Le long chemin vers la licence unique

Crédit photo DirectVelo

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Pendant le confinement, avec l’arrêt des compétitions, la fragilité des équipes pros a, encore une fois, été mise en évidence. Des voix ont demandé une réforme. Une de plus. Car depuis sa création le cyclisme est professionnel et les réformes se sont succédées. DirectVelo vous propose de réviser l’histoire des structures du cyclisme pro. Septième rendez-vous : Le long chemin vers la licence unique

LE CIO VEUT SORTIR LE VÉLO

Depuis la séparation voulue par les Anglais aux Jeux Olympiques, les licenciés amateurs et les pros ne courent plus ensemble. Pour ne rien arranger, les pays communistes font des Jeux Olympiques une vitrine nationale à partir de l'après-guerre. Pour rien au monde, ils ne risqueront de disqualifier des J.O. leurs meilleurs coureurs (qu'ils entretiennent comme des pros en réalité) à cause d'une participation à une course avec des professionnels. Les pays de l'est s'accommodent parfaitement de la doxa olympique défendue par le très anglo-saxon Avery Brundage, Président du CIO jusqu'en 1972.

De plus, le CIO des années 60 veut éjecter le cyclisme du programme olympique car il considère que la séparation pro/amateurs n'est pas assez étanche. Le CIO pense la même chose du football mais s'est mis à plat ventre devant la FIFA qui menaçait d'organiser un tournoi pirate.

Au congrès « des Jeux Olympiques » de l'UCI qui se tient fin Octobre 1964 à Tokyo, la fédération se montre divisée car de nombreuses fédérations n'ont pas de secteur professionnel . Le délégué de la fédération du Mexique, M. Ernesto Grobet Palacia, demande que l'UCI se scinde en deux fédérations, une de professionnels et l'autre d'amateurs. Il est suivi et en 1965, la FIAC (1) pour les amateurs et la FICP (2) pour les pros sont constituées à l'intérieur de l'UCI. Hein Verbruggen passera par la FICP pour prendre le pouvoir. Il sera aussi celui qui dissoudra les deux fédérations internes pour n'en refaire qu'une seule.

Pourtant, nombreux sont ceux qui plaident pour une licence unique, en particulier du côté français.

« NOUS N'IRONS PLUS AUX JEUX »

En 1939, la fédération hollandaise a enfin la peau des Indépendants français. Elle obtient de l'UCI que les coureurs cette catégorie ne puissent plus être reclassés Amateurs pour participer au Championnat du Monde. Deux ans plus tôt, Paul Rousseau le Secrétaire général de l'UCI et président de l'UVF avait riposté. "Allez-vous refuser à l'Indépendant français qui travaille le droit d'être requalifié amateur, alors les licenciés amateurs sont le plus souvent entretenus par des clubs ou des maisons de cycles ?" et il ajoute, "tous les coureurs cyclistes devraient pouvoir courir ensemble". Réaction effarouchée d'un délégué du Congrès de l'UCI à cette proposition. "Et si le Comité olympique ne veut plus de ces amateurs aux J.O. ?". Réplique de Paul Rousseau : "Nous n'irons plus aux Jeux !". Le vélo reste aux Jeux au prix de la mascarade de l'amateurisme marron. "Il en sera ainsi tant qu'il y aura des championnats du monde amateurs et que les Jeux olympiques seront uniquement réservés aux amateurs… ou soi-disant tels", écrit le journaliste Charles Joly dans L'Auto.

Après la guerre, René Chesal, le nouveau Secrétaire général de l'UCI, relance plusieurs fois le sujet dans les années 50. En 1964, même devant le risque de l'exclusion du vélo des JO, il défend encore la licence unique. Son successeur, le Polonais Michal Jekiel pousse dans le même sens. Le 1er décembre 1979 il se prononce pour l'ouverture des J.O. à toutes les catégories.

Les organisateurs sont eux aussi pour la licence unique. Ils sentent bien que si le monde pro reste limité à 5-6 pays, il aura du mal à se développer. Quand il était journaliste avant-guerre, Félix Lévitan pressentait et espérait l'internationalisation.

DÈS 1948, LE TOUR VEUT DES SÉLECTIONS AMATEURS

En marge de la réforme de 1958, l'AIOCC demande fermement à l'UCI de permettre la délivrance d'autorisations aux amateurs de l'Est de plus de 24 ans pour courir des épreuves en ligne et par étapes aux côtés des pros de l'Ouest. En particulier, les organisateurs du Tour et du Giro sont en pointe sur ce dossier.

Début 1958, on parle d'une sélection colombienne au Giro, menée par Luigi Casola, ancien coureur italien établi en Colombie. Dix ans plus tôt, les organisateurs du Tour avaient demandé l'autorisation à Achille Joinard, président de l'UCI, d'inviter des sélections de Suède, d'Uruguay et de Hongrie. En vain.

Après le Tour 1966, les organisateurs frappent un grand coup. La course a été marquée par une entente manifeste entre Rudi Altig et Lucien Aimar qui ne sont pas dans la même équipe. Ils annoncent qu'ils inscrivent leur course au calendrier amateur et que le Tour sera ouvert aux pros et aux amateurs. Félix Lévitan a beau être le patron, la FIAC s'y oppose et le projet capote.

LA VOGUE DE L'OPEN

Le vélo n'est pas le seul sport concerné par la question. En 1968, le tennis passe à l'Open. L'Open semble inévitable mais ce sont les équipes et les coureurs qui freinent.

En 1973, les équipes pros torpillent le projet des organisateurs du Tour de Catalogne d'ouvrir leur course aux amateurs. Maurice De Muer, le directeur sportif de Luis Ocana, fait du chantage. Si les amateurs sont absents, alors il engagera le grand champion espagnol futur vainqueur du Tour. Difficile pour les organisateurs de résister.

Il faut donc attendre 1974 pour voir l'arrivée de l'équipe de Pologne avec Ryszard Szurkowski le champion du Monde amateur dans le peloton de Paris-Nice. La même année, le Tour de l'Avenir, l'Etoile des Espoirs et le Tour de Pologne sont déclarés open. Le mouvement est lancé pour de bon. Le Tour du Luxembourg et le Circuit de la Sarthe suivent.

LA PROPHÉTIE DU FILS TORRIANI

Le Tour open revient régulièrement sur le tapis. Après le Tour 1977, les organisateurs demandent à l'UCI de pouvoir déclarer leur course open s'il n'y a pas assez d'équipes pros candidates car le cyclisme pro manque vraiment de sang neuf.

En 1981 le Giro et le Tour sont inscrits au calendrier open. La venue de l'équipe de Colombie et d'URSS est longtemps envisagée au Tour d'Italie, mais la fédération soviétique renonce au dernier moment. Elle juge le Giro "trop long, trop dur". Pourtant Vincenzo Torriani, l'organisateur de la course rose avait pris le soin de réserver son Tour aux Amateurs d'au moins 23 ans. Son fils Marco a d'ailleurs cette réflexion prophétique : "La grande évolution pour les années à venir sera un cyclisme avec deux catégories. Il y aura les moins et les plus de 23 ans".

Au final, il faut attendre 1983 pour voir le premier Tour de France open avec une équipe de Colombie au départ. Et encore, les organisateurs des courses amateurs étaient contre le projet. En 1985, l'URSS envoie une équipe à la Vuelta. Les résultats ne tardent pas. En juin 1984, Martin Ramirez « l'amateur » bat Bernard Hinault au Dauphiné.

L'open rentre dans les mœurs jusqu'à la licence unique de 1996, le vieux rêve de René Chesal enfin réalisé. Entre temps, la chute du Mur de Berlin en 1989 a facilité le passage des coureurs de l'Est chez les pros plus que toute réforme du cyclisme.

(1) Fédération Internationale Amateur de Cyclisme
(2) Fédération Internationale du Cyclisme Professionnel

Notre dossier - Les 1001 réformes du cyclisme pro :
-Les pros et les amateurs : des diables et des petits saints
-La bataille de la licence pro
-Il y a du monde dans le peloton
-Des primes de départ aux courses protégées
-L'UCI laisse passer la révolution des extra-sportifs
-Les organisateurs prennent la main
-Le long chemin vers la licence unique
-Hein Verbruggen, le révolutionnaire
-Du Top Club au ProTour
-Un retour et le WorldTour
-Le retour du classement UCI

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