La Grande Interview : Simon Buttner

Crédit photo Freddy Guérin - DirectVelo

Crédit photo Freddy Guérin - DirectVelo

Et si Simon Buttner était à la croisée des chemins ? Habitué depuis ses débuts à voir le cyclisme comme un jeu et un immense plaisir, l’homme du pays de Gex (Ain) n’a jamais vraiment imaginé faire de ce loisir son métier. Même lorsqu’il avait signé avec la Continental taïwanaise RTS-Santic, en 2014, il est vrai dans des conditions particulières. Un plan d’entraînement loin d’être millimétré, une diététique qui laisse la place à quelques gourmandises… le sociétaire de la formation Bourg-en-Bresse Ain Cyclisme, son club de toujours, a besoin de ses libertés pour avoir l’esprit libéré et être efficace sur sa machine. Mais voilà que l’athlète de 26 ans, qui travaille en parallèle pour Materiel-velo à mi-temps, vient de claquer successivement deux étapes de la SportBreizh (CDF DN1), peu de temps après s’être imposé sur le Championnat Auvergne-Rhône-Alpes. De quoi se rêver, finalement, en coureur professionnel ? Peut-être bien. Et de changer sa façon d’aborder les compétitions ? Pas si sûr…

DirectVelo : Lors de tes deux victoires d’étapes sur la SportBreizh, tu nous avais expliqué ne pas vraiment réaliser ce qu’il t’arrivait. Avec un peu de recul, as-tu eu le temps de prendre conscience de ce qu’il s’était passé le week-end dernier ?
Simon Buttner : Oui et non… Je réalise, mais je ne m’y attendais tellement pas ! Avoir ce niveau ce week-end, c’est… Je n’ai pas de mots mais ce n’est que du bonheur. C’était largement au-delà de mes espérances et c’est sans doute la raison pour laquelle j’ai quand même encore un peu de mal à réaliser. Maintenant, je ne sais pas si je pourrai répéter ce type de performances. Je me pose forcément la question mais dans tous les cas, c’est du positif.

« J'AVAIS PEUR DE ME RATER TACTIQUEMENT »

L’émotion de gagner de façon surprenante est-elle encore plus forte que lorsque l’on parvient à atteindre un but que l’on s’était fixé ?

Oui, je pense. De toute façon, j’aurais eu du mal à me dire que j’allais essayer de gagner deux étapes sur une course comme celle-là. En règle générale, j’ai du mal à me fixer des objectifs précis car j’ai peur d’être déçu par la suite. Le fait de gagner comme ça sans que ce soit “prévu”, c’est presque encore plus sympa.

Tout s’est bien goupillé ce week-end, ou tu avais simplement les jambes de ta vie ?
Il y a un peu des deux. Déjà, les parcours me convenaient très bien, avec des bosses très courtes, des ribins, beaucoup de virages, de la pluie… En fait, tout ce que j’aime était là, condensé en une course. Et en plus, j’étais effectivement dans une forme incroyable. J’avais déjà vécu ça sur le Championnat régional, où je m’étais dit que c’était LA journée de la saison, celle avec les meilleures jambes. Puis finalement, cette sensation s’est reproduite à la SportBreizh. Physiquement, sans être facile, j’arrivais à être devant, à me sentir bien… C’était assez incroyable ! 

As-tu senti, pendant la course, que c’était “pour toi” et que personne n’allait pouvoir te battre ?
Ca m’a fait ça plutôt sur le Championnat Auvergne-Rhône Alpes. C’était fou car je n’étais jamais à fond alors que je voyais que les autres étaient dans le dur. Je me suis dit qu’il fallait gagner. J’avais peur de me rater tactiquement. Ce n’est pas possible de passer à côté quand la forme est présente à ce point-là. Sur la SportBreizh, c’était différent. Le niveau était tellement élevé que jusqu’à la ligne d’arrivée, je me disais qu’il y allait forcément y avoir un coureur pour être plus fort que moi… Au moins un. Sur les deux étapes, j’ai été surpris. 

Tu faisais donc un complexe d’infériorité…
Disons que quand tu te présentes dans le dernier kilomètre face à des mecs comme Thibault Ferasse ou David Menut, tu as du mal à te dire que tu vas les battre. Ces coureurs-là, je les admire. C’était dur de me mettre dans la tête que j’allais gagner et d’ailleurs, si le scénario devait se reproduire, je me dirais sûrement encore la même chose. 

Cette série de succès sur le Championnat régional puis sur ces deux étapes de la SportBreizh, c’est aussi une question de réussite ?
Sans doute car en début de saison, il m’arrivait aussi d’avoir de bonnes jambes mais là, pour le coup, ça se goupillait mal. La course ne se déroulait pas comme je l’avais prévu… Soit je n’avais pas les jambes, soit j’étais bien mais je ne faisais pas les bons choix tactiques. Là, ça a clairement tourné. Même si la forme aide bien quand même ! Sur la SportBreizh, je suis rentré à chaque fois dans un second temps. Quand tu as les jambes, tu peux te permettre de faire quelques petites erreurs tactiques. Les jambes compensent. 

« J'AI RÉALISÉ CES RÉSULTATS SANS ME PRENDRE LA TÊTE »

Autrement dit, quand on a des jambes de feu, on peut se permettre de courir à l’envers ?

Pas à ce point. Moi le premier, je ne suis pas capable de boucher 1’30” tout seul comme ça… Je ne suis pas un gros rouleur à la Romain Bacon, des coureurs qui peuvent aller à l’encontre de tout et faire des numéros énormes quand ils sont en forme. Il faut calculer. Mais c’est vrai que de superbes jambes peuvent compenser une erreur tactique. Ca aide, mais il ne faut pas abuser et courir complètement en travers. Si tu en fais vraiment trop, même si tu es en forme, ça ne va pas passer.  



Tu vas être très attendu sur le Championnat de France maintenant !

On m’en parle. Mais le niveau sera très élevé et le côté aléatoire est très présent. Tout ça mis bout à bout, je ne me vois pas du tout comme un favori. Peut-être que je fais partie des 40 coureurs qui auront une chance… Ce n’est pas parce que ça marche bien deux week-ends que je vais être Champion de France. Mais c’est vrai que je serai sûrement un peu plus cité. Jusqu’à maintenant, une bonne partie des coureurs ne savaient sans doute pas qui j’étais, moi qui n’avais jamais couru en DN1 jusqu’à cette année. Et cela a peut-être un peu changé ces dernières semaines. 

Qu’est-ce que les dernières semaines de compétition peuvent changer pour toi ?
Une partie de moi se dit qu’il faudrait peut-être s’entraîner encore plus dur maintenant, pour voir si ça pourrait me permettre de maintenir ce niveau plus souvent ou d’être même encore mieux. Mais d’un autre côté, je me dis que j’ai réalisé ces résultats sans me prendre la tête. Alors pourquoi ne pas continuer d’aborder les courses et ma pratique du cyclisme de cette façon-là… Ca fonctionne bien et je ne me suis rarement autant éclaté sur le vélo. Je veux garder cet aspect-là. 

Tu ne fais pas le job à fond, comme on dit dans le milieu ?
Avant, je ne faisais pas vraiment le métier, je n’étais pas très sérieux. Depuis deux ans, c’est quand même moins vrai, mais je ne fais quand même toujours pas le job à 100%, c’est sûr. Je ne suis pas au même niveau d’investissement que certains, sur la diététique ou l’entraînement. Si j’avais prévu une sortie de deux heures mais que je vois qu’il fait beau et que je peux aller faire cinq heures dans la montagne parce que j’en ai envie, je le fais. Je ne veux pas être au millimètre en sacrifiant mon plaisir de rouler. J’ai un planning d’entraînement, avec mon entraîneur Camille Chancrin, mon ami de Bourg-en-Bresse (membre de l’équipe jusqu’à l’an passé, NDLR). Il me connaît et il sait que j’ai besoin de certaines libertés. Il me file des plans d’entraînements précis mais je m’adapte en fonction de mes sensations. Mon suivi n’est pas ultra rigoureux mais il ne m’en veux pas.  

Ton discours fait penser à celui de ton coéquipier Victor Lafay…
On est assez proche et nous avons la même vision du vélo. Victor est en train d’en faire son métier (il sera professionnel chez Cofidis à partir du 1er août prochain, NDLR) et pour autant, ça reste un plaisir avant tout. C’est pareil pour moi. Sinon, autant aller travailler dans un bureau. Cela dit, j’ai toujours envie de faire au mieux et je m’entraîne dur pour ça. C’est juste que je ne vais pas trop me stresser si je fais un écart. C’est la manière d’aborder les choses de façon détendue qui compte. Je me dis que ça reste du cyclisme, c’est tout. Il faut relativiser. Mais sur le vélo, j’ai un vrai esprit de compétition et je donne tout. Quand des courses me font rêver, je fais tout ce que je peux pour arriver au top. Aujourd’hui, j’ai trouvé mon équilibre. 

« J'AURAIS EU DU MAL À VIVRE TOUT CELA À 18 ANS »

Penses-tu avoir actuellement les meilleures jambes de ta carrière ?

Oui ! Je n’ai jamais connu une aussi bonne période. Peut-être que sur une course, ça tournait aussi bien… Mais plusieurs semaines avec cette régularité, c’est la première fois. 

Dans ta carrière, tu n’as eu que très peu d’occasions de te frotter aux meilleurs coureurs Élites…
J’ai eu un parcours particulier. J’étais encore en deuxième catégorie à 20-21 ans. J’ai aussi eu cette expérience à l’étranger qui m’a fait “perdre” une année…Puis jusqu’à cette saison, j’ai couru en DN2. Du coup, j’ai rarement connu un tel plateau, mis à part sur les Championnats de France, en fait. Cela étant, je ne vais pas dire que c’est à cause de ça que je n’avais pas encore eu de résultats mais c’est vrai que je n’avais pas eu beaucoup d’occasions de me confronter à ce niveau-là. 

Lors de cette SportBreizh, tu as participé à l’un des tous premiers chronos de ta carrière. Tu découvres également la DN1 cette année. Ces “nouveautés”, tu les vis à 25 ans, quand beaucoup d’autres coureurs les découvrent à 18 ou 19 ans. Avec donc plus de maturité, mais peut-être aussi moins d’insouciance et une conscience des enjeux... 
Je pense que j’aurais eu du mal à vivre tout cela à 18 ans. Je l’aurais fait, mais c’est mieux comme ça. J’aurais été très très stressé à l’époque, pour aborder ce type d’enjeux. Là, je peux prendre du recul et je gère tout ça plus facilement. Vivre ça maintenant me fait encore plus plaisir, peut-être. J’arrive à pleinement apprécier tout ce qu’il m’arrive. Ces résultats vont changer des choses pour moi.



Tu as fait pratiquement toute ta carrière à Bourg-en-Bresse pour le moment. Pourquoi ?

Sans le savoir à l’époque, je pense que je suis tombé sur l’équipe qui me correspond le mieux en DN1 aujourd’hui. On essaie vraiment de prendre un maximum de plaisir et de mettre en avant le côté humain. On aime passer de bons moments ensemble. C’est le vélo qui me correspond et j’aurais du mal à partir ailleurs. Je ne suis pas certain qu’une autre équipe me conviendrait aussi bien. Ici, j’ai mes libertés. J’ai une relation particulière avec Christian Milesi (à la tête de l’équipe, NDLR) et j’ai la confiance du groupe. Quand ça ne marche pas pendant quelques temps, je ne suis pas mis sur la sellette. J’ai besoin de ça, je n’aime pas la pression. On me fait confiance et ça fait du bien. 

On te sent assez détaché et à la fois ambitieux : de quoi rêves-tu pour les années à venir ?
Des rêves, il y en a toujours. A court terme, un titre de Champion de France… Et puis, même passer pro ! Mais c’est plus un rêve qu’un objectif. Si je n’atteins pas ces rêves-là, ce ne sera pas très grave. J’ai déjà la chance de pouvoir faire des résultats et je profite à fond. J’ai conscience qu’à mon âge, la probabilité pour que je passe pro un jour est de plus en plus faible.  

« C'EST ENCORE PLUS PASSIONNANT POUR MOI »

Considères-tu, avec le recul, avoir déjà été coureur professionnel avec la Continental RTS-Santic ?

Non. Dès que j’ai signé, je savais déjà que c’était un contrat professionnel uniquement sur le papier mais je n’ai aucun regret là-dessus. A l’époque, j’avais fait ça pour l’expérience mais je n’ai jamais été pro, il faut être clair. Par contre, j’ai couru avec les pros (sourires). J’ai pu vivre du vélo et voyager donc c’était une aubaine, mais ce n’était pas du vélo professionnel, il faut être honnête. 

Dans le sport de haut-niveau, on sait que tout peut aller très vite. Si tu étais amené à réaliser un nouveau bon résultat sur le Championnat de France, tu pourrais recevoir quelques coups de fil…
Je ne mets pas trop de pression avec ça. Depuis deux ans, j’avais fait une croix totale sur mes idées de passer pro et là, en quelques semaines, ça a basculé. Mais bon, il faut prendre les choses dans l’ordre. On verra bien ce qu’il se passe… Enfin, ça reste un rêve. Si je peux ne serait-ce qu’effectuer un stage dans une équipe professionnelle ou signer dans une équipe Continental, je serais ravi. Aujourd’hui, c’est vrai que l’on entend des coureurs dire qu’ils ne sont pas intéressés par un passage pro dans une Conti mais moi, ça me fait encore rêver. Bon, dans tous les cas, je n’y suis pas du tout. A 25 ans, je vais devoir en gagner des courses pour espérer passer pro… 

Tu dois être curieux de voir ce qu’il peut se passer dans les prochaines semaines…
C’est ça ! Il y a un peu de suspense (rires). Je n’ai pas la moindre idée du temps durant lequel je vais pouvoir maintenir ce niveau mais c’est encore plus passionnant pour moi. Tout devient possible et en même temps, il va falloir gérer au mieux pour espérer que ça arrive. Dans tous les cas, c’est positif, même si ça doit marcher moins bien sur la suite. J’aurai connu ces quelques semaines exceptionnelles. 

Tu t’es toujours voulu assez relâché et détaché de toute pression mais désormais, cette philosophie va être confrontée à des ambitions grandissantes. Alors comment faire ?
C’est sûr que ça change forcément un petit peu la donne. Suivant comment ça évolue, il faudra que j’apprenne à gérer de nouveaux objectifs et un nouveau statut. Je sais que le fait de me prendre la tête ne me réussirait pas forcément. Je vais essayer d’évoluer le plus simplement possible. Deux choses se croisent dans ma tête : l’idée de faire les meilleurs résultats possible et la volonté de ne pas changer toute cette façon de faire du vélo. 

Tu as déjà dû jongler entre les deux ces derniers jours !
Oui ! J’ai fêté la SportBreizh lundi soir avec mes amis dans un bar, mais c’était la dernière fois avant le Championnat de France. Maintenant, je vais tâcher de bien travailler pour garder cette superbe forme à Mantes-la-Jolie.

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