Eglantine Rayer : « C'est pour ça qu'on adore ce sport »

Crédit photo Patrick Pichon - FFC

Crédit photo Patrick Pichon - FFC

La voilà la médaille mondiale. Couronnée Championne d’Europe cet été, et vice-Championne d’Europe sur le contre-la-montre, il manquait encore une breloque des Championnats du Monde dans la collection d’Eglantine Rayer. Depuis ce samedi matin en Australie, c’est chose faite. Malgré une Zoe Backstedt intouchable, partie dans un chrono de presque 60 kilomètres, la Normande a été la meilleure « des autres », et s’est offert une médaille d’argent aux reflets dorés (voir classement). Un soulagement après un chrono où elle est passée à travers (lire ici), sans pouvoir en expliquer la raison encore quelques jours après. Après avoir digéré cette tempête d’émotions, Eglantine Rayer est revenue avec DirectVelo sur ce séjour australien, qui avait commencé en cauchemar, et qui s’achève en doux rêve. Une douce mélopée qui conclut aussi son cursus Junior, puisqu’il s’agissait de sa dernière course.

DirectVelo : On t’imagine soulagée !
Eglantine Rayer : Le sentiment est net, je me sens très bien. J'ai fini ma saison, je suis vraiment dans une bonne humeur. Je suis en Australie, avec des gens que j'apprécie, tout se passe bien, tout va bien. Et maintenant je suis vice-Championne du Monde, je ne peux que bien le vivre. Je crois qu’aujourd’hui le titre n’était pas forcément atteignable. On a fait ce qu'on avait à faire, je suis vraiment contente.

« QUEL SPORT DUR, QUEL SPORT MÉCHANT ! »

Tu avais une revanche à prendre après le chrono…
Complètement. J’ai eu un gros, gros coup de mou, je ne suis pas arrivée dans les meilleures conditions. Je venais de vivre une semaine compliquée avec la rentrée, l'appart etc. C’est une nouvelle organisation. Le chrono s'est vraiment très mal passé, et ne pas avoir d’explication pour quelqu'un de rationnel, c'est compliqué. Je n'ai toujours eu aucune réponse, et je n'en aurai jamais. C’est dur à digérer, mais la course en ligne s'enchainait, les filles sont arrivées, alors j'ai réussi à me concentrer et passer à autre chose. J'ai vraiment touché le fond, je me disais mais quel sport hyper dur, quel sport méchant ! J'ai tout donné à l'entrainement, et tout ça pour quoi… on ne sait pas. Mais j'ai réussi à m'en servir, et quand je suis énervée, ça marche mieux. Là je l'étais (sourire) ! J’ai dit « là tu vas rebondir, pour l'équipe, pour tout ce que tu as fait et tes saisons Juniors, tu dois tout donner ». Et j'ai réussi à rebondir.

Comment se sont passées ces journées qui ont séparé le chrono de la course en ligne ?
On n’a pas eu d'explications, on a cherché mais sans plus. Je n'ai pas très bien dormi. On a regardé les données sans creuser plus, pour réussir justement à vite switcher sur la course en ligne. Il ne fallait pas rester sur le chrono et le remodeler dans tous les sens. Je n'y connais rien en données, mais il n’y avait rien de vraiment mauvais. C'était difficile, mais même en revenant je ne chercherai pas. La saison est terminée, c'est tout. Le chrono est raté, je ne visais rien... mais certainement pas une 16e place. Des gens bienveillants m'ont dit que ça existait un jour sans, mais quand c’est sur un Championnat du Monde, ça fait bizarre et il faut l'encaisser. Je me suis dit « d'accord, it is what it is (sourire) ». Et finalement on n’est pas venu pour rien quand même !

« J’AI EU DU MAL À ME DIRE QUE C’ÉTAIT FINI »

Il y a une certaine Zoe Backstedt qui n’est pas non plus venue pour rien, et qui l’a encore montré !
Je montais la bosse à un bon train. Je la regardais, je regardais son état, elle avait l'air entamée mais quand même présente. À la bascule j'ai continué un peu, j'entendais que ça ne pédalait pas derrière moi. Et derrière moi… c'était elle. Elle est arrivée avec énormément de vitesse, sans pédaler, c’était hyper humiliant (rires). Elle est partie sur l'inertie, sur son poids. Même Alizée (Rigaux) qui était derrière n'a pas réussi à sauter dans sa roue. On ne pouvait juste rien faire. Ensuite elle a fait son chrono. On lui reprenait dans la montée, parfois 45 secondes, mais elle en reprenait ensuite sur le plat à hauteur de 50 secondes. Mais j'ai eu du mal à me dire que c’était fini, les filles me disaient « Eglantine, elle a 2’10 » (rires). On ne devait pas lui laisser un mètre, on a tout fait pour mais ce n'était pas possible. Donc je ne suis pas déçue, c'est ouf d'être vice-Championne du Monde. J'étais extrêmement en forme. Mais dans la descente je ne pouvais pas m'inventer 50 kg en plus, et je l'ai peut-être un peu lancée en pédalant (rires). Mais avec le braquet 14 on ne peut pas faire grand chose, ça se joue au poids et c'est le jeu !

Tu as dit que tu n’arrivais pas à arrêter d’y croire. Comment était l’état d’esprit dans l’équipe durant ces longs kilomètres de chasse ?
Je voulais qu'on continue de rouler quand même, et on a eu le conseil d'Emilian (Broë, le sélectionneur, NDLR) qui nous a dit qu'il fallait qu'on arrête, que ça ne servait à rien, j'ai fait « bon, d'accord » (sourire). Après il y a eu des attaques. L’une des seules erreurs a été de laisser partir Nienke Vinke. Puis Kopecky et Ruetschi. L'erreur a été là. Il a fallu boucher. J'avais prévu de faire la dernière bosse à bloc, alors que je ne faisais que la dernière partie les tours précédents. Mais là je devais creuser l'écart. Si je ne basculais pas avec Vinke, je ne la rattrapais jamais et on aurait joué le bronze, et encore, on aurait fait 10, je pense. J'ai fait tout à bloc et je suis contente parce que j'ai réussi à boucher les 45 secondes, c’est pour dire que j'étais vraiment bien.

« IL Y AVAIT L’ANGE QUI PARLAIT EN MOI… ET IL Y AVAIT L’AUTRE VOIX »

Il y a justement eu ce bras de fer avec Nienke Vinke ensuite…
Je suis rentrée, on bascule ensemble, on a collaboré. Sur la partie plate, j'ai complètement calé, j'avais du mal à passer, mais j'ai continué. C'était à l'image du chrono où j'étais collée sur le plat. Elle me disait « go, go, go on doit continuer », mais j'étais à fond de cale. En plus on se connait bien comme on sera à la DSM ensemble. Je me suis retournée, elle était trois mètres derrière, j'ai dit « c'est bon elle va m'attaquer de derrière », et ça n'a pas manqué. Je n’ai même pas levé les fesses parce que j'avais mal aux jambes. Je me suis dit que je n’avais plus qu’à me battre pour la 3e place.

Et pourtant…
… Et j'ai vu qu'elle ne creusait plus. Là j’ai dit, « ma fille maintenant tu mets tout ce que tu n'as pas mis sur le chrono, à fond », et j'ai réussi à rentrer, je n'y croyais pas. J'ai passé deux relais dans le final, je lui ai dit que je jouais la 3e place, que je ne pouvais pas passer plus fort, j'ai été honnête. Et quand le sprint est venu, il y avait l'ange qui parlait en moi : « tu lui as dit que tu étais à bloc, tu ne vas pas faire le sprint ». Et il y avait l’autre voix : « reste derrière, tu vas lancer ça de derrière, fais-le pour les filles, qu’est-ce que tu vas leur dire à l'arrivée, tu ne vas pas te re-chier dessus et avoir peur (rires), c'est la fin de ta saison là ». Tant pis, j’ai fait le sprint et je ne regrette pas. Je les aurais eus de ne pas lancer comme au Grésivaudan, de ne pas oser. Tu es sur un Monde, c'est la dernière, donc allez on donne tout !

« JE VIENS DE VIVRE MA DERNIÈRE JOURNÉE DE COURSE EN JUNIOR, C’EST HYPER ÉMOUVANT »

Quel a été le sentiment au moment de passer la ligne, et décrocher enfin cette médaille !
Je ne savais pas trop au début. Je me suis dit que jouer la place de 2 c'était chiant, c'était frustrant. Et puis je me suis dit que non, tout le monde allait être super content, on a joué à la perfection ou presque. Je suis fière de l'équipe, de ce qu'on a fait. C'était une course dans une course avec Zoe devant. D’ailleurs Ninke m'a dit « pour moi, c'est toi la Championne du monde ». J'étais soulagée, j'ai tellement pensé au chrono où j'étais déçue. Ce sport est impressionnant, on passe de la déception à la joie, on a des larmes pour tout, c'est n'importe quoi ! Mais ça en fait la beauté. Il faut se relever et repartir, et c'est pour ça qu'on adore ce sport.

Quel bilan tu tires de ces années Juniors ?
J'ai été crescendo, j'ai eu une progression, énormément de formation. J’en profite pour remercier Julien (Guiborel, l’ancien sélectionneur, NDLR) l'année dernière, Emilian cette année qui nous a formées, il a fait une équipe soudée, David (Louvet, son entraineur, NDLR) qui est venu jusqu'ici, ce fou (sourire), il m'a fait la surprise, et mes parents aussi. Grâce à tout cet environnement je n'ai rien manqué. J'ai été soutenue et j'ai vraiment eu des résultats plus que potables, inattendus. C'est toujours inattendu chez moi, je n'ai vécu que des surprises (sourire). Je suis presque triste de quitter les Juniors, car c'est bon enfant. Mais je sais que je vais vivre des super expériences l'année prochaine. Ici, en Australie, il fait nuit, il est l'heure d'aller manger et je viens de vivre ma dernière journée de course en Junior, c'est hyper émouvant.

As-tu raté quelque chose ?
J’ai profité d’un an en bleu-blanc-rouge, j’ai profité un peu de mon maillot de Championne d'Europe, j’ai plein de copines, une super formation, je pars avec un bagage pas mal. Il ne m'a pas manqué grand chose ! Je suis satisfaite de tout ce qui a pu m'arriver. Je repense à ma première sélection à un stage, j'avais été choquée d’être appelée, et là je suis vice-Championne du monde, c'est impressionnant comme écart. Ça y est, j'ai fini mes années Juniors et je peux passer le flambeau aux J1 et leur souhaiter de vivre toutes ces émotions !

Crédit : Patrick Pichon - FFC

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