Il y a un peu de jaune dans le maillot vert

Crédit photo Xavier Pereyron / DirectVelo
Mort à 99 ans, juste avant le Tour de France, Jacques Marinelli était surnommé la Perruche, déjà avant le Tour 1949. Cette année-là, il était devenu la coqueluche du public en portant le maillot jaune. Mais aussi la casquette verte de l'équipe régionale de l'Ile-de-France.
Vingt ans plus tard, Eddy Merckx adopte la même dégaine. Maillot jaune et casquette verte. Cette fois-ci, le couvre-chef fait savoir que le néophyte du Tour est aussi en tête du classement par points (1). Cumuler le jaune et le vert n'est pas une anomalie dans l'histoire du Tour même si c'est loin d'être une habitude. Si Tadej Pogacar a encore une chance cette année de prendre la tête, sans le vouloir comme à Caen, du classement par points, c'est une question de barème et donc d'orientation des organisateurs. Si aujourd'hui le maillot vert est associé aux sprinters, ce n'était pas du tout le but du classement par points à ses débuts.
CLASSEMENT DE LA RÉGULARITÉ
Eddy Merckx 3 fois (1969, 1971, 1972), Bernard Hinault, une fois en 79 (7 étapes au compteur) ont cumulé les points et le classement au temps. Mais ils n'étaient pas les premiers. En effet, si le maillot vert est né en 1953 pour fêter le Cinquantenaire du Tour, le classement par points avait déjà existé. De 1905 à 1912, le classement général du Tour est calculé aux points, par l'addition des places (en simplifiant un peu). En 1947, Jean Robic et Gino Bartali, sont les vainqueurs de la Coupe des Cachous Gallus, un classement par points qui additionne les places journalières. C'est exactement le principe retenu en 1953 et qui va durer jusqu'en 1958.
Le "Trophée du Cinquantenaire", le nom officiel du classement par points symbolisé par un maillot vert (aux couleurs de La Belle Jardinière qui le patronne) veut récompenser un coureur qui fait la course tous les jours sans attendre les étapes de montagne pour faire la différence. Pas pour récompenser les sprinters.
Fritz Schaër, le premier vainqueur, a cumulé le jaune et le vert jusqu'aux Pyrénées, il terminera 3e du Tour 54, l'année suivante. En 1953 Jean Robic porte le maillot vert dans les Pyrénées avant de prendre le maillot jaune. Maillot vert du Tour 1954, Ferdi Kübler termine 2e du général cette année-là, après avoir gagné le Tour en 1950. Stan Ockers ne gagne pas d'étape en 1955 pour son premier maillot vert (il fut 2e du Tour 52) tout comme Jean Graczyk en 1958. André Darrigade, un des meilleurs sprinters de son époque, est aussi un coureur passe-partout. Il gagne en 1959 à Saint-Gaudens après Aspin et Peyresourde, l'année de sa première victoire dans le classement par points.
CHANGEMENT DE BARÈME ET ÉQUIPES DE MARQUE
1959 marque un premier tournant dans le barème : Au lieu d'additionner les places (donc celui qui gagne est celui qui a le moins de points), on attribue une grille de points : 100 points au premier et une unité au 25e. En 1960, on passe d'une extrême à l'autre avec le plus petit barème de l'histoire : 10-6-4-3-2-1 points aux 6 premiers. En 1961, l'organisation adopte un barème unique pour les 15 premiers : 25-20-16-14... et 1 point au 15e. Ce barème sera copié par le Giro. Avec des adaptations pour le prologue et les demi-étapes, ce barème va durer jusqu'au Tour 1969.
Dans le Tour de France des années 50, les arrivées au sprint existent mais les échappées et les finisseurs ont toutes leurs chances pour précéder le peloton. Dans les équipes nationales et régionales, l'union n'est pas toujours la valeur la plus partagée. À partir de 1962, et le retour des équipes de marques, les choses évoluent avec des groupes sportifs qui peuvent être dévoués à un routier-sprinter.
Avec le barème unique, la pointe de vitesse alliée à la polyvalence, reste la meilleure qualité pour gagner le classement par points. Jan Janssen est maillot vert trois années avant de finir en jaune à Paris en 1968.
En 1966, Willy Planckaert ramène le maillot vert devant Gerben Karstens, deux sprinters. Cette année-là, la course est bloquée jusqu'aux Pyrénées et les arrivées groupées se succèdent. Les bonifications avaient été supprimées pour cette édition (avant leur retour en 1967) pour que les prétendants au général ne viennent plus perturber la lutte pour le maillot vert. Il y avait 1' et 30" à distribuer à chaque arrivée. On commence à vouloir différencier les deux.
LE TOURNANT DE 1970
La double victoire de Merckx en 1969 engendre un gros changement de barème. Le but est d'éviter à l'annonceur du maillot vert de rester au vestiaire pendant la course. Même si en 1970, les porteurs de maillot par procuration ont une tunique spéciale. La grosse nouveauté est de donner plus de points pour les étapes de plat par rapport à celles en montagne. Une victoire dans les étapes de plat ou de transition (transition, ce n'est pas un gros mot, ça veut simplement dire transition entre les deux massifs) vaut le double d'un succès dans une étape de cols : 30 points contre 15.
Les barèmes seront ajustés et à partir de 1976 les points des Points Chauds, des Rushs puis des Catch et enfin des sprints intermédiaires seront ajoutés au total des points glanés aux arrivées d'étapes.
Mais en 1987, le barème revient aux origines. Tarif unique pour chaque étape, dégressif d'un point par place : 25-24-23-22 jusqu'à 1 point au 25e. Les sprinters conservent leur bouée de sauvetage des points marqués dans les sprint intermédiaires, les Catch. La régularité redevient un atout pour le maillot vert. Si le sprinter Jean-Paul Van Poppel ramène le vert à Paris, les trois suivants, Stephen Roche, Pedro Delgado et Jean-François Bernard se suivent dans l'ordre du classement pour le maillot jaune. Stephen Roche a même porté une journée le maillot vert à la sortie des Alpes.
Depuis 2011, le barème a pris son visage actuel : Un sprint intermédiaire unique qui donne autant de points qu'une étape de montagne et les étapes de plat revalorisées. Mais il n'y a plus que 15 coureurs primés dans chaque arrivée. En 2015, les sprinters sont encore plus avantagés avec 50 points pour la gagne dans les étapes de plat. Le changement de cette année, où les étapes accidentées rapportent autant que les étapes de plat, ne fait que rééquilibrer les forces. D'autant plus quand les organisateurs cherchent à diminuer le nombre d'étapes destinées aux sprinters et à leurs équipes pour intéresser plus de formations dans la course de mouvements. Mais quand un prétendant au maillot vert passe mieux les bosses que les autres, alors les tentatives de son équipe pour faire sauter les sprinters plus lourds animent la course comme ce fut le cas en 2020 entre Peter Sagan et Sam Bennett.
(1) A partir de 1973, les casquettes vertes vont désigner l'équipe en tête du classement par équipes aux points
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