La Grande Interview : Thomas Joly

Crédit photo Alexia Tintinger

Crédit photo Alexia Tintinger

C’est l’une des grandes surprises des nombreux transferts de la trêve hivernale. A tout juste 22 ans, Thomas Joly va intégrer le peloton professionnel sous les couleurs de la formation nordiste Roubaix-Lille Métropole. Ce premier contrat parmi l'Élite, le natif de Rouen est allé le chercher cet été, avec ses tripes, à l’occasion d’un stage avec l’équipe de troisième division mondiale. “C’est une question de volonté, il faut toujours y croire. J’ai vu que j’avais le niveau et que je n’avais pas atteint mes limites. A chaque fois que je découvre quelque chose de nouveau, plus haut, je me rends compte que je suis dans l’allure”, se félicite celui qui sera néo-pro sans avoir jamais remporté la moindre course dans le peloton amateur. “Je n’ai pas vérifié mais je ne pense pas être le premier coureur à passer pro sans avoir gagné. Être passé pro, c’est ma victoire de l’année”, répond le résident de Campeaux (Oise), près de Formerie, qui a fait ses gammes à l’ESEG Douai puis au CC Nogent-sur-Oise, cette saison.

DirectVelo : Tu arrives dans le peloton professionnel sans que l’on ait beaucoup entendu parler de toi chez les amateurs. Pourquoi ?
Thomas Joly : Déjà, j’ai commencé le vélo assez tard, en Cadets 2. Ensuite, j’ai fait deux ans en Ufolep et Pass’Cyclisme. Je suis arrivé en Élites il y a seulement trois ans, même un peu moins puisque je suis passé en première catégorie courant 2015. Lorsque j’étais à l’ESEG Douai, le manager Laurent Pillon m’a aussi préservé. Depuis, je me suis fait ma petite place mais c’est vrai que l’on continue de se dire “Thomas Joly ? Mouais. Ok…”.

Tu comprendrais que l’on puisse parler de toi comme du coureur français au passage chez les pros le plus surprenant cette saison ?
Oui. Je ne dirais pas que c’est un hold-up non plus mais c’est clair que je me sens tout petit. Je suis là sans être là pour l’instant (sourires). Ce n’est pas démérité, mais j’ai conscience d’avoir une chance. J’ai réussi à la saisir.

« CA ME GÊNE UN PEU QUAND MÊME MAIS JE LE VIS BIEN »

Tu as été aidé par de bons contacts ?
C’est sûr que je n’ai pas été pris uniquement pour mes résultats. Je suis donc passé par Douai et j’ai la chance d’avoir un manager là-bas qui a parlé de moi aux dirigeants de Roubaix car l’été dernier, ils cherchaient un stagiaire de la région. Il y a aussi Arnaud Molmy à Nogent (ancien coureur professionnel chez Roubaix-Lille Métropole en 2010, NDLR) qui a aidé. Mais c’est surtout Laurent Pillon qui m’a permis d’en arriver-là. C’est grâce à ces deux personnes-là que j’ai été stagiaire. Mais si je passe professionnel en 2018, c’est parce que j’ai réalisé un bon stage avec eux et qu’ils étaient visiblement content de mon travail.

Tu t’apprêtes à passer pro sans ne jamais avoir gagné une course chez les Élites…
On me chambre un peu là-dessus, oui. J’aurais bien aimé passer avec une gagne. Ca me gêne un peu quand même mais je le vis bien. C’est comme ça. Je n’ai pas vérifié mais je ne pense pas être le premier coureur à passer pro sans avoir gagné. Être passé pro, c’est ma victoire de l’année, on va le dire comme ça ! Et puis, j’ai quand même eu des places d’honneur. Je suis toujours tombé sur plus fort que moi jusqu’à présent, c’est le vélo. Il me manque aussi une pointe de vitesse qui pourrait me permettre de gagner plus souvent car je fais partie de ces coureurs qui doivent finir seul pour gagner. C’est un peu frustrant donc, mais je me dis que j’ai quand même franchi un vrai palier en 2017. J’ai une progression constante chaque année et je pense que je me découvrirai encore plus l’an prochain. Je n’ai pas atteint mes limites. Pour la victoire, ce n’est que partie remise.

Tu as terminé 2e de Paris-Evreux en juin dernier, derrière Risto Raid. Etait-ce le moment où tu as eu le sentiment d’être passé le plus près de la victoire ?
Oui, même si je ne suis pas passé loin non plus sur le Tour de la Manche, notamment sur la deuxième étape. Nous étions arrivés à cinq pour la gagne. Je n’ai pas cru en moi alors que j’aurais peut-être dû tenter un coup de poker. C’est sans doute encore un manque d’expérience : je ne prends pas encore les bonnes décisions dans un final. Même chose sur la SportBreizh. Je m’étais retrouvé devant sur la 3e étape mais j’ai fait un tout droit dans un virage. Finalement, j’ai été repris par le peloton et ma 17e place au général de la SportBreizh ne représente pas forcément le niveau que j’avais là-bas.  

« J’AI VU QUE RIEN N'ÉTAIT IMPOSSIBLE »

Cette année, Jérôme Pineau a monté son équipe, Vital Concept, et moins d’Espoirs se sont révélés au regard du classement du Challenge BBB-DirectVelo dominé en majorité par des coureurs expérimentés. C’était l’année où il y avait le plus de places pour décrocher un contrat pro ? (L’entretien a été réalisé avant l’arrêt de la formation de l’Armée de Terre, NDLR).  
Je ne sais pas trop. Je n’ai fait que trois années en Élites alors pour être honnête, je vais avoir du mal à comparer les différentes saisons. Mais j’ai quand même eu le temps de voir le niveau en DN et je trouve que le niveau est bien élevé, entre les Espoirs qui sont déjà très forts en Espoir 1 ou Espoir 2 et les anciens pros qui viennent faire encore monter le niveau. L’équipe de Pineau a forcément laissé des places de libres, mais il ne faut pas aller chercher trop loin.


Finalement, tu es peut-être le premier surpris de te retrouver chez les pros dès 2018 ?

On m’aurait dit ça en début de saison, je n’y aurais pas forcément cru. Ce n’était pas gagné d’avance, plus encore après l’hiver que j’avais passé l’an dernier, puisque j’avais été embêté par une longue tendinite. Je n’avais pratiquement pas roulé en janvier, y compris pendant le stage de pré-saison.

Tu ne débarques tout de même pas complètement dans l’inconnu chez les pros puisque durant ton stage de l’été, tu as disputé pas moins de dix courses, toutes aux alentours des 200 kilomètres…
Ca m’a permis de prendre de la caisse et c’est tout bénéfice pour l’année prochaine. Sans ce stage, ça aurait pu me faire tout drôle en février mais là, j’ai vu que rien n’était impossible. C’est une question de volonté, il faut toujours y croire. J’ai vu que j’avais le niveau et que je n’avais pas atteint mes limites. J’insiste mais à chaque fois que je découvre quelque chose de nouveau, plus haut, je me rends compte que je suis dans l’allure. Pour l’instant en tout cas (sourires).

« JE N’AURAIS PAS REFAIT TROIS-QUATRE ANS CHEZ LES AMATEURS »

Tu auras donc porté les maillots de l’ESEG Douai, du CC Nogent-sur-Oise et de Roubaix-Lille Métropole et pourtant, il paraît que tu n’aimes pas les “courses du Nord” ?
(Rires). Chez les amateurs, ces courses dites du Nord ne m’ont jamais réussi jusqu’à maintenant. Je ne sais pas pourquoi, ça peut encore changer. Tout ce qui est courses à la flamande, avec des pavés ou autre, j’ai du mal. Mais je sais que la course la plus importante de l’équipe l’an prochain sera Dunkerque et en plus, ça passera par chez moi. Ce serait sympa d’y aller et de contredire ces statistiques sur mon faible taux de réussite sur les courses de ce profil.

Tu avais récemment décidé de te consacrer exclusivement au cyclisme. Pari gagnant, donc…
Depuis l’obtention de mon BTS Commercial NRC (Négociation et Relation Client) il y a un an et demi, je m’étais mis en tête de faire une année 100% vélo pour voir ce que ça pouvait donner. Cela me sourit aujourd’hui. Ca ne pouvait pas mieux se goupiller pour moi ! Si je n’avais pas été pris à Roubaix, j’aurais sans doute continué une année de plus, mais je n’aurais pas refait trois-quatre ans chez les amateurs.

Et si tu avais dû arrêter le vélo, vers quoi te serais-tu orienté ?
J’aurais pu continuer dans le monde commercial suite à mon BTS. En même temps, je dois avouer que j’ai surtout fait ça pour avoir un bagage au cas où et pour faire plaisir à mes parents mais je me suis rendu compte que ce n’était pas ce qui m’attirait le plus. Mais j’aurais aussi pu continuer dans le monde du sport et du vélo en particulier. Pourquoi pas devenir éducateur sportif à l’avenir. J’ai plein d’autres idées en dehors du sport aussi, mais rien de bien concret et précis. J’envisage même de partir loin de chez moi et de tenter d’ouvrir un commerce à l’étranger. J’aime bien la nature et découvrir de nouveaux endroits, c’est bien sympa ! Cela dit, parfois, il n’y a pas besoin d’aller bien loin. Près de la maison, il y a le village de Gerberoy qui est l’un des plus beaux de France. J’y passe souvent à l’entraînement.

« LA PREMIÈRE ANNÉE, JE SUIS TOMBÉ AU MOINS SIX FOIS »

Passons à toute autre chose : il paraît que tu fais rire tes équipiers avant les courses !
Ca, c’est parce que je suis maladroit et tête en l’air. Tous mes coéquipiers le savent ! Je déconne beaucoup mais il m’arrive d’être à la rue : je suis capable de sortir une blague que quelqu’un a déjà faite cinq minutes avant… Au moins, ça fait rire tout le monde. Cela dit, sur le vélo, c’est totalement différent. C’est toujours la volonté et la détermination qui parlent. On m’a toujours appris à ne jamais rien lâcher. D’ailleurs, la seule course que j’ai abandonnée depuis que je fais du vélo, c’était récemment sur chute, chez les pros, à Binche et c’est parce que l’on m’a forcé à m’arrêter.


Si tu n’avais jamais abandonné jusque-là, c’est donc aussi parce que tu n’as jamais eu de grosses chutes, de coups durs…
C’est vrai, je touche du bois. Mais lors de ma première année en Élites, je suis tombé au moins six fois ! Mes équipiers ne voulaient plus rouler avec moi, ils avaient peur ! A la fin, on finissait vraiment par en rigoler et c’était presque devenu une stratégie de course…

Une stratégie de course ?
Pour rire bien sûr ! Les gars me disaient : “tu tombes à tel endroit !” car ça pouvait être intéressant stratégiquement. Il valait mieux en rire… Après, dans mon malheur, je n’ai jamais rien eu de cassé. Peut-être que je n’avais pas les bons réflexes pour éviter les chutes au début. Je n’aimais pas frotter et je ne savais pas anticiper. Mais depuis, j’y ai remédié. Je ne tourne plus qu’à une ou deux chutes par an… Ce n’est pas trop mal. En plus, je sais qu’il y a eu beaucoup de chutes à Roubaix cette année et ça ne peut pas continuer comme ça une deuxième année de suite ! On ne va pas se porter la poisse.

« PROFITER AU MAXIMUM DES PLAISIRS SIMPLES »

Comment t’occupes-tu en dehors du temps que tu consacres au vélo ?
Comme je le disais j’aime beaucoup la nature et il m’arrive de simplement sortir balader, aller marcher pour profiter des paysages. Pour le reste, j’essaie de profiter au maximum des plaisirs simples de la vie, comme celui de passer du temps en famille. J’ai la chance d’avoir ma famille pas très loin de la maison. Je pense notamment à mes grands-parents, qui étaient là pour me soutenir dès le début. 

Ils suivent tes résultats ?
En pleine saison, je suis tout le temps sur les courses et je n’ai pas trop le temps de les voir. Mais ils étaient-là quand j’avais fait mes débuts en Ufolep, ils venaient me supporter. Désormais, ils me suivent par l’intermédiaire de mes parents ou de mon oncle. Ils suivent les directs sur DirectVelo et ils transmettent les infos à mes grands-parents. Je pense qu’ils sont content pour moi. J’ai droit à un vrai questionnaire quand je vais les voir après des courses, ils veulent tout savoir !

Tu pratiques également d’autres disciplines sportives ?
Je nage, j’adore ça. J’aime bien les sports d’hiver aussi, ou l’athlétisme, mais là c’est plus pour les regarder à la télé l’hiver et m’occuper.

« UN GRAND AMOUREUX DE SPORT »

Tu suis donc tous les sports ?
Oui ! Il m’arrive d’acheter L'Équipe quand je suis en déplacement et je peux lire le journal pratiquement en entier en me renseignant sur tous les sports. Je suis un grand amoureux de sport en général. Je suis beaucoup le foot par exemple. Je suis un grand supporter de l’AS Monaco. Ca remonte, comme beaucoup de jeunes de mon âge, à l’épopée en Champions League de 2003-2004. A cette époque-là, je jouais au foot et c’est l’équipe qui m’a fait rêver et depuis, je suis toujours leurs matches. D’ailleurs, j’ai tenu à profiter de la trêve hivernale pour aller voir Amiens-Monaco en Ligue 1. L’an passé, je suis allé les soutenir au Parc des Princes mais j’ai peur de ne pas pouvoir y retourner l’année prochaine car ça tombera en pleine saison (mi-avril, NDLR). Donc je me passionne vraiment et pas que pour le vélo.

L’AS Monaco, c’est l’équipe qui a lancé dans le grand bain des jeunes que le grand public ne connaissait pas et qui les a emmenés jusqu’en demi-finales de Champions League et au titre de Champion de France l’an passé : ça peut donner des idées !
Espérons que moi aussi, que l’on attendait pas chez les pros, je puisse prouver que je suis capable de faire de belles choses chez les professionnels dès l’an prochain. En tout cas, je crois en mes capacités et j’ai vraiment hâte de voir jusqu’où je serai capable d’aller dans le futur. Ca peut marcher, j’y crois dur comme fer.


Crédit photos : Martine Lainé, Julie Desanlis et Freddy Guérin (DirectVelo). 

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