La Grande Interview : Jérémy Lecroq

Crédit photo Nicolas Gachet - DirectVelo.com et Thomas Maheux - www.thomasmaheux.photodeck.com

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Jérémy Lecroq admire les « marmules », ces coureurs poids lourds et pédalée légère qui s'illustrent sur les classiques du Nord et fracassent du pavé. Lui aussi, il vit pour ces épreuves, pour les sprints également. Logique, le coureur du CC Nogent-sur-Oise a été retenu en Equipe de France pour les Championnats du Monde Espoirs la semaine prochaine. Le circuit de Doha, au Qatar, n'a pas de Chemin des Prières comme à Paris-Roubaix ni de voie à bordures comme à Gand-Wevelgem, mais il tend les bras aux hommes rapides. Classé 5e du ZLM Tour au printemps et plus récemment 3e du GP de Blangy, la finale de la Coupe de France DN1, Lecroq, 21 ans, espère être à l'aise sur le Mondial, pour lui ou au service des autres. « J'ai toujours aimé me faire mal aux jambes dans un objectif de conquête. Je cours pour accrocher mes rêves », dit-il. Ce rouleur-sprinter est, il est vrai, du genre à prendre la vie du bon côté. Regonflé à fond par une balade dans les Alpes ou par un stage avec l'équipe Continentale Klein Constantia cet été (lire ici), dans un bel environnement de « marmules ».

DirectVelo : On parle souvent des grimpeurs de l'Equipe de France Espoirs pour leurs résultats, encore tous frais, avec la victoire de David Gaudu sur le Tour de l'Avenir, par exemple. On vous oublie un peu, vous, les coureurs de classiques ?
Jérémy Lecroq : C'est un peu normal. A part le Championnat du Monde qui est taillé pour des coureurs cette année, nous n'avons plus de course qui nous est favorable après le mois de mai. Les grimpeurs prennent ensuite la relève et on a un très bon groupe en Equipe de France. Mais, pour les classiques, nous avons un noyau dur d'une petite dizaine de coureurs, qui tient bien la route. Disons simplement qu'on commence notre saison plus tôt.

Et votre saison s'arrête presque fin mai, le soir de Paris-Roubaix Espoirs ?
On peut encore se rabattre sur de beaux objectifs comme les Championnats de France, des manches de Coupe de France, des épreuves UCI de classe 2. Mais la page est lourde à tourner le soir de Paris-Roubaix. C'est la dernière des classiques. Pour ma part, je prends trois jours pour souffler et me remobiliser. Au début, c'est un peu dur à encaisser. Tu ne reverras pas un bout de pavé avant un an... Tu es cassé, tu as besoin de récupérer, tu es vidé nerveusement, mais tu ressens un manque. Parce que, forcément, quand tu aimes les classiques, tu vis pour ça.

« LES COUREURS DE CLASSIQUES SE DONNENT A 1000 % »

Pourquoi as-tu ces courses d'un jour dans le cœur ?
A la télé, tu vois l'effort marqué sur le visage des coureurs. Je regardais tous les Paris-Roubaix ou les Tours des Flandres à la télé avec mon cousin. On était fasciné par la beauté des classiques. Les coureurs se donnent à 1000 % et le public en redemande. J'allais aussi voir le départ, qui est donné pas très loin de chez moi, à Compiègne. Tom Boonen, quand tu le vois passer, il dégage une grosse impression : tu sens qu'il est parti pour faire la guerre pendant 250 km. C'est un athlète fait pour ces courses, tu le vois dans son regard et dans son corps. Les coureurs de classiques sont de sacrées « marmules » !

Toi, tu es apprenti « marmule » ?
Je ne sais pas. Il y a des gens beaucoup plus forts physiquement. Prenez mon coéquipier Vincent Ginelli : il fait 1m92 pour 83 kilos (lire ici). Quand il écrase les pédales, ça fait mal ! Lui, il est sur le chemin des marmules !

C'est un hasard si tu aimes les classiques et si tu marches bien dans ce registre ? Imagine que tu adores Paris-Roubaix mais que tu sois grimpeur : ce serait dommage !
Ah, mais j'adore la montagne ! C'est elle qui ne m'aime pas ! [rires]. Comme tout le monde, je suis le Tour de France à la télé. Mais les classiques du Nord, c'est encore autre chose : tous les coureurs sont fascinés par les images, y compris les grimpeurs. Et plus tu les cours, plus tu deviens adepte !

« ENERVE, J'AI ARRÊTE LE VELO PENDANT UN AN »

La passion grandit ?
Quand j'ai découvert Paris-Roubaix chez les Juniors, je passais du rêve à la réalité, avec un public en plein engouement, qui attendait de voir passer les pros quelques heures après nous : les gens nous empêchaient presque de passer sur les secteurs pavés. Ça résume bien ce qu'est une classique : la passion des gens, les coureurs qui doivent se battre pour faire une place...

Cette bagarre, elle est toujours réglo ?
Non ! Il y a ceux qui savent frotter sans tomber ou faire tomber les autres, et ceux qui se jettent comme des bourrins et créent la chute. Personnellement, je n'y vais pas de main morte, mais je pense rester réglo.

Il paraît que tu es de mauvais poil sur le vélo ?
[Il rit.] C'est vrai, je peux être ingrat pendant les courses, limite con... Mais en-dehors, je suis un garçon très calme.

On l'entend aussi, oui. Tu es très fidèle à ta bande d'amis, par exemple ?
Oui, je me sens reconnaissant de tous ceux qui m'ont aidé et avec qui j'ai partagé des moments de plaisir. Autant que possible, je vais filer un coup de main aux gens du PAC 95, mon premier club. C'est là que j'ai pris ma première licence en 2002, avec mon cousin. Mon oncle nous a déposés à l'école de cyclisme, on s'amusait autour des quilles. Un jour, on fait une course sur deux tours et Aurélien Noël m'a battu avec une belle avance. Ça ne m'a pas plu. Je lui ai dit : « Allez, on rentre ! ». J'étais tellement énervé que je n'ai pas touché le vélo pendant un an.

A cause de la défaite ?
C'est le souci du vélo : j'adore gagner, même si c'est rare d'y parvenir...

« PROFITER DE MA CHANCE »

Et, donc, tu reprends le vélo au bout d'un an avec un désir de revanche ?
Oui, et je me suis mis à gagner très vite. La victoire te donne envie de revenir. Je dois en être à cent « gagnes » à l'école de vélo. Je me suis pris au jeu. Mais, chez les Minimes, tout à coup, plus rien. J'étais devenu rondelet, je ne marchais plus. Le vélo m'apparaissait comme très dur.

Pourtant, cette fois, tu as choisi de continuer ?
Je faisais du vélo pour me retrouver avec les copains. Egalement pour continuer d'y croire. Tu ne sais jamais de quoi sera fait le futur. Effectivement, les résultats sont revenus quand je suis passés en Cadet. En Junior, je me suis mis en mode « sérieux ». C'est le moment où j'ai rejoint le club d'Argenteuil, qui a aussi beaucoup compté pour moi.

Il faut toujours y croire dans ce sport ? Quitte à être « naïf » ?
Ce n'est pas une question de naïveté. Je veux profiter de la chance que j'ai de faire du sport. Profiter de ce que je vis.

Tu as tendance à prendre les événements du bon côté ?
C'est dans ma nature. Il y a eu des moments difficiles cette saison. Entre les blessures, la maladie, la malchance, j'ai commencé à me décourager une bonne dizaine de fois (lire ici). Mais c'était passager. J'essaie de rester positif. Il y a toujours quelque chose à sauver dans une course. Paris-Roubaix Espoirs était un gros objectif. J'étais sûr de terminer dans le Top 10 et, si j'étais placé dans la bonne échappée, je pensais gagner (lire son récit à chaud). Tout semblait bien se passer : nous sommes revenus sur l'échappée, j'avais de très bonnes jambes...

Mais, patatras ! Tu crèves à cinq kilomètres de l'arrivée ?
J'ai eu beaucoup de mal à encaisser. Mais le positif a repris le dessus. J'ai quand même montré que j'avais le potentiel pour gagner cette course un jour. C'est motivant pour la suite, non

« JAMAIS RASSASIE »

Comme à l'école de cyclisme : tu te laisses porter par la victoire ou l'attente de la victoire. En cyclisme, l'espoir fait vivre ?
J'ai toujours aimé me faire mal aux jambes dans un objectif de conquête. Je cours pour accrocher mes rêves.

Que se passera-t-il quand tu en auras réalisé quelques-uns ?
Je fabriquerai de nouveaux rêves. C'est le propre du vélo : tu n'es jamais satisfait, jamais rassasié. Tu dois toujours aller plus loin.

Comment tu t'y prends pour t'évader ?
Je vous ai pas dit que j'adorais la montagne ? Ma copine a un chalet dans les Alpes, à Saint-Gervais-les-Bains. On y va de temps en temps pour se ressourcer. Je ne suis pas difficile. Un beau cadre, être entouré des gens que j'aime : je suis heureux ! Je déteste faire les magasins à Paris. J'habite dans le Val d'Oise, à vingt minutes de Paris, mais je déteste cette ville. Trop de monde, trop de voitures ! L'autre jour, Nans Peters [le capitaine de route de l'Equipe de France Espoirs, membre de Chambéry Cyclisme Formation, NDLR] me dit : « Tu es Parisien, non ? ». Surtout pas ! Nans me dit aussi : « Ça doit être tout plat pour rouler dans ta région ». Mais je ne m'ennuie jamais ! Je peux faire 200 mètres de dénivelée en trois heures, mais si je veux, je peux atteindre les 2000. Ce coin de région parisienne est idéal. Mais, plus tard, j'aimerais bien vivre à la montagne, que ce soit perché ou installé en bas, dans une vallée.

La montagne, on y revient !
Je ne m'en lasse pas ! Autant j'aime l'agitation et la nervosité sur le vélo, autant il me faut m'isoler dans la nature, oublier un peu le vélo, marcher, marcher... Je pars avec ma copine, on monte en haut d'une montagne, on pique-nique et on redescend. Je me suis tellement baladé l'an passé que j'ai fini par me faire une tendinite en hiver. Quand on aime, on ne compte pas !

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