonté d’avoir une identité auvergnate. C’est aussi pour cela que l’on a tenu à faire revenir dans la région, entre temps, des coureurs comme Sylvain Georges ou Pierre Bonnet, par exemple.

Avec le rêve de faire éclore le nouveau Julian Alaphilippe ou Romain Bardet, à savoir le prochain grand cycliste auvergnat du peloton ?
Evidemment ! On a déjà connu un petit peu ça avec Rémi Cavagna, qui a vite été repéré par Patrick Lefevere et la Quick-Step. On est très heureux d’avoir pu l’accompagner dans son projet et j’espère qu’il y aura d’autres exemples dans le futur.

On te sent très attaché à tes terres auvergnates !
J’en suis fier, oui. C’est capital, pour moi, d’avoir un club régional. D’ailleurs, à une époque, j’avais aussi envisagé que l’on fasse inscrire “Fiers d’être Auvergnats” sur le camion (sourires). Au-delà des coureurs, même dans le staff, on a toujours eu des Auvergnats, et le matériel était aussi emmené par de vieux potes de la région. Mais une fois que l’on a grimpé les échelons, il n’était plus raisonnable d’espérer avoir une DN1 compétitive avec uniquement des coureurs auvergnats.

Tu parlais à l’instant de l’ascension très rapide du Team Pro Immo dans le peloton amateur. Quelques années plus tard, voilà le club lauréat du Challenge BBB-DirectVelo par équipes. Et on te sait très fier de ce succès !
A l’époque, quand on courait contre le Chambéry CF ou le Vendée U, j’avais l’impression qu’on était à des années lumières d’eux. Et cette année, on termine devant ! Vous ne pouvez pas savoir comme c’est extraordinaire pour moi. Jamais, promis, je n’aurais pensé qu’on puisse y arriver. Gagner le Challenge BBB-DirectVelo était mon gros objectif de la saison. J’en parlais déjà à tous les coureurs depuis la préparation hivernale. Je voulais qu’ils soient prêts à aller chercher le moindre point sur la moindre course qu’ils disputaient. Faire 6e d’un sprint, c’était mieux que 7e. J’ai voulu qu’ils gardent ça en tête toute l’année. Pour moi, c’était vraiment plus important que la Coupe de France DN1.

En 2019, l’équipe va donc entamer sa huitième saison dans les pelotons. As-tu déjà été tenté de mettre un terme au projet ?
Ah mais bien sûr, c’est évident ! Au moins dix fois, vingt fois… Je ne compte pas faire ça encore vingt ans. D’ailleurs, il y a deux mois, j’aurais pu envoyer un petit SMS à tout le monde pour dire : “les gars, on a gagné le Challenge BBB-DirectVelo, c’est bon, on a été au bout du projet et on arrête”. Car si j’arrête, moi, personnellement, ça s’arrête. Là-dessus, il n’y a aucune ambiguïté.

« JE PRÉFÈRE ÊTRE UN GRAND CHEZ LES PETITS »

Car personne ne serait prêt à prendre le relais, ou en aurait la possibilité financière ?
J’essaie de motiver des copains, mais un engagement comme celui-là, c’est trop lourd. Mon but a toujours été de faire rêver les Auvergnats en montant une belle équipe. Maintenant, ça va faire huit ans. Je ne serai pas là en 2025, c’est sûr ! Ou alors, des copains auront pris le relais et ça ne s’appellera plus le Team Pro Immo. Parfois, oui, je pense à arrêter… Pour plein de raisons. J’ai une agence immobilière, j’ai une société de promotion immobilière, j’ai une vie de famille, deux enfants… En immobilier, tout n’est pas toujours simple. Il y a des périodes durant lesquelles je suis obligé de remettre des sous dans la boîte… Et parfois, je doute.

De quoi doutes-tu ?
De moi, de mes capacités… Quand je fais quelque chose, je doute, tout le temps. Par exemple, quand je me lance dans un immeuble, j’essaie toujours de me demander quelle “merde” il va bien pouvoir arriver. Mais il faut le faire, non ? Est-ce qu’il y a vraiment des mecs qui ne doutent jamais de rien et qui se disent les meilleurs du Monde ? Tu parles…

Le doute et la remise en question permettent de se mettre plus régulièrement à l’abri de certaines mésaventures…
C’est évident ! Moi ça m’apporte beaucoup. Mais ce n’est pas qu’une histoire de doute non plus. L’autre question, c’est : à quoi ça sert, au final, tout ça ? Mon but initial, c’était simplement de prouver que c’était possible, cette équipe cycliste. Et maintenant que j’ai montré que c’était possible, que l’on a remporté le Challenge DirectVelo, que peut-il arriver de mieux ? A l’inverse, on pourrait se casser la gueule.

Ou continuer de grandir, jusqu’à atteindre le monde professionnel ?
J’espère ne pas avoir encore atteint un état de mégalomanie. On est une équipe amateur qui essaie de faire progresser les Auvergnats. Bon, si demain, l’entreprise Michelin débarque avec une banque et pose trois millions d’euros sur la table, ce sera différent. On pourrait les aider et participer au projet pour propulser le cyclisme auvergnat au plus haut-niveau. Mais seul, avec le projet actuel, c’est juste impensable et irréalisable… Soyons sérieux.

Pourtant, d’un point de vue purement financier, le fossé ne semble pas colossal entre le Team Pro Immo Nicolas Roux et les formations de niveau Continental comme St-Michel-Auber 93 ou Roubaix-Lille Métropole…
Dans l’absolu, en mettant tous les sous sur la table, on pourrait faire l’effort et monter en Continental, pendant un an. Juste pour dire de. Mais ça voudrait dire quoi ? On va gagner quatre courses chez les pros et on sera les tout-petits chez les grands ? Je préfère être un grand chez les petits, dans ce cas précis. Pas pour mon cas personnel, mais car c’est quand même plus sympa de gagner 50 courses dans l’année et de faire rêver des coureurs. Et puis, on va me dire que j’ai pris la grosse tête, que je veux faire le Tour de France… Où sera la limite ? Il faut rester à sa place. J’ai plein de défauts mais par contre, j’ai la qualité d’être réaliste.

Réaliste et raisonnable, donc !
Que ce soit dans l’immobilier ou dans le cyclisme, quand je me lance dans une nouvelle année, c’est parce que je sais qu’on ira jusqu’au mois de décembre sereinement et qu’il n’y aura pas de risque d’exploser en plein vol au printemps. On n’a pas le droit de jouer avec la vie des gens, avec la carrière de certains coureurs. On ne peut pas faire rêver des coureurs puis briser ces mêmes rêves trois mois plus tard. Je m’interdis de prendre ce risque-là. En plus de ça, j’insiste, mais je ne veux pas oublier d’où nous sommes partis. Et aujourd’hui encore, on reste une toute petite structure, en réalité. On paie nos vélos, nos roues, notre essence… On paie tout. Au moins, comme ça, on n’a besoin de dire merci à personne.

« JE NE ME PLAINS PAS DU TOUT DE CETTE SITUATION »

Cette équipe cycliste est-elle rentable pour toi, aujourd’hui ? Y’a-t-il des retombées pour le secteur immobilier ?
Je ne suis pas dans des considérations de rentabilité. Tout ce que je peux dire, c’est que ça ne me coûte pas énormément d’argent. Un petit peu, mais ça me rapporte aussi à côté. Je n’ai jamais fait le bilan et je n’en ai rien à faire parce que je ne suis absolument pas là pour essayer de quantifier tout ça. Si on s’appelle Carrefour, Leclerc ou Renault, évidemment qu’il faut faire le nécessaire pour aligner les chiffres ! Mais là, à mon niveau, c’est difficile de calculer l’impact du cyclisme sur l’immobilier. Peut-être que ça représente deux ou trois immeubles vendus en plus, ou pas. Ce que je vois, c’est qu'aujourd'hui, on a une bonne image dans Clermont-Ferrand et lorsque je discute avec les copains du coin, ils me parlent plus de vélo que d’immobilier. C’est rigolo.

Arrives-tu à trouver le bon équilibre entre l’énergie et l’investissement que tu donnes à ton métier dans l’immobilier et à ton club de DN1 ?
Je pense, et je l’espère. Ce que je sais, c’est qu’aucun des douze salariés de ma petite structure ne m’a jamais reproché de donner plus d’argent au vélo qu’à eux, en me disant : “et moi, ma petite augmentation ?”. J’essaie toujours d’anticiper. Les coureurs cyclistes et les salariés se connaissent et c’est vachement sympa.

Tu disais il y a quelques instants que tu n’avais “besoin de dire merci à personne”... A qui ou quoi pensais-tu précisément ?
On est le club de DN1 qui touche le moins de subventions, et de loin ! Alors on n’attend pas que l’on nous donne de l’argent, mais on essaie plutôt de résoudre les problèmes et les équations par nous-mêmes. La ville de Cournon ne nous donne rien… C’est comme ça, alors on se démerde pour avancer. On a 35.000 euros du Conseil régional car c’est acté et gravé dans le marbre pour toutes les équipes de DN1. Le Conseil départemental ne nous donne pas beaucoup. Enfin, la mairie donnait quelque chose comme 4500 euros à l’année jusqu’ici et en 2019, ils ne donneront plus rien.

Tu le regrettes ?
Pas vraiment, en fait. Quelles sont les priorités d’une commune ? De veiller à ce que les jeunes aient de bons produits dans leurs assiettes, que les personnes âgées puissent être logées et soignées convenablement, ou que les coureurs cyclistes puissent aller s’amuser en traversant la France pour aller sur une course ? Les puissances publiques se doivent en effet d’aider les jeunes, les retraités, les handicapés… Si ensuite, un maire mégalo a envie de donner beaucoup d’argent à un club de vélo, à un club de tennis ou autre… Soit ! Mais ce n’est pas son argent, et il est passionné, alors il donne des subventions, en mode : “vous allez voir ce que vous allez voir avec le club de la commune…”.  D’accord Monsieur. Mais franchement, il y a tellement d’autres choses à faire avec cet argent, que je ne trouve pas que ce soit très bien.

Que proposes-tu ?
On devrait se contenter du sponsoring, du mécénat, de volontés de certaines structures privées d’aider via de la publicité ou autre… Mais le reste, bof bof. Des équipes montées de toutes pièces avec l’argent du contribuable, personnellement, je trouve ça moyen. Les équipes de marque, pour moi, c’est bien. Les entreprises investissent et c’est donnant-donnant avec aussi, bien sûr, les réductions d’impôts pour les entreprises. Dans le même temps, on aide les jeunes à se développer en tant que sportifs de haut-niveau. Autrement dit, je ne me plains pas du tout de cette situation.



A ton avis, quelle image a ton équipe auprès du reste du peloton amateur ?
Je pense que l’on est perçu comme un club sérieux, un club où il n’y a pas de magouilles ou de tricheries. Même si à l’époque de Sylvain Georges, on a dit de nous que l’on récupérait un dopé. Mais c’était un copain que je voyais se morfondre alors qu’il avait été prouvé qu’il n’avait pas voulu tricher. A ce moment-là, la réputation de l’équipe était moins importante que d’aider un pote qui était dans le malheur. Hormis ce cas précis, je pense que l’on est bien vu et que l’on considère que nous faisons du bon travail. Mais dans l’absolu, je m’en fous un peu. Je ne vais pas arriver sur une course avec une fausse moustache et un chapeau pour demander aux gens ce qu’ils pensent de Nicolas Roux…

« CE N’EST PAS DU FOOTBALL ! ON N’A JAMAIS DONNÉ DES SOMMES PHÉNOMÉNALES »

En 2019, l’équipe aura une réserve (lire ici)...
On fait au mieux mais il ne faut pas oublier que l’on est une toute petite structure et que l’on n’a pas le temps de tout faire. On n’a pas d’école de cyclisme pour former les jeunes. Le VCCA a quelques Cadets et Juniors, mais c’est tout. On n’a pas les moyens et le temps de développer cet ensemble. Malgré tout, on arrive, différemment, à faire passer des coureurs chez les pros tous les ans.

“Différemment” car vous n’attirez pas les Espoirs les plus prometteurs de l’Hexagone ?
Je ne suis pas le Chambéry CF, le Vendée U ou le CC Etupes. D’ailleurs, j’ai connu des dizaines de coureurs qui ont préféré signer dans ces équipes-là, pour le côté formation des jeunes, et pour être en lien direct avec Vincent Lavenu, Marc Madiot ou Jean-René Bernaudeau. Je comprends le choix de ces jeunes-là, et c’est ce que je leur dis toujours. Ces clubs sont faits pour aider les jeunes et c’est une bonne nouvelle pour le cyclisme.

Les équipes réserves se multiplient ces dernières années, en France comme à l’international. Or, la plupart des jeunes espoirs du peloton considèrent avoir plus de chances de passer pro en rejoignant l’une de ces formations. N’est-ce pas pénalisant pour une structure comme la tienne ?
Je suis entièrement d’accord sur l’analyse. Mais quand même ! Un Geoffrey Bouchard passe pro en venant du CR4C Roanne. Et il ne passe pas pro en Continental mais chez AG2R La Mondiale ! Ce n’est pas rien. Et puis, aux dernières nouvelles, on fait toujours passer régulièrement des coureurs chez les pros malgré tout. On verra bien ce que nous réserve l’avenir mais pour moi, ce n’est pas un problème.

A l’échelle du cyclisme amateur, l’équipe Pro Immo est réputée pour ses moyens financiers. Arrive-t-il que des coureurs te démarchent en demandant un salaire plus important qu’ailleurs ?
Déjà, quand je discute avec un coureur, c’est qu’il a préalablement échangé avec Jean-Philippe (Duracka) ou Patrick (Bulidon). Pour le reste, ce n’est pas du football ! On n’a jamais donné des sommes phénoménales aux coureurs pour être certains de les avoir chez nous.

C’est donc un fantasme ?
Faire venir des coureurs par l’argent ne m’intéresse pas du tout. Il ne faut pas fantasmer sur les sommes. Par exemple, lorsque Clément Carisey est arrivé au club, il avait à peu près la même somme que lorsqu’il était au CR4C Roanne. Lorsque Ronan Racault arrive, il a la même chose qu’à Peltrax également. On ne surpaie pas. En revanche, c’est vrai que l’on donne peut-être un peu plus en prime de victoires. Et surtout, je veux que les coureurs soient dans de bonnes conditions et a priori, ils ne sont pas malheureux chez nous. J’essaie toujours de me mettre à leur place et de leur offrir un minimum de confort. Je ne veux pas que l’un de mes coureurs soit dans l’incapacité de payer dix euros de McDo à sa copine un soir.

Comment les rôles sont-ils répartis au sein de l’équipe ? As-tu ton mot à dire sur le recrutement et sur les choix sportifs au cours de la saison ?
Il faut que chacun reste à sa place. Quand je vais suivre une course, je me mets à côté du directeur sportif, je regarde, et je ferme ma gueule. J’ai mon chrono, je note l’identité des coureurs échappés. Quand on me demande si le 8 ou le 23 est encore dans le groupe de tête, ça me permet de les aider. Pour le côté tactique, je les laisse gérer. Quand on me demande mon avis, je le donne, mais jamais je ne me permettrai d’intervenir dans la décision des directeurs sportifs. Chacun son rôle. On a un manager et c’est Patrick Bulidon. Il s’occupe de tout ce qui est relation, paperasse, coureurs etc. Ce n’est pas toujours évident. Jean-Philippe Duracka, il a gagné 400 courses. Je vais lui apprendre quoi dans son métier de directeur sportif ? Il est bien meilleur que moi. Pour le recrutement, on discute tous ensemble. C’est aussi une question de logistique, parfois. Il suffit qu’un coureur ait besoin d’un vélo en plus pour l’hiver pour que ça se fasse ou non, suivant nos possibilités. Même chose suivant qu’il reste ou non une place à la maison. Cela fait beaucoup de choses à gérer. Donc on peut dire que j’ai bien mon mot à dire sur le recrutement, mais pas du tout sur la façon dont se déroule la saison, sportivement parlant.

« HONORÉ D’AVOIR UN TOUT PETIT PEU CONTRIBUÉ À LEUR RÉUSSITE »

“A la maison” ?
J’ai restauré une maison que j’ai achetée il y a cinq-six ans. C’est une maison de trois étages, avec un petit parking, et il y a la possibilité de faire coucher sept à huit coureurs, avec trois salles de bain etc. Les coureurs viennent là quand ils le veulent. C’est chez eux. Ils ont leur lave-vaisselle, leur lave-linge… Je veux qu’ils s’y sentent bien. C’est aussi intéressant, pour certains, d’y venir la veille des courses. Puis ils partent ensemble sur l’épreuve en question.

On te sent très attaché aux valeurs de partage et de transmission…
Pour moi, réussir sa carrière professionnelle, ce n’est pas du “moi je, moi je et moi je”. Jusqu’à présent, j’ai eu la chance de réussir dans mes projets mais ce n’est pas pour autant que je ne veux pas en faire profiter les autres. J’aime mettre les autres en avant. Quand j’avais 20 ans, j’étais content d’avoir ma photo dans le journal. Aujourd’hui, je me mets à la place de nos coureurs, qui n’ont pas toujours confiance en eux et qui ont envie de réussir. Il faut mettre en valeur ces petits jeunes et essayer de les aider à se développer du mieux possible.

C’est aussi une question de confiance ?
C’est la base ! On ne signe pas des papiers sans arrêt, chez nous. On se dit des choses, et on les fait. Quand je donne ma parole, les gars peuvent être sûrs que je ne vais pas leur faire à l’envers par la suite. Je fais ce que j’ai promis. Après, c’est aussi à eux de faire leur part du boulot s’ils veulent réussir. Je ne peux pas pédaler à leur place. Mais quand la confiance est réciproque, en principe, ça marche bien. Et je pense que depuis 2012, les coureurs ont compris notre façon de fonctionner. Sans prétention aucune, je connais peu de coureurs qui sont partis fâchés du Team Pro Immo.

Tes coureurs, tu les aimes !
Bien sûr. Ils sont importants pour moi, comme pour le reste du staff. Quand Jean-Philippe (Duracka) part à l’autre bout de la France avec les coureurs et qu’il paie de son argent pour aller laver les cuissards de nos coureurs, il ne me demande rien. Et il me dit : “mais Nico, ce n’est pas un souci, ces coureurs, ce sont tous nos gosses quelque part”. On n’est pas là pour presser les coureurs, pour que ça nous apporte quelque chose. C’est à eux, que ça doit apporter quelque chose. Arrivé à mon âge, je ne suis pas là pour qu’on me fasse des panneaux en 4 par 3 avec écrit “Nicolas Roux, c’est le meilleur !”. Je n’en ai rien à foutre. Je veux simplement essayer de rendre au vélo et à la vie en général ce qu’ils m’ont apporté. Si ensuite, cela permet à des jeunes de franchir des caps dans la vie, alors je serai très honoré d’avoir un tout petit peu contribué à leur réussite. C’est tout, je n’ai pas besoin de plus.

De quoi rêves-tu pour l’équipe maintenant ?
Florent Pereira a fait 2e d’un Championnat de France Elites sur route derrière Clément Mary. Ce serait beau de gagner ce Championnat de France sur route, même si on l’a fait sur le chrono Espoirs avec Rémi Cavagna. Sinon, en réalité, je n’ai pas de rêve en particulier. Ce qui me faisait rêver, c’était DirectVelo. Avoir un tel Challenge, qui regroupe à la fois la petite course au fin fond du Limousin qui va rapporter 15 points, et la grosse Elite ou la manche de Coupe de France qui rapporte 100 points, et ce 300 jours dans l’année, c’est génial ! Mais je ne vous apprends rien, vous savez déjà à quel point j’apprécie ce Challenge BBB-DirectVelo. C’est le Challenge de la régularité. On l’a enfin gagné et ce sera franchement amusant de remettre notre titre en jeu l’an prochain.

Entre l’immobilier et l’équipe cycliste, de quoi es-tu le plus fier ?
C’est un tout. C’est la structure immobilière qui permet de faire vivre l’équipe de vélo. Et ce n’est en revanche pas l’équipe de vélo qui permet de faire vivre la société de promotion. Je suis très heureux de voir que l’on est un club vachement atypique, qui a réussi à développer une équipe année après année sans ne jamais mettre en péril la société Pro Immo. L’équipe de vélo arrêtera un jour ou l’autre alors que la société continuera d’une façon ou d’une autre. Dans les deux cas et les deux domaines, je suis fier du travail qui a été réalisé par l’ensemble des équipes. Je suis fier des deux différemment et dans les deux cas, je n’ai pas été déçu ou trahi. En même temps, on ne peut pas être déçu par des personnes que l’on connaît depuis 40 ans… Je les connais trop bien.



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