On a retrouvé : Karine Gautard-Roussel

Crédit photo DirectVelo.com

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Bien qu’elle préfère désormais en sourire, Karine Gautard-Roussel le concède volontiers ; elle n’est “pas née dans la bonne époque”. Fille très talentueuse sur son deux-roues, tour à tour Championne de France sur route puis contre-la-montre l’année suivante chez les Espoirs, la Normande de Saint-Germain-de-Montgommery (Calvados) était potentiellement promise à un très bel avenir dans le peloton féminin. Mais la précarité des filles dans le milieu, il y a maintenant plus d’une décennie, l’a poussée à tourner la page, dès ses 25 ans. Connue pour ses longues échappées en solitaire, Karine Gautard-Roussel raconte à DirectVelo la vision qu’elle a de l’évolution du cyclisme féminin. Une évolution positive qu’elle admet ne pas avoir imaginé dans les proportions actuelles.

DirectVelo : En 2009, tu partageais déjà ton temps entre le vélo et ta formation d’esthéticienne… Que deviens-tu depuis ?
Karine Gautard-Roussel : Eh bien je suis justement devenue esthéticienne (sourires), depuis une dizaine d’années. J’ai terminé mes études en 2009 puis je me suis mise à exercer aussitôt. Je me suis mise à mon compte avec ma soeur, qui travaillait déjà dans le milieu. Désormais, nous avons deux instituts et c’est beaucoup de travail.

Tu sembles avoir parfaitement géré la période de transition entre la fin de ta pratique cycliste et ton arrivée dans le monde professionnel...
Tout à fait, et c’était le but.  J’avais des garanties car je savais que j’allais travailler avec ma soeur dès la fin de mes études. Je savais aussi que dans le milieu du vélo, je n’allais jamais pouvoir gagner ma vie. A cette époque-là, c’était impensable, alors il fallait bien que je passe à autre chose. Une fois que je me suis mise à travailler, j’ai de suite compris qu’il n’allait pas être possible d’allier les deux. Alors j’ai arrêté le vélo.

« MON ÉPOQUE ET L’ACTUELLE SONT INCOMPARABLES »

As-tu tout de même ressenti un manque, lors de la saison 2010 ?
J’ai disputé ma dernière course en septembre 2009, au Championnat du Monde. J’ai complètement débranché à ce moment-là car de toute façon, c’était la période de la coupure. J’ai quand même repris un tout petit peu pour fêter mon jubilé en février, avec des sorties le dimanche. Puis j’ai cessé complètement… Peu de temps après, je suis tombée enceinte de mon premier enfant et la question ne se posait plus. Mais c’est sûr qu’il y avait quand même le manque des amies, des coéquipières. Les week-ends, au début, ça faisait vraiment bizarre. Je n’avais pas encore mes enfants, mon mari allait courir et lorsque je me retrouvais toute seule à la maison, ça faisait vide. C’était morose.

Tu évoques ton mari, Julien Roussel, qui roule toujours. On imagine que tu n’as donc jamais véritablement décroché du monde du vélo ?
On est encore à 100 % ! Je ne suis pas du tout déconnectée, ça c’est sûr. Bon, je ne dis pas que je l’accompagne sur toutes les courses, car je dois m’occuper des enfants, mais ça fait toujours partie de notre quotidien.

Suis-tu également les différentes compétitions, les résultats ?
Toujours ! Je regarde beaucoup de courses à la télé, dès que je le peux. Notamment chez les filles, d’ailleurs.

Comment analyses-tu l’évolution du cyclisme féminin depuis une décennie et ton retrait des compétitions ?
Une très grande marche a été franchie. Ca n’a plus rien à voir. Mon époque et l’actuelle sont incomparables. Et pourtant, quand on écoute les gens parler, ça me donne l’impression qu’il a encore beaucoup de progrès à faire. Mais sincèrement, je trouve qu’on a déjà franchi un sacré palier. Au niveau du matériel, les filles sont beaucoup mieux équipées, par exemple. Elles ont deux vélos, et aussi le vélo de chrono… Sans oublier la médiatisation qui a évolué. Tout a changé, même si j’étais très bien au Futuroscope à l’époque.

« LA DIFFÉRENCE DE NIVEAU ÉTAIT PLUS IMPORTANTE »

As-tu le sentiment de ne pas avoir connu la bonne période ?
Complètement. Je ne suis pas née à la bonne époque, mais trop tôt (sourires). J’ai beaucoup de regrets… J’aurais tellement aimé connaître ce que les filles connaissent aujourd’hui. Mais bon, c’était il y a dix ans et il faut l’accepter.

Imaginais-tu une telle évolution à l’époque ?
Sincèrement, ça me semblait vraiment fermé alors pas du tout. On n’arrivait pas à s’imaginer ça. J’étais bien dans mon équipe, encore une fois. C’était familial, convivial… Mas je ne voyais pas d’évolution arriver pour les trois années à venir. Je me souviens par exemple d’Emmanuelle Merlot, qui a arrêté quelques années après moi (en 2013, NDLR), et la situation n’avait quasiment pas évolué. Elle avait arrêté pour les mêmes raisons que moi. Après, peut-être que si je m’étais posé la question pour une décennie plus tard, je ne me serais pas dit la même chose. Mais ça ne me servait à rien d’imaginer la situation dix ans plus tard car je n’allais plus être dans le coup.

De quoi es-tu la plus fière, après coup ?
De mes deux titres de Championne de France en Espoirs. Ca restera toujours de grands souvenirs et d’ailleurs, les maillots et les médailles sont toujours au chaud à la maison. Plus généralement, j’étais déjà fière à l’époque d’appartenir à la seule véritable équipe française… Je suis satisfaite de mon parcours. J’en garde plein de bons souvenirs et j’ai fait ce que j’ai pu.

Durant ta carrière, tu étais réputée pour tes échappées en solitaire, ce qui ne se fait quasiment jamais aujourd’hui sur les courses féminines. Comment l’expliques-tu ?
Je pense que la différence de niveau était plus importante à l’époque. En gros, tu pouvais te permettre d’attaquer de loin, de faire des bornes toute seule… Et même si tu étais reprise, tu pouvais encore espérer faire quelque chose dans le final, sans prétention aucune. Maintenant, j’ai l’impression que le niveau est plus compact. Les filles s’entraînent toutes ou presque de la même façon, avec plus d’intensité. Il n’y a plus cette marge pour pouvoir se permettre de faire ce genre de choses sinon, tu le paies. Mais tant mieux. Et puis en plus, les équipes semblent mieux structurées. Il y a dix ans, tu avais moins de stratégie : la première qui attaquait était leader et basta. Ce n’est plus vrai en 2019.

 

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