La Grande Interview : Sebastian Berwick

Crédit photo Zoé Soullard - DirectVelo

Crédit photo Zoé Soullard - DirectVelo

Partir à l’autre bout du monde, et espérer y accomplir ses rêves de gosse. Depuis quelques années, de plus en plus de coureurs des différents Continents viennent tenter leur chance en Europe, très jeunes, pour essayer d’y faire carrière. Parmi eux, de nombreux australiens débarquent très jeunes en Espagne, en Italie ou en France dans le but de découvrir les hauts-lieux du cyclisme, et de se faire repérer par les plus grandes structures mondiales. Comme elle a déjà eu l’occasion de le faire par le passé, la formation du Chambéry CF - antichambre d’AG2R La Mondiale - a décidé de donner sa chance à deux “Aussies” en 2018 : Thomas Jones et Sebastian Berwick, deux athlètes qui sortent tout juste des rangs Juniors. “Seb” Berwick a grandi dans une famille de cyclistes, dans le faubourg de Wishart, banlieue de Brisbane. Brillant à l’échelle nationale dès les plus jeunes catégories, le garçon a été foudroyé en plein envol à 14 ans, lorsqu’il est plongé dans le coma après une sévère chute lors de laquelle il se brise quinze os. Pas de quoi arrêter celui qui a depuis été sacré Champion continental contre-la-montre et sur route l’an passé, en Juniors, et qui a donc décidé de tenter sa chance du côté de la Savoie cette année. Comment vit-il l’éloignement de ses proches, comment s’adapte-t-il à sa nouvelle vie, dans un club où les différents coureurs cohabitent toute la saison, y compris en dehors des compétitions ? C’est la Grande Interview de la semaine.   

DirectVelo : Pourquoi as-tu décidé de tenter l’aventure en France ?
Sebastian Berwick : L’histoire du cyclisme s’est écrite en France et plus généralement en Europe. En Australie, la situation est incomparable et on ne peut pas dire qu’il y ait une incroyable culture cycliste là-bas. Dans ces conditions, c’était à la fois difficile et évident de faire mes valises et de venir m’installer à Chambéry. Si tu veux savoir ce qu’est vraiment le cyclisme, je pense que tu dois venir te tester en Europe et découvrir toute cette histoire.

Tu t’étais renseigné sur le club de Chambéry ?
J’ai eu l’occasion d’en parler avec David (Edwards), un autre coureur australien qui était au club il y a quelques années (en 2013 et 2014, NDLR). Il ne m’a dit que du bien de cette formation. Pour être honnête, il m’a juste dit que le calendrier était un peu trop typé “grimpeurs” pour lui mais évidemment, ce n’était pas un problème pour moi, qui suis un grimpeur.  

Au-delà de l’aspect purement sportif, il n’est pas forcément évident de quitter ses proches et ses habitudes de vie pour partir à l’autre bout de la planète…
Être à la maison, faire des petites courses régionales et dire que tu aimes le vélo, c’est une chose. Mais venir en France, tout seul, devoir apprendre la langue, découvrir la culture, et tenter de percer dans le milieu du cyclisme dans ces conditions, c’est tout autre chose. J’aime cette idée et je voulais essayer.

L’Australie te manque-t-elle ?
Bien sûr, comme l’ensemble de mes proches. Parfois, il m’arrive de m’allonger sur mon lit et de regarder plein de photos de ma famille, de mes amis, via les réseaux sociaux. Je vois ce qu’ils font et je suis un peu nostalgique… Mais j’ai souvent l’occasion de parler à mes parents et ils me soutiennent totalement dans ce projet. Ils savaient très bien que ça allait être compliqué pour leur fils de passer huit mois en France et d’ailleurs, ma mère était plutôt inquiète à l’idée de me voir rester aussi longtemps loin de la maison. Je pense qu’au début, ils réalisaient plus que moi les difficultés que j’allais potentiellement pouvoir rencontrer. A 18 ans, de mon côté, je suis sans doute insouciant. Mais je suis fier de l’avoir fait et tout se passe bien.

« C’EST TRÈS PARTICULIER MAIS AU MOINS, JE NE ME SENS PAS SEUL »

Sur l’aspect de cette vie de tous les jours, as-tu trouvé ce que tu imaginais à Chambéry ?
A vrai dire, j’avais déjà une petite idée de ce qui pouvait m’attendre ici puisqu’il y a deux ans, j’avais déjà tenté une expérience en France en courant à l’UC Nantes Atlantique pendant six semaines. Bradley McGee m’avait conseillé à cette formation, dont il m’avait dit que c’était l’une des meilleures en France chez les Juniors, et j’avais pu me tester sur certaines courses (l’Ain’Ternational-Rhône-Alpes-Valromey Tour ou la Ronde des Vallées, NDLR). C’était déjà une belle expérience. Mais là, je dois avouer que c’est encore différent à Chambéry ! Tout le monde vit ensemble, toute l’année. C’est très particulier mais au moins, je ne me sens pas seul. D’ailleurs, il faut remercier les membres de la fédération australienne car c’est grâce à eux que j’ai pu me retrouver à Chambéry (il a été conseillé au CCF par Victor James, le sélectionneur de l’équipe d’Australie Espoirs, NDLR).

Qu’avais-tu retenu de ton expérience nantaise ?
A ce moment-là, à seulement 16 ans, j’ai surtout appris sur moi-même, plutôt que sur l’aspect sportif. C’était la première fois que je devais me débrouiller tout seul, dans un pays qui n’était pas le mien. Ces quelques semaines à Nantes m’ont sûrement mis en confiance pour venir à Chambéry.

Comment trouves-tu les différentes courses du calendrier depuis le début de l’année ?
C’est comme je l’imaginais : très dur ! Par contre, j’ai vraiment été surpris par le climat. Je ne m’attendais pas du tout à connaître un temps aussi mauvais qu’il ne l’a été durant tout l’hiver. Je n’avais jamais connu ça avant. Il faut dire qu’à Brisbane, il fait rarement ce temps-là...



A Chambéry, il est déjà arrivé que certains coureurs, y compris français, n’arrivent pas à s’adapter au projet, en expliquant qu’il était difficile pour eux de vivre avec les mêmes personnes toute l’année, à parler de cyclisme 24h sur 24. Qu’en penses-tu ?

Ce n’est peut-être pas toujours très bon, mentalement, d’être avec les mêmes personnes et de ne parler que de ça, de ne vivre que pour le cyclisme. Je pense qu’il faut prendre le temps de penser à d’autres choses, il faut avoir d’autres passions, d’autres activités en parallèle.

« UN TRAIN DE VIE PLUTÔT AGRÉABLE »

C’est ton cas ?
Je vais à l’école deux fois par semaine pour apprendre le français, et ça me fait du bien. J’ai aussi emmené ma X-Box ici. C’est tout bête mais ça me fait du bien de jouer, sans penser à rien d’autre, tout simplement. Et puis enfin, je prends aussi le temps, quand je le peux, de partir découvrir différents coins de l’Europe, avec d’autres amis cyclistes australiens, en Italie notamment. C’est important de ne pas rester enfermé à Chambéry toute l’année. Cela dit, je tiens à préciser que les coureurs du club sont très sympa et franchement, ce n’est pas compliqué de rester là avec eux.

Tu as également la chance d’avoir un autre Australien, Thomas Jones, à tes côtés dans cette aventure…
C’est vrai que l’on peut se comprendre car nous vivons la même chose. Il nous arrive de faire le point ensemble. Nous ne sommes ni les premiers ni les derniers à faire le choix de quitter l’Australie pour tenter notre chance entre Europe. On essaie de s’entraider. Cela dit, je ne reste pas collé à Tom non plus. D’ailleurs, il a été malade en début de saison et il n’a pas beaucoup couru, alors j’ai dû faire l’effort de parler français avec tous les autres.

Tu expliquais prendre des cours de français : où en es-tu au niveau scolaire ?
Je n’ai pas fait d’études supérieures puisque j’ai arrêté l’école à la fin du lycée, l’an passé. Et pour le moment, je n’ai pas le moindre plan en ce sens, puisque je souhaite me consacrer au cyclisme. Pour l’instant, je ne prends que des cours de français, et je fais du vélo. C’est un train de vie plutôt agréable ! On parlait tout à l’heure du fait de quitter son chez soi, de partir à l’autre bout du monde dans un pays dont on ne parle pas la langue… Franchement, il faut profiter ! C’est une superbe expérience et je ne peux pas me plaindre.

Tu progresses en français ?
Oui ! D’ailleurs, maintenant avec le reste de l’équipe, c’est du 50-50 entre les moments où l’on parle en français et ceux où l’on échange en anglais. Et 50-50, pour moi, c’est déjà une évolution énorme (sourires).  

« TOUT AURAIT PU S’ARRÊTER APRÈS UN TRÈS GRAVE ACCIDENT EN 2013 »

D’où t’es venue cette passion pour le cyclisme ?
Mon grand-père roulait un peu et mon père a lui aussi pratiqué la discipline. D’ailleurs, il a passé un an en Europe, lui aussi, il y a une grosse vingtaine d’années. Il a couru en France et je crois qu’il était basé en Suisse avec plusieurs autres coureurs australiens. On peut donc dire que je viens d’une famille de cyclistes et je veux être celui qui en fera son métier.

Tu as donc baigné dans cet univers…
Oui et non car finalement, j’ai commencé assez tard, à 13 ans. J’ai fait de la piste pendant trois-quatre ans, jusqu’aux rangs Juniors. Mais j’ai toujours adoré monter des ascensions et j’ai vite voulu me spécialiser là-dedans. De toute façon, sur la piste, je me retrouvais face à des coureurs grands et puissants, ce que je ne suis pas. Donc c’était vite vu !



Quand t’es-tu mis en tête de pouvoir faire du cyclisme ton métier ?

Assez vite, en fait. Dès ma deuxième vraie saison en compétition, j’ai terminé 2e des Championnats d’Australie sur route et critérium, chez les Minimes. Deux médailles d’argent, ça compte. Deux ans plus tard, j’ai été Champion national du contre-la-montre chez les Cadets. On peut clairement dire que cela a été le moment clef, le tournant…

Finalement, tout a été assez vite pour toi durant tes jeunes années…
Oui mais tout aurait pu s’arrêter très vite également, après un très grave accident en 2013. Je rentrais d’un critérium local : j’étais presque arrivé à la maison lorsque j’ai pris un nid-de-poule et j’ai frappé très violemment l’arrière d’un véhicule. Je me suis brisé quinze os !

« IL ME FAUT ENCORE UN PEU DE TEMPS »

Quinze ?
J’étais en morceaux… Enfin, surtout, je me suis retrouvé dans le coma pendant deux jours. Ca aurait vraiment pu mal tourner mais finalement, tout est rentré dans l’ordre, après trois semaines à l’hôpital. Cela dit, pendant cette période-là, je dois avouer que je ne m’attendais pas forcément à remonter sur un vélo et à atteindre ce niveau aujourd’hui. Mais je crois que c’est aussi ce qui m’a rendu plus fort. Je suis revenu avec énormément de motivation.

Tu n’as jamais eu peur de remonter sur ton vélo ?
Pas vraiment pour la simple et bonne raison que je ne me rappelle pas de cette chute et des instants qui précédaient. Je ne suis pas de nature anxieuse… Surtout, je n’ai pas de séquelles, enfin je crois (sourires). C’est ce qui m’a aidé à passer à autre-chose.

L’an passé, tu as remporté les Championnats d’Océanie Juniors, contre-la-montre et route. Tu as ensuite terminé 10e du Mondial chrono à Bergen, en Norvège. Mais tu t’es fait relativement discret depuis le début de saison, à Chambéry…
Je pense qu’il me faut encore un peu de temps. En plus, comme je le disais précédemment, je suis un grimpeur et je n’ai pas encore eu beaucoup d’occasions de m’exprimer jusqu’à présent. Cela dit, je veux insister sur le climat (sourires). Même s’il n’y a pas d’ascensions, le vent, la pluie et toutes ces choses rendent les courses ici très difficiles en début de saison. Pour ce qui est de mes résultats à proprement parler, j’avais notamment coché le Tour des Flandres avec l’équipe nationale, mais je suis tombé là-bas. Maintenant, place aux courses pour les grimpeurs !

Tu devrais donc te régaler sur les routes de la Ronde de l’Isard ?
Oui, je suis très heureux de participer à cette course (il a pris la 26e place de la 1ère étape, ce jeudi, NDLR). Je sais depuis un moment que je vais participer à cette épreuve et je dois bien avouer que j’ai essayé de me préparer spécifiquement ces dernières semaines avec un travail un peu plus poussé dans les ascensions. Vers Chambéry, ce n’est pas ce qui manque. Je voulais être prêt physiquement pour encaisser toutes ces charges, car je me doute que l’enchaînement des étapes et des cols va faire mal. J’ai hâte, mais n’oublions pas que je suis Espoir 1.

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