La Grande Interview : Fabien Grellier

Fabien Grellier a « tapé » les deux sprinters du VC Pays de Loudéac, Erwann Corbel et Cyrille Patoux, pour s'offrir dimanche Manche-Atlantique (lire ici). "Quand j'ai lancé, les autres coureurs étaient déjà dans leur sprint. J'ai tout de suite pris deux-trois vélos d'avance", explique le spécialiste des arrivées en bosse.
Un an plus tôt, le puncheur du Vendée U avait été piégé par Fabrice Seigneur (Sojasun espoir-ACNC). "L'an dernier, j'avais du mal à négocier le final des courses. J'y allais trop tôt ou trop tard". Fabien Grellier a passé un cap cet hiver, notamment grâce à sa présence au stage en Maurienne de l'Equipe de France. Mais il a gardé une grosse dose de stress au départ des courses. Il en a besoin pour obtenir des résultats. Présenté comme hyperactif par des proches, le coureur âgé de 20 ans le reconnaît : "Quand je suis chiant au départ d'une course, c'est qu'on peut avoir du grand Fabien".

DirectVelo.com : Quelle est la différence entre le Fabien Grellier 2e l'an passé et celui qui a remporté dimanche Manche-Atlantique ?
Fabien Grellier : J'ai mûri. Je ne fais désormais que du vélo. Je prends davantage de risques en course. J'étais encore en découverte l'an dernier. L'équipe était à mon service lors des arrivées du style Manche-Atlantique, et je pense que j'étais encore trop jeune pour ça. Aujourd'hui, j'arrive mieux à analyser les choses. Je préfère qu'on me dise au départ d'une course : "Il faut que tu marches, tu dois être présent", plutôt que de me dire de faire ce je veux. Je supporte bien la pression. C'est même ça qui me motive. En fait, j'aime bien avoir la pression.

« J'AIME LE STRESS »

Il se dit que tu es hyperactif...
Au départ de Manche-Atlantique, les autres m'ont dit : "Aujourd'hui, Grellier tu es chiant". J'ai été choisir mes roues. J'ai limé mes patins car j'avais peur des premiers freinages. Je suis passé des roues alus aux carbones. J'ai essayé deux-trois fois mon matériel pour voir si tout fonctionnait correctement. On me disait également : "T'es stressé". Oui, je l'étais mais j'aime ça !

Si tu es « chiant » au départ d'une course, c'est donc bon signe ?
Oui ! Il faudrait demander aux autres, mais quand je suis chiant, c'est qu'on peut voir derrière du grand Fabien ! (sourires) Si je ne ne suis pas stressé, c'est mauvais signe.

Tu as toujours été comme ça ?
J'ai essayé de m'enlever cette pression en milieu d'année dernière. Les autres me disaient que c'était pénible de me voir stresser ou être à 150 à l'heure avant une course... Mais je me suis rendu compte que si j'enlevais ce côté-là de moi, ce n'était plus la peine de continuer le vélo... J'ai besoin qu'on me mette la pression, qu'on me dise que je dois marcher tel jour... J'arrive à être là sur les grands rendez-vous. Je ne suis pas passé loin l'an dernier sur le Championnat de France, ou encore Liège-Bastogne-Liège (17e), Paris-Roubaix (5e) et Manche-Atlantique (2e). J'arrive à être présent sur des grandes classiques car je me mets une pression que je ne me mets pas sur d'autres courses. Sur une Elite, on attend plus le collectif, on m'en demande moins que sur une grande course.

Ce n'est pas une question de motivation ?
Je suis motivé car j'ai toujours envie de gagner ! Mais je n'ai pas le stress qu'il faut pour frotter. A Manche-Atlantique, il y a eu une grosse chute. Pour l'éviter, il fallait être placé, toujours être dans les 15-20 premiers du peloton. J'aime courir à l'avant du peloton. J'apprécie également quand tout se joue dans le final d'une course. C'était le cas l'an dernier à Liège. Un coup était parti et la BMC avait contrôlé toute la journée. Il faut toujours être devant pour éviter la chute. Sur une Elite, ce n'est pas le cas car ça part souvent dès le début.

« J'AI COMPRIS QUE L'ARMEE NE GAGNERAIT PAS »

Et pendant la course, tu te comportes comment dans un peloton ?
Je parle beaucoup avec mes coéquipiers. Nous parlons d'ailleurs plus depuis le début de saison, et c'est ce qui fait que ça marche cette année. Je suis stressé, j'aime que l'équipe soit prête à réagir, qu'on ne soit pas à contre-temps. Quand on perd le fil de la course, ça peut nous jouer des tours. L'an dernier, je pouvais mettre l'équipe dans le rouge alors qu'il n'y avait pas forcément besoin... J'arrive mieux à gérer ça. J'ai compris dimanche, à Manche-Atlantique, en voyant l'Armée de Terre qu'elle n'était pas à 100 %, qu'elle n'allait pas gagner la course. Yann Guyot a dit à ses coéquipiers à un moment "On ne gagnera pas comme ça". C'est une chose que j'aime entendre ! Je me suis empressé d'aller dire à mes coéquipiers que l'Armée n'était pas bien, qu'elle n'arrivait pas à faire ce qu'elle voulait.

Tu es donc très observateur ?
Oui, j'observe et j'essaie de faire ce que les autres veulent mettre en place. A Manche, quand l'Armée a lancé au pied, je savais qu'il fallait être dans les trois-quatre premiers. Il ne fallait pas enlever le grand plateau. Je suis monté sur la plaque dans les trois derniers tours. Pour la dernière montée, je n'ai donc pas eu besoin d'enlever le grand plateau. Erwann Corbel (2e) a dit qu'il avait déraillé, mais il faut tout monter sur la plaque lors de ce type d'arrivée pour éviter le moindre problème.

Plus tes adversaires sont stressés, mieux c'est pour toi ?
Au départ des grandes courses, je sens que les coureurs sont nerveux. Comme je l'ai dit, moi j'arrive à bien supporter le stress. L'an dernier, personne n'aurait misé sur un Top 5 de ma part au départ de Paris-Roubaix Espoirs (lire ici).

« MES DIRECTEURS SPORTIFS M'ONT DIT "T'ES CON OU QUOI ?" »

Comment expliques-tu que tu n'as pas gagné la moindre course l'an passé malgré seize Top 10 ?
J'ai manqué de réussite, j'ai commis beaucoup d'erreurs. Je pense à Manche-Atlantique ou Paris-Chalette-Vierzon (2e). Je laisse partir Alexis Dulin à un kilomètre de la ligne. Mes directeurs sportifs m'ont dit à l'arrivée : "Tu es con ou quoi ? Tu ne réfléchis pas ?" J"avais qu'un seul coureur à suivre car Yann Guyot venait de fournir un gros effort. Maintenant, je sais mieux analyser ce type de final. J'en ai beaucoup parlé avec le Vendée U cet hiver. J'avais obtenu de nombreuses places mais aucune victoire. Un truc n'allait pas. Cette année, c'est bien parti avec deux victoires en un mois. Ça ne m'était jamais arrivé.

Tu as intégré l'Equipe de France cet hiver. Ça change quelque chose dans ton comportement ?
Ça m'a fait du bien. Le stage en Maurienne a été un déclic. Nous n'avons pas fait de vélo. J'ai pratiqué d'autres activités. Nous avons parlé de tout et de rien avec d'autres coureurs. Je pense que ça m'a vraiment aidé. Il ne faut pas faire que du vélo... Ce n'est pas parce que tu roules plus que tu marcheras mieux. Ce n'est pas souvent le plus fort qui gagne les courses. J'arrive davantage à me contrôler en dehors du vélo. Et je retrouve cette gnaque avant une course. J'ai été cherché la victoire au Circuit des Plages Vendéennes car je voulais absolument que l'équipe gagne une manche. Les Norvégiens n'étaient pas invincibles contrairement à ce que certains affirmaient. Je voulais le prouver.

Pourtant, tu ne fais que du vélo cette saison...
J'ai terminé mon bac pro l'an dernier. Je ne fais que du vélo mais j'ai aussi plus de passions. On me disait que c'était bien de travailler, que ça me coupait du monde du vélo... Oui et non en fait. Le dimanche soir, tu as la pression car tu sais que tu es attendu sur un chantier le lundi matin à 8h30. Ce n'est pas plus facile. Maintenant, le lundi je fais une petite décontraction, et l'après-midi je vais pêcher ou je pratique une autre activité qui me permet vraiment me reposer. Avant, je n'avais pas ces moments-là.

Avoir travaillé comme carreleur, ça t'aide sur le vélo ?
Je sais ce que c'est de travailler toute la journée. Aujourd'hui, je ne peux pas considérer le vélo comme un "métier". C'est un plaisir. Chaque début de semaine, j'ai hâte de rejoindre les copains avant les courses au Manoir aux Essarts. Je sais qu'on va se fendre la gueule. C'est la preuve qu'il y a une bonne entente, sinon nous allons à reculons retrouver ses coéquipiers...

« JE NE SUIS PAS UN COUREUR DE TALENT »

Etre Vendéen au Vendée U, ça change quoi ?
L'an dernier, j'étais déçu à l'issue du Circuit des Plages Vendéennes. Nous n'avions pas gagné de manche alors que nous avons le nom du département sur le maillot. Je ne connais pas toute l'histoire du Vendée U. Je sais qu'il a été fondé par Jean-René Bernaudeau. C'est grâce à lui s'il y a toute cette structure aujourd'hui. Nous devons respecter ce maillot, gagner des courses avec.

Plus jeune, ton rêve était de rejoindre un jour l'équipe phare du département ?
J'ai pris ma première licence en milieu de saison, en Cadet 2e année. Mon père faisait un peu de VTT mais pas de vélo en compétition. J'ai rejoint le VC Aizenay en allant à un forum des associations au Super U du coin. L'année suivante, en 2010, j'étais allé en spectateur voir une arrivée du Circuit des Plages Vendéennes à Beauvoir-sur-Mer. Le Vendée U avait fait le triplé (Jules, Maugé et Hurel, NDLR). Je m'interrogeais du coup sur cette équipe. On m'a informé que c'était la réserve de l'équipe pro Europcar. Je m'en suis rapproché ensuite en intégrant le Pôle Espoirs de la Roche-sur-Yon. J'ai beaucoup appris auprès de Richard Tremblay. C’est grâce au Pôle s'il y a de plus en plus de Vendéens au Vendée U. Nous ne sommes pas talentueux à la base mais au pôle, on nous inculque l'envie de travailler.

C'est sévère non ?
Je me considère comme un travailleur. Bosser, c'est la base. Tu n'obtiens rien sans le travail. Je ne suis pas un coureur de talent. La preuve, je n'ai pas gagné de course chez les Cadets. Je manque rarement un entraînement. La semaine dernière, j'avais une sortie de quatre heures à faire. Je l'ai écourtée de 30 minutes car il a plu toute la sortie. En temps normal, je suis davantage du genre à rajouter 15 ou 20 minutes à un entraînement.

« JEAN-RENE BERNAUDEAU SAIT QUAND UN COUREUR EST PRET »

Le Vendée U dit toujours qu'il n'y a pas de leader dans sa structure. Est-ce vraiment le cas ?
Chacun peut faire sa course. Le plus bel exemple est arrivé dimanche dernier à Manche-Atlantique. Antoine Leplingard s'est retrouvé dans l'échappée de six coureurs, nous lui avons fait entièrement confiance. Notre directeur sportif Damien Pommereau l'a suivi les trois-quart de l'échappée alors que derrière, nous aurions pu avoir des crevaisons. Moi, je ne veux pas avoir de statut protégé. Je me vois mal donner un k-way à un coéquipier. Si tu commences à agir ainsi chez les amateurs... Puis on voit le potentiel d'un coureur quand tout le monde part sur un même pied d'égalité. Par exemple, nous pourrions faire un train toute la course pour nos sprinters, Romain Cardis et Simon Sellier. Mais ils ne le demandent même pas. Ce n'est pas notre état d'esprit.

Après le Vendée U, quand on marche, la suite logique c'est le Team Europcar...
Bien sûr, j'ai envie de passer professionnel. Je fais totalement confiance à Jean-René Bernaudeau dans sa quête d'un nouveau partenaire pour 2016. Et je lui fais confiance pour un éventuel passage dans l'équipe pro. Il sait quand un coureur est prêt. Il n'y a que des coureurs comme Thomas Boudat et Bryan Coquard qui peuvent passer au-dessus à la fin de la deuxième année Espoir. Si on n'a pas leur talent, je trouve même que c'est une connerie d'y aller trop tôt. Il faut arriver chez les pros avec un gros moral car c'est un autre cyclisme. On peut vite passer de plusieurs victoires dans une saison à abandonner des courses régulièrement...

Crédit photo : Eléa Gautier
 

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