La Grande Interview : Thibaud Taboury

Victime d'un accident vasculaire cérébral (AVC) le 21 mai 2012, Thibaud Taboury est de retour à la compétition cet automne, sur les champs de cyclo-cross. Sa reprise est forcément laborieuse mais il s'est fait une raison : "Après un an et demi sans toucher au vélo, je ne peux évidemment pas espérer gagner." Depuis les rangs Cadets, le Savoyard était une valeur sûre de la discipline. Au Challenge National, il avait terminé deuxième en 2005 et en 2007 et toujours dans le Top 10 chez les Espoirs. Il avait aussi honoré vingt-deux sélections en Equipe de France, que ce soit pour des stages ou des compétitions. Aujourd'hui, à bientôt 24 ans, il a pris une licence en deuxième catégorie avec l'UC Gex, le club dont il est l'entraîneur à temps plein. Et l'an prochain, Thibaud Taboury pourrait se fixer quelques ambitions sportives sur route et en cyclo-cross. A une condition seulement : que son corps puisse s'adapter aux efforts intenses.

DirectVélo : Qu’as-tu ressenti au moment de redevenir coureur, il y a quelques semaines ?
Thibaud Taboury : C’était assez hors normes après ce qu’il m’est arrivé. J’étais partagé entre différents sentiments. D’abord un grand plaisir, celui de pouvoir retrouver la compétition, et l’atmosphère des circuits de cyclo-cross. D’un autre côté, c’était aussi un moment difficile car il a fallu accepter de ne pas être à la hauteur sportivement. Je suis toujours en phase de reconstruction physique, et même psychologique.

Pourquoi « psychologique » ?
Ce n’est pas évident de se retrouver, sur certains cyclo-cross, à un tour d’un mec comme Guillaume Perrot, avec qui je rivalisais par le passé. Mais après un an et demi sans toucher au vélo, je ne peux évidemment pas espérer gagner.

« JE M'EN SORS VRAIMENT TRES BIEN »

Peux-tu nous rappeler comment s’est passé ton AVC en mai 2012 ?
J’avais couru la veille. Le jour de l’accident, je devais aller m’entraîner mais je ne me sentais vraiment pas bien. Du coup, j’ai préféré ne pas rouler. A la place, je suis parti faire les courses. En rentrant, je me suis de senti très fatigué, j’avais de nombreux vertiges. Et là d’un coup, en déchargeant les courses… Boom ! Je me suis effondré. Puis je me suis retrouvé à l’hôpital sans trop comprendre ce qu’il s’était passé. Au moment de mon AVC, je n’étais heureusement pas seul chez moi. Mon frère était là, et c’est sans doute ce qui m’a sauvé. Le premier jour, j’étais paralysé d’un côté, mais tout s’est rapidement arrangé. Je m’en sors vraiment très bien.

As-tu craint de ne jamais pouvoir remonter sur un vélo ?
Sur le coup, j’en ai eu peur. Mais les médecins m’ont conseillé de reprendre une activité sportive régulière. D’après eux, comme j’étais sportif de haut niveau, il aurait été plus dangereux d’arrêter le sport que de le continuer. Il fallait simplement que je sois capable de bien gérer mes efforts. C’est d’ailleurs le dilemme en course. On a toujours envie de donner le maximum, d’accrocher la roue des meilleurs. Mais j’essaye de choisir la voie de la sagesse. J’ai respecté cette longue période de convalescence. Maintenant, lorsque je sens que je monte en pulsations, je préfère ralentir, quitte à laisse filer les premières places. Idem à l’entraînement, où je me contente de faire du foncier. J’évite les efforts intensifs.

« JE SUIS BEAUCOUP PLUS CALME »

Tu pourrais donc abandonner en course ?
Oui. J’ai déjà posé pied à terre récemment, à mi-course sur un cyclo-cross. C’est l’une des premières fois de ma vie que j’abandonnais dans cette discipline, mais je me sentais vraiment fatigué et je ne voulais prendre aucun risque.

Tu sembles avoir pris beaucoup de recul...
D’après mon entourage, je suis beaucoup plus calme et posé qu’avant mon accident. Bien sûr, je regrette de ne pas avoir pu continuer le cyclisme au plus haut niveau. Mais c’est la vie. Je ne peux pas me permettre de me plaindre, même si je repense à cette période avec nostalgie. De regrets, j’en aurais toujours. Mais j’aime me dire que les choses n’arrivent pas par hasard. C’était le destin.

Jusqu’où te voyais-tu aller ?
En 2011 et 2012, j’étais dans les dix meilleurs crossmen français. Les années précédentes, j’avais été embêté par une mononucléose, et différentes blessures. Mais avant mon accident, tout allait pour le mieux. C’était ma première saison pleine en première catégorie, la première fois où je pouvais m’exprimer pleinement. Je marchais bien même sur la route également. J’étais dans un club de DN1, au Team Vulco-VC Vaulx-en-Velin, et je sentais que je progressais très vite. Je commençais à gagner des courses (le Grand Prix d’Aix-les-Bains, NDLR) et à me découvrir de bonnes petites qualités de puncheur. Je n’étais pas trop mauvais au sprint non plus. Surtout, je pense que j’avais encore une grosse marge de progression, sur route comme en cyclo-cross. Pour moi, les deux disciplines sont complémentaires, et je me voyais bien marcher dans les deux, un peu comme Steve Chainel ou Francis Mourey.

« JE TROUVE SYMPA DE POUVOIR TRANSMETTRE »

Comment as-tu organisé ta reconversion ?
Je suis salarié de l’UC Gex, dans l’Ain, grâce au brevet d’Etat que j’avais passé en 2009. Et je suis le plus heureux des hommes. Je m’occupe de 180 jeunes, depuis les gamins de cinq ans jusqu’aux mecs qui préparent le Championnat de France. Pouvoir apprendre des choses aux jeunes, c’est quelque chose de formidable. Bien sûr, j’aurais préféré être professionnel, moi de mon côté... Aider les autres à gagner, à gravir les échelons, c’est très différent. Mais ça reste un sentiment très fort, et c’est une véritable richesse personnelle.

Partager ta passion avec des coureurs, c’est une vocation pour toi ?
Oui. Je trouve sympa de pouvoir transmettre ses connaissances et surtout son expérience auprès des plus jeunes. Il y a quelques années déjà, j’avais créé une école de cyclisme à Saint-Michel-de-Maurienne. Cette fois, à l’UC Gex, je mène vraiment un projet sur le long terme, avec des jeunes qui marchent dans toutes les catégories. Lors des derniers Championnats départementaux, nous avons décroché tous les titres, des Minimes aux Séniors.

Penses-tu donc redonner la priorité aux compétitions dans le futur ?
Cet hiver, la priorité restera l’UC Gex. Mais je n’exclus pas de reprendre le vélo beaucoup plus sérieusement l’année prochaine, en cyclo-cross et sur la route. Au fond de moi, je ne sais pas si j’en serai capable, mais ça reste un objectif. 2014 sera une année cruciale pour moi. Soit je vois que j’ai encore le niveau et j’essaie de consacrer autant de temps aux entraînements qu’auparavant, soit je réalise que je ne peux plus être compétitif, auquel cas je ne disputerai que quelques courses pour le plaisir.

Crédit Photo : Christophe Jacquemet - UC Gex
 

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