Emmanuel Brunet : « Il y avait un enjeu sanitaire »

Crédit photo DirectVelo

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Responsable de la recherche et performance à la Fédération Française de Cyclisme, Emmanuel Brunet a lancé il y a quelques semaines le projet #Roulezchezvous (lire ici). D’abord destiné aux jeunes compétiteurs, le programme a finalement pris un virage universel qui permet à tout individu de faire de l’exercice pendant la période de confinement. Le manager de la filière route et cyclo-cross revient pour DirectVelo sur la genèse de ce projet, et ses objectifs pendant cette période sans course.

DirectVelo : Comment est venue l'idée des entraînements partagés ?
Emmanuel Brunet : L'idée est venue avec les entraineurs nationaux sur route, sur un groupe WhatsApp. Quand on a vu que les jeunes n'avaient plus d'école, on s'est dit que ça allait être le bazar, puis c’est parti de ces petits échanges là. Un jour, à 7h du matin, avant d'aller bosser on s'est dit, et si on travaillait sur un truc comme ça, une sorte de programme ? Et puis on a commencé à se lancer là dedans, jouer avec les charges d'entrainement. Tout ça, c'était bien avant le confinement, à l'annonce de l'arrêt de l'école. On n’avait pas encore conscience de l'ampleur que ça allait prendre. De jour en jour, les choses ont évolué pour devenir ce que c'est aujourd'hui. A la base c'était pour répondre à des questions concernant nos bons compétiteurs de 13 à 18 ans. Comment on les occupe, comment on développe leurs qualités... Et on a voulu y répondre avec les entraineurs nationaux.

Qui réalise les programmes ?
C'est moi qui les réalise, c'est un beau challenge personnel. Au début on était parti sur le compétiteur type, donc les collègues m'ont envoyé des séances types et tout ce qui est nécessaire pour les préparer. Puis ça a évolué parce qu'il y a eu du débat petit à petit, sur les charges d'entrainement notamment. Et il y avait un enjeu sanitaire. Le confinement va durer, donc il y a une pédagogie, on progresse et on apprend comment progresser. Aujourd'hui, c'est un sujet plus fédérateur, qui concerne une communauté cycliste qui peut utiliser le vélo, et pas uniquement les jeunes compétiteurs ciblés à l’origine. Notamment pour développer des capacités spécifiques.

Savez-vous combien de personnes suivent le programme #roulezchezvous ?
On a des réunions régulières là-dessus. Sur les vidéos proposées sur Kinomap, en fin de semaine dernière, on était environ à 600 visionnages par jour. Pour référence, des vidéos qui étaient publiques, quand elles atteignaient 500 vues ce n’était pas mal. Au 6 avril, on a eu plus de 125 000 visites sur le site et plus d'un million de pages vues. Le nombre de visiteurs oscille, et Facebook est la plus grande référence pour nous. Mais dedans sont compris les séances, les coloriages etc. Avant de nous lancer, j’ai clairement compris que c'était important. J'avais commencé à faire des petits visuels de séances type, et j'ai vu le nombre de fois où les images étaient téléchargées, l'activité des twitts… Je n’avais jamais vu autant d'impact. Agréablement surpris donc, je ne pensais pas que ça prendrait autant d'ampleur. Le trafic est très important entre les réseaux et le site. Et on essaye d'avoir des retours de gens, certains nous disent que c'est assez intense, il y a du suivi.

« LES COURSES EN LIGNE NE SONT PAS FORCEMENT OPPORTUNES »

Est-ce que ceux qui suivent le programme posent des questions ?
Je n’en ai pas vu beaucoup, mais quand il y en a, j'essaye d'y répondre. C'est bien d'avoir des retours car le projet se destinait à la base aux compétiteurs. Je manque un peu de retour sur le niveau mise en forme, pour savoir si c'est réaliste et cohérent. J'ai eu quelques retours de gens à qui j’ai demandé, parce qu’on bosse avec des universitaires, entreprises etc, et elles se sont mises à suivre. Mais on n’a pas tellement de demandes techniques ou de précisions. On a des retours positifs, de personnes qui vont sur le site de la Fédé, c’est plutôt agréable. On remarque que la période change les habitudes de tout le monde. On est bien relayé en plus, donc c'est agréable pour nous et ça nous sert pour la suite.

Vous sembliez réticent aux courses en ligne, pourquoi ?
Au départ, on ne s’était pas préoccupé des enjeux de santé et la question du système immunitaire. Rapidement, on a pris le soin de solliciter notre secteur médical, et on ne partageait pas toutes les positions personnelles de certains. Pour des cyclistes habitués à ces charges, on peut faire des séances intenses, courtes, sans que leur système immunitaire soit problématique. Ce qui est moins le cas sur des efforts intenses prolongés. A titre d’exemple, après un chrono, l’immunité globale est perturbée, donc dans ces moments il peut y avoir des infections respiratoires qui peuvent arriver. Il fallait donc éviter ces symptômes qui pourraient aggraver les infections en cas de virus avéré. Surtout que ce sont celles-ci qui posent problème actuellement. Donc il faut être très prudent sur le fait de faire des courses qui mènent à l'épuisement, c'est risqué. Je ne suis pas catégorique, je pense qu'il faut être prudent. Mais ça peut aussi amener du loisir et de la liberté. Les compétiteurs peuvent aussi en avoir besoin, et tourner en rond sera peut-être plus impactant sur le système immunitaire que de se faire plaisir. Mais en faire à fond ce n’est pas forcément bon et utile puisqu'il n'y a pas de courses. On insiste plutôt pour développer autre chose, la charge et l'endurance reviendront après le confinement. Il ne faut pas chercher à les développer, ce n’est pas très plaisant. Donc dans ce sens, les courses en ligne ne sont pas forcément opportunes.

Vous avez pourtant organisé "défie un champion", un sprint de 7 secondes sur une application en ligne...
C'est différent parce qu'en 7 secondes on n’est pas mené à l'épuisement. Ça ne va pas modifier le système immunitaire. C'est vrai que pour quelqu'un de peu entrainé, ce n’est peut-être pas adéquat. Même si on n'arrive pas à l'épuisement. Ce programme existe depuis deux ans et on se pose des questions. Car un des objectifs est d'identifier des jeunes talents, même chez les non-cyclistes. Donc on l'a proposé dans un premier temps sur des événements. Mais on peut s'interroger sur l'intensité et certains risques. C’est pourquoi il ne faut pas dépasser 7 secondes et s'appuyer sur 3 ou 4 secondes pour évaluer le niveau. Ce programme ne doit pas être dangereux.

« NE PAS STIGMATISER UN COUREUR »

A la fin du confinement, la FFC va-t-elle évaluer le niveau de forme des Juniors et espoirs habitués de l'équipe de France ?
Pour bien le faire, notamment pour les habitués de l’équipe de France, il aurait fallu faire une évaluation avant et après. Ce n’est pas dans les clous. Le programme de l'équipe de France est un gros point d’interrogation. Cette sortie de crise ne dépend pas de nous, mais du pays et des autres pays autour, la santé globale dans le monde. La priorité est à ce que les choses se rétablissent. Le programme de l’équipe, c'est une cerise sur le gâteau, le sujet n'est pas à aborder tout de suite. La forme, on y reviendra après, il n’y a pas d’urgence. Si un sportif a pris du retard pendant cette période, ce n’est pas grave, il peut le rattraper. Il ne faut pas tomber là dedans en pointant du doigt quiconque, en disant qu’il a travaillé ou pas. Ne pas stigmatiser un coureur. Et les entraineurs nationaux ne sont pas dans cet état d’esprit. Chacun se maintient du mieux possible, en bonne santé. Et nous on bosse dans le contenu de formation, on ne veut pas mesurer leur niveau après, on aura le temps d'y venir.

D’autres projets sont en cours ?
Une des innovations intéressantes à intégrer pour des jeunes, c’est la préparation mentale. Avec des exercices assez simples, accessibles. Elle semble réservée aux sportifs d'élite qui veulent des performances. Ça semble un peu inaccessible, mais comme le physique, ça reste quelque chose qui doit être mobilisé assez tôt. En travaillant des qualités comme la concentration, la confiance en soi, donc on doit trouver des exercices qui permettent de les stimuler. Et développer des points forts, en travaillant avec des spécialistes du sport ou de préparation mentale, ou des collègues formés pour proposer des exercices. Ça apparait tout doucement sur le site, on a des fiches techniques en cours de rédaction, certaines ont été diffusées par mail dans le réseau des entraineurs. Pourquoi pas à terme des tutoriels vidéos ou podcasts, mais on n’a pas encore pris le temps sur la forme des contenus.

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