Rétro : Le dernier dossard de mars

Crédit photo Martine Verfaillie

Crédit photo Martine Verfaillie

L’année 2020 restera dans tous les esprits. Un mot à lui seul pourrait résumer cette saison pas comme les autres : coronavirus. Organisateurs, staff, coureurs, bénévoles ou simples passionnés : toutes et tous ont été grandement impactés par ce violent tremblement de terre dont les premières grosses secousses ont été ressenties début mars, et qui n’a depuis guère laissé de répit. À l’occasion de ces derniers jours de l’année, DirectVelo vous propose de revenir sur quelques-uns des événements marquants de cette année pas comme les autres, afin de comprendre comment les acteurs du monde du cyclisme ont vécu cette période si particulière.
Ce vendredi 25 décembre, coup de projecteur sur les toutes dernières compétitions pré-confinement. Beaucoup étaient alors loin de s'imaginer l'ampleur de la crise à venir. 

Le sac est prêt, le vélo aussi, mais Kévin Avoine ne partira jamais pour aller disputer Le Poinçonnet-Limoges. Ce vendredi 13 mars 2020, de l'autre côté de la France, Justin Ducret n'a pas plus de chance. "Je me souviens surtout d'avoir pris la route, pour rien, puisque la course a finalement été annulée", rappelle-t-il à DirectVelo neuf mois plus tard.

La veille, à 20h, le Président de la République s'est adressé aux Français. Il a annoncé la fermeture de toutes les écoles et établissements scolaires, ainsi que des mesures plus strictes pour les rassemblements, déjà limités à 1000 personnes. Ce même jeudi 12 mars, plusieurs courses annoncent leur annulation : le GP de Cholet-Pays de Loire, le Tour de Bretagne et le Circuit de la Sarthe, deux jours après que le Tour de Normandie ait déjà renoncé. La FFC met en place une cellule de crise pour aider les organisateurs.

« ON SAVAIT QUE ÇA NE SENTAIT PAS BON »

Toutes ces annulations sont le résultat d'un feu qui couve depuis le 24 janvier en France, et le recensement des trois premiers cas de coronavirus dans le pays. Les personnes infectées ont toutes séjourné à Wuhan, ville chinoise et berceau de l'épidémie, déjà placée en confinement depuis le 23 janvier. Le 11 mars, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a déclaré officiellement l'état de pandémie, malgré ses réticences initiales afin de ne pas créer la panique, pour reconnaître la propagation mondiale de cette nouvelle maladie. L'OMS avait hésité trois jours, fin janvier, pour classer comme "urgence sanitaire de portée mondiale" l'épidémie de coronavirus, à un moment où 500 personnes étaient contaminées et 17 en étaient mortes. 

Le mercredi 11 mars, Kévin Avoine épingle le dossard 44 au départ de la course de Templeuve, dans le Hainaut. Il ne le sait pas encore, mais c'est son dernier avant le mois d'août. "On a l'habitude d'y aller, c'est à 1h-1h30 de chez moi, indique le coureur du CC Nogent-sur-Oise à DirectVelo. C'est un circuit flahute, il y a toujours de la pluie et du vent". En Belgique, il termine premier de son club (voir classement).

Si le CC Nogent-sur-Oise est venu courir en Belgique, c'est que la situation est incertaine depuis le dimanche précédent, et la tenue du Grand Prix de Lillers. "On savait que ça ne sentait pas bon. On n'était déjà pas sûr de prendre le départ. Les DS nous disaient qu'il fallait tout donner une dernière fois avant l'arrêt des courses", se souvient Kévin Avoine. Sébastien Havot, son coéquipier, s'est classé 5e de l'épreuve 1.2. "Le jour de Lillers, on pensait encore pouvoir courir le week-end suivant sur la manche de Coupe de France (Nantes-Segré, NDLR). Le département de l'Oise était déjà particulièrement touché, mais comme aucun coureur du club n'habitait réellement dans le coin, on ne s'est pas plus inquiété que ça", reconnaît-il.

« JE PENSAIS QUE ÇA PASSERAIT »

Conjointement au Grand Prix de Lillers (8 mars), Paris-Nice s'élance dans un climat encore plus pesant. Remontons un peu. Depuis le 23 février, le coronavirus a rattrapé le vélo. La découverte d'un foyer de contamination à Codogno (Lombardie), a provoqué l'interdiction de toutes les manifestations sportives en Lombardie et Vénétie (lire ici). Le 27, le Tour des Emirats Arabes Unis est arrêté deux étapes avant la fin, car deux encadrants sont suspectés d'être porteurs du virus. Les équipes Groupama-FDJ et Cofidis sont maintenues en quarantaine dans leur hôtel d'Abu Dhabi. Les coureurs ne seront finalement libérés qu'une dizaine de jours plus tard, le matin du départ de Paris-Nice. En France, l'apparition de foyers de contamination dans le Morbihan entraîne à son tour l'annulation, le 2 mars, de Manche-Atlantique, alors que le « Championnat du Monde des Bretons » devait avoir lieu, lui aussi, le dimanche 8.

La veille, le samedi 7 mars, Justin Ducret a terminé 4e du Circuit des 4 Cantons. Mais à ce moment-là, comme la majorité du peloton, il a une autre course en tête. "Je prenais ce rendez-vous comme une course de préparation et un test avant la manche de Coupe de France qui arrivait la semaine suivante. Je n’étais pas très inquiet quant à de potentielles annulations, car il s’agissait d'une course de haut niveau, et je pensais que ça passerait". Le coureur de Charvieu-Chavagneux IC, club promu en N1, prépare Nantes-Segré, première manche de la Coupe de France, prévue le dimanche 15 mars. À Lillers, Sébastien Havot a le même objectif. "On pensait encore pouvoir courir le week-end suivant".

Les coureurs pensent alors être dans la dernière ligne droite avant leur premier objectif de la saison. Mais c'est une impasse qui s'ouvre devant eux. Le samedi 29 février, 58 cas de coronavirus sont recensés en France. Avec un jour d'avance, le salon de l'Agriculture ferme ses portes. Les événements de plus de 5000 personnes en salle sont interdits et, même s'il se déroule en plein air, le semi-marathon de Paris est également annulé. En revanche, le 3 mars, Roxana Maracineanu, ministre des sports, assure que Paris-Nice aura lieu, car les organisateurs n'annoncent que 3000 spectateurs à Nice. Cette même ville voit toutefois l'annulation de son fameux Carnaval.

DE 1000 À 100 PERSONNES

Le 6 mars, le Grand Prix de Wittenheim est annulé à son tour, après la découverte d'un nouveau foyer autour de Mulhouse. Le même jour, RCS annule Tirreno-Adriatico et Milan-San Remo et demande de nouvelles dates. Le dimanche 8 mars, donc, Paris-Nice s'élance de Plaisir, dans les Yvelines, sans les formations Mitchelton-Scott, Ineos, Astana, CCC, UAE Team Emirates, Jumbo-Visma et Movistar. Le soir même, le gouvernement interdit tout rassemblement de plus de 1000 personnes. Le lendemain, c'est le début des courses à huis clos. Ce n'est pas encore le cas au départ de Chevreuse, mais à Chalette-sur-Loing, ville d'arrivée de la 2e étape de Paris-Nice, il n'y a pas de public dans les 150 derniers mètres. Le 10 mars, c'est au tour de Nantes-Segré d'être annulé. La course parviendra tout de même à retrouver une date dans la « deuxième saison ». 

Le mercredi 11 mars à Templeuve, Kévin Avoine ne ressent pas d'inquiétude dans le peloton belge. "Eux, ils étaient contents de pouvoir courir, contrairement à la France. Ça leur est tombé sur la tête d’un seul coup, et tout a été fermé d’un coup", se souvient-il. En effet, le jeudi, le ministre flamand des sports décide l'annulation de toutes les compétitions sous le niveau professionnel. Puis les décisions du Conseil de sécurité nationale poussent les fédérations belge, flamande et wallonne à annuler toutes les courses jusqu'au 3 avril. "Tout est allé très vite", rappelle Sébastien Havot. 

Sur la Course au soleil, les nuages s'amoncèlent. Christian Prudhomme affirme avoir l'assurance de pouvoir aller jusqu'à Nice. Mais l'Association des coureurs italiens demande l'arrêt immédiat de la course, alors que l'Italie entière est placée en quarantaine. Le vendredi à 11h30, au lendemain du discours présidentiel, les organisateurs annoncent que Paris-Nice s'arrêtera finalement le samedi au sommet de La Colmiane. À 13h, Edouard Philippe, le Premier ministre, interdit les rassemblements de plus de 100 personnes. À l'arrivée de l'étape d'Apt, le 13 mars, Romain Bardet déclare que "continuer la course n'a plus aucun sens". La dernière étape de Paris-Nice s'élance le samedi 14 à 10h. Tous les coureurs savent que c'est leur dernière course avant longtemps. Thomas De Gendt, alors à l'attaque et dernier coureur repris de l'échappée, dit après l'arrivée : "J'ai tout donné aujourd'hui pour moi, pour ma famille, pour mon équipe, pour les fans et pour le vélo". 

LE FEUILLETON DE PARIS-TROYES

Dès le lendemain du premier discours du Président de la République (le 12 mars), des fédérations sportives comme le football ou le handball suspendent leur championnat professionnel et amateur. La FFC attend l'arrivée de l'étape de Paris-Nice pour annoncer qu'elle arrête toutes les compétitions de toutes catégories jusqu'à nouvel ordre. Puis elle reprécise que cela ne concerne que les catégories amateurs, et donc pas Paris-Nice à qui il reste encore une journée, car c'est la Ligue qui gère le calendrier professionnel. Les entraînements collectifs sont limités à 10 personnes, encadrement compris.

Pendant cette semaine folle, Paris-Troyes est aussi au cœur d'un feuilleton. Le 7 mars, Arkéa-Samsic s'engage pour la course pour essayer de compenser l'annulation des Strade Bianche et de Tirreno-Adriatico, bientôt suivie par Total Direct Energie. Puis le 12, quatre équipes se désistent en raison du coronavirus. Les organisateurs travaillent avec la préfecture de l'Aube pour respecter la jauge de 1000 personnes. Le vendredi 13 au matin, le Préfet autorise Paris-Troyes, prévu le dimanche, à condition de se limiter à 600 spectateurs dans l'aire d'arrivée, avec comptage des spectateurs, pour rester en dessous de la limite des 1000 personnes. Mais après l'interdiction des rassemblements de plus de 100 personnes, à 13h, Paris-Troyes est annulé dans l'après-midi.

Du discours d'Emmanuel Macron, Alain Heulot, l'organisateur des Souvenir et Trophée Louison-Bobet, a retenu une phrase, celle où le Président demande aux personnes de plus de 65 ans de rester chez elles. C'est la fourchette d'âge d'une grande partie des signaleurs de sa course qu'il tente de maintenir pour le samedi 14, envers et contre tout. Le vendredi matin, à 9h, avant de partir pour le fléchage du parcours, il pose la question à son équipe : "Qu'est-ce qu'on fait ?". Le texto du Maire de Bruz, commune du parcours où l'école est touchée par plusieurs cas, l'aide à trancher. La course ne peut pas traverser son territoire. "On a décidé d'annuler tout de suite". Le Président de Sojasun espoir-ACNC a des échos d'Italie et il sait que la sirène des ambulances n'arrête pas de sonner. "J'ai essayé d'aller jusqu'au bout pour les sportifs car je savais que ce serait la dernière course en Bretagne". "On ne pensait pas que ça allait durer aussi longtemps", soupire Kévin Avoine.

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