Les nouveaux maîtres du sprint

Crédit photo James Odvart - DirectVelo

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Lors du Championnat du Monde sur piste à Berlin, les Pays-Bas et l'Allemagne ont engrangé 17 des 60 bouts de métal. Les deux Nations ont fait une razzia dans les épreuves de sprint. Les Bataves chez les hommes, les Allemandes chez les femmes. Avec à chaque fois la même structure : deux titres individuels pour le même coureur, la vitesse individuelle et le keirin (Harrie Lavreysen chez les hommes, Emma Hinze chez les femmes), un sacre d'un autre athlète aux 500 mètres (Lea-Sophie Friedrich chez les femmes) et au kilomètre (Sam Lightlee chez les hommes) et la victoire collective en vitesse par équipes. 

L'ancien spécialiste du BMX Harrie Lavreysen a donc réalisé le triplé (keirin, vitesse individuelle et par équipes). "C'est incroyable, je n'y comprends rien", soulignait-il en zone mixte. Le sélectionneur Hugo Haak l'a vu “passer plusieurs caps. En pleine forme, il est imbattable. Il l'a montré cette semaine. Il est à fond concentré sur son sport.” Comme il l'a démontré lors de sa demi-finale contre la Malaisien Awang. “J'ai visionné pendant plusieurs heures des vidéos de ses sprints. J'ai imprimé tous les scénarios possibles : quand je suis en tête, quand je suis dans la roue. Quand il fait ça, je réagis ainsi. Ce type de préparation me rassure.”

À TOKYO, LES ROUTIERS POURRAIENT FAIRE DE LA PLACE AUX PISTARDS

En vitesse par équipes, les Pays-Bas ont également un effectif très large. Pour le rôle de lanceur, ils sont deux en balance Roy van den Berg (lire ici) et Nils van 't Hoenderdaal. Harrie Lavreysen est indiscutable en deuxième position et pour le dernier wagon, Jeffrey Hoogland est en concurrence avec Matthijs Büchli et le jeune Sam Ligtee. “Bien sûr, chaque coureur a envie d'y aller, mais il n'y a pas de coup bas ou de règlement de compte dans la presse. Il y a beaucoup de complicité entre les garçons. Ils vont tous dans la même direction”, souligne l'entraineur du sprint Hugo Haak (29 ans), lui aussi un ancien de la vitesse par équipes. “Je ferai tout pour intégrer le team mais ce sont les plus rapides qui doivent être alignés. Je n'aurai aucun problème à être le quatrième homme pour disputer les qualifications. Cela peut faire la différence à Tokyo au niveau de la fraicheur, indique Mathijs Büchli (27 ans).

Cette domination des Pays-Bas est le résulat d'une politique entamée en 2008. “René Wolf a vraiment lancé un programme de sprint en 2008. Depuis cela n'a cessé de se développer”, rappelle l'expérimenté Theo Bos (36 ans) qui a connu toutes les étapes de l'évolution du projet. Compte tenu de ces résultats, la fédération néerlandais envisage de laisser tomber une place sur la route au profit de la piste. Les Pays-Bas pourraient donc sélectionneur Matthijs Buchli comme réserve pour la vitesse par équipes et lui donner une chance au keirin. De plus, ils envisagent de demander au spécialiste de l'Omnium Jan-Willem Van Schip de prendre le départ de la course en ligne. La décision tombera normalement au mois de mars.

LES PAYS-BAS DEVIENNENT LA RÉFÉRENCE

Les performances néerlandaises impressionnent la concurrence, à commencer par Jason Kenny, double champion olympique de la vitesse individuelle. “Ils ont une superbe équipe. Ils forment un ensemble rodé et on sent qu'ils ont la culture de la gagne. Cela se répercute également chez les filles car elles commencent également à progresser en sprint. Il y a un professionnalisme qui se dégage de cette équipe. Ils sont devenus la référence”. Toutefois, la Grande-Bretagne aura à coeur de défendre son rang aux Jeux Olympiques de Tokyo. Cependant, elle n'a ramené qu'une seule médaille d'or (Emma Barker en course aux points) sur ces cinq jours. L'équipe de vitesse (Ryan Owens-Jack Carlin-Jason Kenny) a été largement battue par les Pays-Bas en finale (plus d'une seconde d'écart). En outre, l'équipe de poursuite a dû se concenter de la 5e place.“Peut-être que si Tokyo se passe mal, il faudra revoir le projet poursuite dans sa globalité et nous concentrer sur les courses en peloton”, avertit Stephen Park, le coach de la performance. 

L'ALLEMAGNE, LES PAYS-BAS AU FÉMININ

Chez les filles, Emma Hinze a créé la surprise. Avant de débarquer à Berlin, elle n'a remporté qu'une manche de Coupe du Monde à Minsk, en novembre, au keirin. Elle est devenue la troisième Allemande à s'imposer en vitesse individuelle après Christa Rothenburger en 1986 pour la RDA et Kristina Vogel en 2014, 2015, 2017, 2018. Elle a imité cette dernière qui avait aussi réalisé, en 2014, le triplé magique (vitesse par équipes, vitesse individuelle, keirin). “J'ai vu un peu de Kristina en elle”, avoue Kristina Vogel qui a reçu le prix du mérite de l'UCI durant ce Mondial.

L'entraîneur du sprint allemand Detlef Uibel (60 ans), en place depuis 1996, était admiratif. “Je n'ai jamais vu une sprinteuse gagner avec autant de facilité.” La citoyenne de Cottbus sait d'où vient son succès. “Mon entraineur Alexander Harisanow avec qui je travaille depuis 2017 me fait beaucoup progresser car il observe comment mon corps réagit à la charge d'entrainement.” Néanmoins, elle ne néglige pas l'apport du public local. “Quand tout le monde crie Emma, Emma, cela vous inspire”

Selon le directeur technique de Belgian Cycling Frederik Broché, le succès allemand s'explique par l'investissement dans cette discipline. “Ils ont une structure avec des centres d'entrainements régionaux et un complexe national consacré au sprint. Ils ont mis un peu de temps à digérer l'après-Vogel, mais maintenant ils sont de nouveau au niveau.” Le programme est également bien défini à l'avance. Les athlètes savent exactement ce qui les attend avant d'arriver à Tokyo. “Nous allons prendre dix jours de vacances. Ensuite, nous avons un stage d'entrainement à Majorque. Nous nous entrainons sur la force à Kienbaum. Nous enchainerons avec des sprints sur la piste à Cottbus. Nous irons dans le Sud de la France pour ensuite conclure la préparation au vélodrome de Francfort”, explique Detlef Uibel.

LA GRANDE-BRETAGNE ENCERCLÉE DE TOUTES PARTS

Face à la montée de ces deux pays, peut-on dès lors anticiper sur la fin de l'hégémonie britannique aux Jeux Olympiques ? (13 médailles d'or en cyclisme sur piste sur les deux dernières olympiades). Le directeur technique de Belgian Cycling Frederik Broché, qui a travaillé deux ans chez British Cycling, est de cet avis. "Je les vois moins forts. Ils avaient pour habitude de venir avec du matériel à la pointe, juste avant les Jeux. Maintenant, la donne est différente. Il faut avoir enregistré son vélo de piste au mois de novembre. De plus, les autres pays ont également emboité le pas." Herman Terryn, l'entraineur du sprint français, reste sur ses gardes. “Je les ai déjà vus plus mal à un Mondial en année olympique donc je reste méfiant.”

Le sélectionneur anglais Ian Dyer ne s'affole pas mais a remarqué les progrès de la concurrence“Nous avons pour habitude de nous concentrer sur un objectif en particulier. Nous avons un programme basé sur quatre années. Mais pour la poursuite les autres nations ont investi dans l'aérodynamisme. Quand on regarde à Rio, on voyait des équipes se qualifier avec des temps au-dessus des quatre minutes, maintenant, cela n'aurait pas été suffisant pour remporter le titre mondial chez les Juniors." Et Stephen Park de conclure : "Je ne pense pas qu'on pourra faire une razzia comme dans le passé".

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