Pervis : « Avant, mon nom était synonyme de loser »

La force du mental, les échecs du passé, la passion du vélo et même ses incursions en route, VTT, cyclo-cross et… BMX. Le nouveau pape François du cyclisme sur piste, le Mayennais Pervis, raconte à DirectVelo.com son itinéraire d’athlète, qui l’a conduit à battre le record mondial du Kilomètre et du 200 mètres la semaine passée.

Retrouvez la première partie de l’entretien dans « La Grande Interview » de DirectVelo.com.

DirectVélo : Comment vis-tu cette récente effervescence des médias autour de toi ?
François Pervis : C'est un grand truc de malade ! (rires) Lundi prochain, le retour à la réalité de l'entrainement va être dur... Depuis les deux records que j’ai battus, des dizaines de sites français et étrangers se sont mis à parler de moi et j’ai donné des interviews en anglais pour des journaux britanniques et australiens. Sur les réseaux sociaux, c'est « pire » encore... On raconte que je suis une « légende ». Avant, mon nom était un peu synonyme de « loser » parce que je manquais souvent un podium pour pas grand chose. J'avais du mal à l'accepter. Maintenant, ça ne devrait plus être pareil. J'espère trouver un gros partenaire grâce à cette médiatisation.

Ces derniers temps, tu sembles très fort mentalement. Il y a un an et demi, tu étais au plus bas, en apprenant ta non sélection pour les JO de Londres. Comment as-tu remonté la pente ?
C’est vrai, j'ai perdu une bonne occasion l'an dernier. Mais je me suis dit que ça serait partie remise. Je me suis alors posé les bonnes questions et j'ai tout fait pour y répondre du mieux possible... Mes tournées de Keirin au Japon m'ont aussi aidé. J'ai pris beaucoup de force là-bas grâce aux particularités des épreuves (les vélodromes longs de 400m minimum exigent de la puissance et le poids du matériel sollicite particulièrement les muscles : vélo en aluminium, roues à rayons, « armure » et casque, NDLR).

Pourquoi ne pas avoir trouvé la clef du succès quelques années plus tôt ?
En 2006, les Championnats du Monde sur piste avaient lieu en France, à Bordeaux. Je commençais à bien marcher et j’espérais décrocher une médaille. Or, j'ai porté un plâtre deux années de suite tout le long du corps, pour une durée de deux mois à chaque fois, et je me suis le suis fait retirer trois mois avant les Mondiaux. Je me demandais si je travaillais si mal que ça pour avoir droit à un plâtre... En plus, je ne pouvais pas faire de musculation pendant cette période. J’ai beaucoup gambergé. Mais cette expérience m'a fait progresser mentalement. Plus les temps sont difficiles, plus je suis motivé pour en sortir !

« J’AI GRANDI AVEC UN VELO ENTRE LES JAMBES »

Revenons à ton parcours depuis les tous débuts. Comment es-tu venu au cyclisme ?

Quand j'étais petit, mon père s'intéressait à tous les sports et il regardait beaucoup le Tour de France en particulier. Il m'a toujours dit qu'on n'avait pas d'argent pour partir en vacances mais que j'aurais toujours un vélo à ma taille ! J'ai donc grandi avec un vélo entre les jambes. C'était le seul moyen que j'avais pour m'amuser. Le soir après l’école, je prenais mon vélo pour aller faire des acrobaties dans les champs. Mon père voulait que je touche à toutes les disciplines. En Minimes-Cadets, je faisais de la route, du VTT, du cyclo-cross (il a participé à des Championnats de France, NDLR). J'ai même essayé le BMX. Mais ça, c'était trop technique, et j'avais peur de me casser en deux (rires) !

La piste est rapidement devenue ta spécialité ?
Au début, je ne faisais que des épreuves d'endurance, comme la course aux points et l'élimination. Je faisais aussi un peu de keirin. Je ne m'entrainais jamais mais j'avais quand même déjà quelques qualités de sprinteur. La piste les mettait davantage en avant que la route. En Cadet deuxième année, j'ai été Vice-Champion de France de vitesse. J'ai commencé à prendre conscience que j'étais fort en sprint, tout en continuant à pratiquer les autres disciplines.

En 2001, l’entraîneur national piste Gérard Quintin te prend sous son aile…
En Junior première année, j'ai été sélectionné pour mes premières grandes compétitions internationales. En vitesse par équipe, nous avons été Champions d'Europe et Vice-Champions du Monde. J'ai intégré l'INSEP à la fin de l'année. Parce que Quintyn m'avait dit que si je venais, je serais peut-être Champion du Monde l'année d'après... Je tombais déjà des nues d'avoir été Champion d'Europe et Vice-Champion du Monde sans réel entraînement. En suivant ses conseils d’entraîneur, je savais que j'allais beaucoup progresser… et aussi que j'allais faire de superbes voyages ! (en 2001, les Championnats du Monde Juniors ont eu lieu à l'ouest de New-York, deux mois avant les attentats du 11 septembre, une dernière occasion d’admirer le World Trade Center, NDLR).

« CA ALLAIT VITE, IL Y AVAIT DE PURES SENSATIONS ! »

Qu'est-ce que tu aimais avec la piste ?

C'était très réactif. On avait tout le défilement de la course sous les yeux, on pouvait voir en permanence où en était les autres. C'était très dynamique également. Comme on n’avait pas de frein, on avait toujours un peu peur. Ça allait vite, il y avait de pures sensations !

Mieux valait passer pro sur piste que sur route, alors ?
Mon choix a été vite fait. Sur la route, j'avais moins de chances. Par ailleurs, l'année 1998 était encore dans toutes les têtes et, pour moi, il était hors de question de passer par là pour accéder à la victoire…

Est-ce que tu pourrais tenter l’aventure de la route maintenant ?
Il est trop tard. Je me suis trop spécialisé dans la piste et je suis trop "vieux" pour faire comme Théo Bos (le Néerlandais du Team Belkin a arrêté la piste à 26 ans pour se consacrer à la route, avec un certain succès, NDLR). Pour autant, je roule sur la route et je dispute même des courses régulièrement. Mais je n'arrive pas à suivre en troisième catégorie (rires)... Dès qu'il y a un faux-plat, j'ai du mal à lever le cul de la selle ! Dans une bosse, tout le monde monte au train, donc ça va. Et sur le plat, aucun problème. Il y a quelques années, j'ai fait une course de première catégorie et je sentais que je me baladais quand on approchait les 60km/h ! Sur les relances, j'étais le seul assis, je ne forçais même pas. Je n'ai malheureusement pas fini l'épreuve à cause d'une fringale. Il pleuvait, et j'ai oublié de m'alimenter. Une erreur de pistard !

« JE VAIS DEPRIMER QUAND JE PRENDRAI MA RETRAITE »

Tu viens de fêter tes 29 ans. Tu te vois faire de la piste jusqu'à quel âge ?

Jusqu'aux Jeux de Tokyo, en 2020. J'aurai 36 ans. C'est peut-être un peu tard... Mais je suis en train de mûrir. Je commence à bien marcher maintenant, alors qu'à 22 ans, je n'avais rien gagné, j'étais seulement un athlète en qui on avait placé des espoirs et qui faisait encore ses gammes. Au même âge, Tournant et Rousseau avaient déjà tout gagné, Baugé et Sireau déjà obtenu des titres mondiaux. Mais il n'y a pas d'âge pour être Champion du Monde ! Chris Hoy a raccroché à 36 ans alors qu’il marchait encore. Tout dépend de ma motivation… et de mon corps, car c'est lui qui décide d'être performant à quasi 30 ans !

Les jeunes qui arrivent pourraient te pousser dehors avant 2020...
Oui, et le manque évident de moyens financiers pourrait constituer un autre problème. En tout cas, j’aime vraiment ce que je fais, je suis un passionné ! Je sais déjà que je vais déprimer quand je prendrai ma retraite.

Et tu as déjà pensé à l’antidote ?
Je me remettrais à la route et au cyclo-cross, si la vie de famille me le permet. Les cross, ça me manque beaucoup ! Je pourrais prendre le départ d'une course sans être stressé, flinguer ou partir en échappé si l'envie me prend, et même abandonner sans que ce soit « grave »... Autant de choses qui me manquent avec la piste.

Crédit Photo : Christian Collier - picasaweb.google.com/111567826591941774045
 

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