Jacob Fraser : « L'e-sport cycliste est encore en pleine croissance »

Crédit photo James Odvart - DirectVelo
Le quatrième Championnat du monde de cyclisme e-sport a eu lieu le 26 octobre à Abou Dabi, aux Emirats Arabes Unis. Pour la première fois, les finalistes étaient réunis dans le même lieu. Jacob Fraser, coordinateur de l'e-sport à l'UCI, après avoir travaillé chez Zwift et MyWhoosh, parle de l'avenir de cette discipline pour DirectVelo.
DirectVelo : Que doit-on dire : e-sport ou cyclisme virtuel ?
Jacob Fraser : Le cyclisme virtuel, c’est ce que font les plateformes, c’est ce que tout le monde fait à la maison. Le cyclisme e-sport, c’est la version compétitive du cyclisme virtuel. Le Championnat du Monde UCI de Cyclisme e-sport, c’est le niveau élite de la compétition. Mais si tu es chez toi et que tu utilises un home-trainer avec une plateforme ou un logiciel, c’est du cyclisme virtuel.
Quel est ton parcours professionnel avec la discipline ?
J’ai commencé à travailler chez Zwift il y a 7 ou 8 ans maintenant. J’ai travaillé pour eux pendant environ 4 ans. Ensuite, j’ai travaillé chez MyWhoosh pendant 2 ans en tant que directeur de l’e-sport et des événements. Puis, lorsque mon contrat avec My Whoosh a pris fin, j’ai passé un entretien à l’UCI pour devenir leur coordinateur e-sport. Et j’ai la chance d’occuper ce poste depuis 2 ans. Quand j’étais chez Zwift, l’e-sport commençait tout juste à se développer. La communauté Zwift menait vraiment la charge à l’époque. En 2019, l’UCI et Zwift ont conclu un partenariat pour développer des courses au niveau élite, comme les Championnats du Monde en 2020. J’y ai contribué. En 2022, j’étais encore chez eux et j’ai aidé à organiser l’événement. Puis en 2023, j’étais à l’UCI et j’ai également participé à son organisation. J’ai donc été impliqué dans le cyclisme e-sport depuis le tout début, d’une manière ou d’une autre.
Comment l’amour pour cette discipline est-il né ?
J’ai aimé le cyclisme toute ma vie. Je pense que, comme beaucoup d’entre nous dans ce métier, nous sommes tombés amoureux du cyclisme jeunes, et c’est juste devenu une partie intégrante de notre vie. Concernant l’e-sport spécifiquement, quand je travaillais chez Zwift, une grande question pour les entreprises était : qu’est-ce qui pousse les gens à faire du vélo en intérieur ? Évidemment, le mauvais temps ou la tombée de la nuit, ou si tu as de jeunes enfants et que tu ne peux pas sortir, par exemple, tu te mets à rouler en intérieur. Mais j’ai toujours trouvé que la version du cyclisme que je préférais était la compétition. Et quand tu fais de la course sur route ou du VTT, il n’y a peut-être qu’une seule course par mois dans ta région. Si tu as beaucoup de chance, peut-être une course par semaine. Mais dans le cyclisme virtuel, il y a de nombreuses courses chaque heure. Donc, quand j’utilisais le cyclisme virtuel, au lieu de faire un entraînement ou une sortie de groupe, j’étais toujours attiré par les compétitions. C’est ma façon préférée de pratiquer le cyclisme virtuel. Et donc, à mesure que l’e-sport se développait, j’étais physiquement très lent, mais très intéressé par la compétition en vélo. C’était une excellente manière pour moi de maintenir ma forme. C’est plus amusant pour moi. J’ai donc eu la chance de travailler dans un domaine que j’aime profondément.
« UN SPECTACLE POUR TOUT LE MONDE »
Comment évalues-tu l’évolution de la discipline ?
Nous en sommes maintenant à notre quatrième Championnat du Monde, le premier dans ce format avec une présentation commune. Tous les athlètes y participent ensemble. C’est le fruit du travail de nombreuses personnes qui sont impliquées depuis longtemps et qui ont aidé ce sport à atteindre ce niveau, ainsi que certains partenaires comme MyWhoosh. Et je pense que le Championnat était un spectacle pour tout le monde. Je pense que la progression de ce sport a été forte en un temps très court. Il y a encore beaucoup à faire pour que l’UCI amène l’e-sport au niveau supérieur. Mais nous n’avons pas fini.
Quid de l'avenir ?
Si nous devions refaire ce Championnat du Monde demain, je suis sûr que nous apporterions de petits changements. Mais avec plus de temps, nous pourrons mieux contrôler et influencer certaines des variables que ce sport doit encore résoudre. Nous sommes toujours préoccupés par la stabilité d’Internet, la connexion des home-trainers et tous les éléments inhérents au cyclisme e-sport. Ce n’est pas une critique envers quiconque, mais nous voulons juste continuer à aller de l’avant. Les home-trainers sont très précis, mais ils pourraient l’être encore davantage. Nous cherchons toujours la perfection. Et je pense que c’est quelque chose de très important pour la discipline : continuer à s’améliorer, à inclure nos partenaires des fédérations nationales dans les discussions, ainsi que les coureurs et les partenaires commerciaux. L’UCI est très douée pour réunir les gens afin de comprendre comment faire évoluer ce sport.
« PERMETTRE DES COURSES SUR PLUSIEURS PLATEFORMES »
Peut-on s'attendre au développement d'une série de compétitions comme une Coupe du Monde de cyclo-cross ou des Gravel Series sous le label UCI ?
Certainement, oui. Je pense que pour les Championnats du Monde, nous pouvons élargir les voies et les périodes de qualification. Cela offrirait davantage d’opportunités aux athlètes de se qualifier. Mais en tant que discipline globale, nous pourrions proposer des courses homologuées en premier lieu. Vous prenez le gravel comme bon exemple, ou peut-être que la course sur route est l’exemple le plus évident. Pour organiser une course sur route homologuée par l’UCI, il faut respecter certains critères. Cela n’existe pas encore pour l’e-sport. Et si c’est le cas, c’est très minimal. Mais nous devons développer cela pour permettre des courses sur plusieurs plateformes tout au long de l’année qui comptent comme des événements homologués par l’UCI. Les plateformes seront toujours libres d’organiser leurs propres courses comme elles le souhaitent, mais nous pouvons commencer à offrir un calendrier plus complet de courses homologuées par l’UCI. À partir de là, on pourrait rapidement aborder le développement de ligues, d’équipes ou de tournois. L’industrie regorge d’idées sur la façon d’élargir cela pour en faire un produit commercialement viable. Mais tout d’abord, en tant qu’UCI, nous devons établir les bases : respecter ces critères pour qu’une course soit homologuée, et ainsi garantir l’équité sur toutes les plateformes.
Est-il possible d’organiser un Tour des Flandres virtuel à la même date ou à la même période que le Tour des Flandres réel ?
Si une plateforme ou un organisateur de course sur route, par exemple le Tour des Flandres, venait nous voir pour proposer une version virtuelle au même moment, nous serions évidemment ouverts à cette discussion. Cela ne s’est pas encore produit. Je pense qu’ASO a fait un excellent travail avec Zwift pendant la période COVID, avec le Tour de France virtuel. Si j’étais un organisateur de course, ce que je ne suis pas, j’encouragerais la participation virtuelle, car c’est une manière d’augmenter le nombre de participants, d’attirer plus de spectateurs, de fans, et d’améliorer les chiffres d’engagement. Si un comité d’organisation ou une plateforme venait nous voir, nous pourrions certainement les aider à réaliser ce projet, sans aucun doute.
« LES JEUNES SONT PLUS CONNECTÉS À L'E-SPORT »
En matière d’attractivité, comment évalues-tu cette discipline jusqu’à présent ?
Elle est encore petite. Nous ne chercherons jamais à remplacer les autres disciplines. Le cyclisme virtuel en tant qu’activité est une solution entre ne pas faire de vélo et rouler à l’extérieur. Peut-être que la météo est mauvaise, ou que vous manquez de temps. Peut-être que vous récupérez d’une blessure. Il y a une infinité de raisons pour lesquelles, au lieu de participer à une course de cyclo-cross ou de route, vous choisiriez normalement de ne pas faire de vélo. Mais maintenant, le cyclisme virtuel est une option. Pour l’UCI, l’e-sport est un moyen d’amener plus de gens à faire du vélo, ce qui est notre objectif en tant qu’organisme international : amener plus de monde à rouler.
Pourquoi l’e-sport cycliste est-il intéressant pour le public ?
D’un point de vue visuel, on peut contrôler la narration, créer des éléments graphiques ou visuels comme dans un jeu vidéo, ce qui attire l’attention. Mais je pense aussi que l’interaction est la clef. Un spectateur peut devenir participant. Prenons un exemple : vous regardez une course comme le Tour des Flandres ou Paris-Roubaix, mais vous ne pouvez pas aller rouler immédiatement sur ces routes. Avec l’e-sport, vous pouvez, en théorie, monter sur un home-trainer après la diffusion d’une course, charger le parcours, et vivre exactement la même expérience que les professionnels. Cela crée un lien unique entre les spectateurs, les fans et les athlètes. Vous ne pouvez pas le faire dans beaucoup d’autres sports. Vous ne pouvez pas jouer à Wimbledon ou au Camp Nou après avoir vu un match de tennis ou de football. C’est un avantage incroyable que nous devons exploiter davantage. Mais je pense qu’il s’agit aussi de toucher des publics plus jeunes. Les jeunes aujourd’hui sont beaucoup plus connectés à l’e-sport qu’à certaines disciplines traditionnelles. Nous avons donc l’opportunité d’utiliser cette discipline pour attirer un public nouveau, plus jeune, et passionné par la technologie. Cela peut servir de porte d’entrée vers d’autres disciplines du cyclisme.
« UN MOMENT PASSIONNANT POUR LE CYCLISME »
Et qu’en est-il du niveau des athlètes ?
Nous avons vu des courses très compétitives. Le niveau semble s’améliorer chaque année. Nous commençons à voir émerger de véritables spécialistes de l’e-sport cycliste. Ces coureurs ne sont pas nécessairement performants sur route ou dans d’autres disciplines, mais ils excellent dans cet environnement spécifique. À l’avenir, nous pourrions voir des équipes e-sport distinctes, des sponsors dédiés à ce format, et même des carrières professionnelles construites exclusivement autour de l’e-sport. Cela prendra du temps, mais le niveau actuel est déjà très impressionnant, et cela ne fera que s’améliorer.
Pour toi, l'e-sport est donc loin d'être à son apogée...
Je dirais simplement que l’e-sport cycliste est encore en pleine croissance, mais il a un énorme potentiel. Il offre des opportunités pour engager un public plus large, intégrer la technologie dans le cyclisme, et permettre à plus de gens de vivre le sport, peu importe où ils se trouvent. C’est un moment passionnant pour le cyclisme et pour le sport en général. Nous sommes impatients de voir où cela nous mènera dans les années à venir.