La Grande Interview : Remco Evenepoel

Crédit photo Freddy Guérin - DirectVelo

Crédit photo Freddy Guérin - DirectVelo

Certains en plaisantaient encore le week-end dernier, mais c’est finalement bel et bien devenu une réalité ce mercredi soir : à 18 ans, Remco Evenepoel va quitter les rangs Juniors pour rejoindre directement une formation WorldTour, et de surcroît celle qui gagne le plus de courses au Monde, la Quick-Step Floors. Contrat de deux saisons avec une option de deux années supplémentaires à la clef. Dimanche dernier pourtant, après avoir surclassé ses adversaires sur le Championnat d’Europe Juniors sur route, le Belge avait assuré à DirectVelo souhaiter attendre 2020 pour rejoindre la structure belge. “J’ai un contrat avec la Conti Pro Hagens Berman Axeon pour 2019, et un accord verbal avec Patrick Lefévère pour l’année suivante. Ce n’est pas signé, mais je lui fais entièrement confiance”, détaillait-il. C'est un homme de parole, il ne va pas changer d'avis. Il m'envoie tous les jours des messages pour savoir comme je vais, comme je me sens... Il s'occupe déjà vraiment bien de moi, comme si je faisais partie du groupe, et je suis certain qu'il ne va pas me lâcher”.

Dès dimanche soir, Remco Evenepoel expliquait à DirectVelo s’apprêter à se rendre sur le Tour de France mercredi. Savait-il qu’il irait finalement y signer son nouveau contrat dans le bus de la Quick-Step Floors, sous les yeux de Philippe Gilbert ? Les choses se seraient semble-t-il accélérées en début de semaine, lorsque le phénomène belge a reçu de nouvelles offres d’équipes WorldTour, dont la Mitchelton-Scott et une “énorme proposition” de la Team Sky. A y regarder d’un peu plus près, et en lisant entre les lignes, le récent double Champion d’Europe avait déjà laissé sous-entendre ce week-end l’éventuel chamboulement à venir. “Les dirigeants de la Quick-Step veulent que tout se passe au mieux. S’ils voient que je suis déjà très bon l’an prochain en Espoir 1 avec Axeon, et que je gagne aussi des courses en Espoirs de façon très belle, alors peut-être que l’on s’arrangera pour que je porte le maillot de l’équipe encore plus tôt. C’est une possibilité”, ajoutait-il dans un français impeccable, lui le coureur flamand. A contrario, le garçon promettait aussi vouloir faire preuve de patience, lorsqu’on l’interrogeait sur ses prévisions pour sa découverte de la catégorie Espoirs. “Je ne dis pas que je vais tout écraser l’an prochain. Je ne sais pas ce qu’il va se passer, on verra bien. Dans tous les cas, je préfère passer une année chez Axeon pour prendre le temps de découvrir ce niveau-là. C’est mieux pour moi. Après tout, je ne sais pas ce qui m’attend l’année prochaine. Je ne vais pas faire le malin avant”.

Et Remco Evenepoel semblait avoir déjà tout prévu. D’ailleurs, il avait coché le Tour de Californie sur son calendrier, une épreuve qu’il aurait dû disputer avec l’équipe Hagens Berman Axeon, et où il aurait croisé le fer avec… la Quick-Step Floors. “Ce sera un moment très important pour moi. J’y pense déjà… Ce sera l’occasion de leur montrer ce dont je suis capable. Ce sera une très belle course avec de longues montées ! J’espère pouvoir montrer à tout le monde à ce moment-là que je peux faire quelque chose au milieu des pros. Si la Quick-Step et Patrick (Lefévère) voient que je suis au niveau, alors ça pourrait aller vite ensuite”. Remco Evenepoel sautera finalement cette étape intermédiaire.

Mais alors, qui est ce résident de Schepdaal, dans la commune de Dilbeek, qui vient de repousser le deuxième du Championnat d’Europe Juniors à près de dix minutes (lire son interview d’après-course) ? A-t-il vraiment des qualités physiques hors du commun, lui qui avait déjà joué au football plusieurs saisons à un très haut niveau chez les jeunes, portant les maillots du RSC Anderlecht et du PSV Eindhoven ? Pourquoi est-il pratiquement imbattable depuis le début de saison, enchaînant les succès écrasants en Coupe des Nations alors qu’il ne s’est sérieusement mis au cyclisme que l’an passé, au point que ses adversaires n’espèrent même plus vraiment le battre, mais se demandent simplement quand il placera l’attaque fatale ? Comment vit-il cette situation qui émerveille autant qu’elle questionne tous les suiveurs ? De quoi rêve-t-il à long terme ? C’est “la Grande Interview” de la semaine.

DirectVelo : Tu t’es imposé avec 9’44” d’avance sur ton dauphin, dimanche dernier, sur le Championnat d’Europe Juniors : au-delà de ta victoire, y’a-t-il eu la volonté de ta part d’écraser la concurrence, de battre des records ?
Remco Evenepoel : Oui, quand même… Enfin, je n’ai pas ça en tête lorsque je prends le départ mais si je peux le faire, c’est encore mieux. Mais par exemple, au départ de ce Championnat d’Europe, je ne me suis pas dit que j’allais essayé de mettre les autres à dix minutes, bien sûr que non. Par contre, si pendant la course il s’avère que ça se passe comme ça, alors je ne vais pas me gêner et ralentir. Je crois que mon tempo moyen est trop rapide pour beaucoup de gars, mais il n’y a rien à faire. Je… (il s’arrête et sourit). C’est bizarre…

Quand as-tu réalisé que tu étais bien plus fort que les autres coureurs de ta génération ?
L’année dernière, j’ai très vite commencé à gagner des courses, alors que je ne faisais du vélo que depuis deux mois. Je marchais très fort sur des courses difficiles, avec 2000 mètres de dénivelé, au Pays basque notamment. Dès ce moment-là, j’ai réalisé que j’avais quelque chose en moi…

« FORCÉMENT UNE GROSSE MARGE DE PROGRESSION »

On imagine que tu vas commencer à t’ennuyer chez les Juniors ?
Il faut être honnête, je ne vais pas dire que ce n’est pas le cas. Oui, j’ai hâte d’aller me frotter aux Espoirs, aux pros… Je veux découvrir le niveau au-dessus.



Tu as récemment fait une demande pour passer chez les Espoirs dès cet été, demande refusée par l’UCI. Comment comptes-tu t’occuper d’ici la fin de saison ?
Ca va être très simple : je n’aurai plus que deux grands objectifs maintenant. Je veux gagner Aubel-Thimister-La Gleize, sur quatre jours en Belgique, et le Championnat du Monde d’Innsbruck, en Autriche. Le reste du temps, je vais m’entraîner, m’entraîner, et encore m’entraîner. Beaucoup dans les montées, notamment… Je veux devenir encore plus fort, j’ai forcément une grosse marge de progression. Et si je veux espérer gagner le Mondial, il va falloir que je progresse encore en montée.

Comment expliques-tu que tu sois si fort ?
C’est difficile à dire. Je ne peux pas vraiment me comparer avec les autres, je ne sais pas ce qu’ils font au quotidien. Ce que je sais, c’est que de mon côté j’essaie toujours de monter en puissance avant les grands rendez-vous. Pour ces Championnats d’Europe par exemple, j’ai commencé à y penser sérieusement il y a un mois. Je me suis mis dans la tête l’idée de gagner ici et au fur et à mesure, j’y pensais de plus en plus souvent. Et j’ai travaillé en conséquence. J’ai augmenté les charges de travail à l’entraînement et j’ai tout fait pour arriver au top du top le Jour-J. Je ne suis pas sûr que tu puisses gagner un Championnat d’Europe si tu n’en as pas fait un objectif prioritaire de ta saison. Il faut travailler dur.

On te dit déjà perfectionniste !
Pendant l’hiver, j’ai beaucoup travaillé ma position et je me suis assuré de n’avoir aucun problème de santé. J’ai fait du travail de stabilisation pour mon dos, pour mon ventre… Je crois que c’est quelque chose qui me donne un bel avantage sur les contre-la-montre et même lors des courses en ligne : j’arrive à être bien stable au niveau du dos, de ma position sur le vélo. Cela me fait sans doute gagner un peu de temps sur les autres. Je veille à bien récupérer après les courses également, c’est super important. Je regarde ce que font les autres, et j’essaie de m’inspirer des meilleurs.

« PARTIR DE LOIN, C’EST MON STYLE, ALORS POURQUOI CHANGER ? »

Ton père nous expliquait après ta victoire lors du contre-la-montre que tu faisais déjà le “job” comme un professionnel…
Cela fait partie de la préparation dont je parlais à l’instant. Physiquement, tu ne peux pas être au millimètre toute la saison, c’est juste impossible. Donc il faut essayer d’être au top lors de tes gros objectifs. Il y a cinq semaines, lorsque je me suis mis en mode “prépa du Championnat d’Europe”, j’ai commencé à faire encore plus attention à ce que je mangeais. Je connais déjà très bien mon corps et je peux affirmer que je suis arrivé en République tchèque au top de ma condition, à 61 kilos. C’est ce que je voulais.

C’est donc aussi le cas à l’entraînement ?
Bien sûr, c’est la base. Mon entraîneur me donne des programmes et je m’y tiens sans discuter (il avait déjà un préparateur physique personnel lorsqu’il était footballeur, NDLR). Lorsque je suis en pleine préparation d’un objectif, je travaille très dur et je sais qu'après ça, mon niveau va augmenter de façon très rapide.

Arrives-tu à éprouver le même plaisir en faisant toute la course tout seul devant qu'en ayant l'adrénaline de gagner un sprint à l'arrachée, par exemple ? Ce dimanche matin, tu avais course gagnée après 30 kilomètres...
Je ne vais pas vite au sprint alors il vaut mieux que je parte de loin (rires). Plus sérieusement, c'est toujours un plaisir de gagner. Partir de loin, c'est mon style. Je fais ça depuis que j'ai commencé à gagner des courses. Je crois que ce ne serait vraiment pas malin de changer mon style et ma façon de courir. Je suis comme ça, et je gagne. Alors pourquoi changer ? Il ne faut pas. Encore une fois, je connais mon corps et quand je sens que je suis dans une bonne journée, je ne vais pas faire exprès d'attendre deux heures dans le peloton. SI je sens que je peux y aller, alors j'y vais. Et le plaisir d'attaquer et de lâcher tout le monde est grand, il ne faut pas s'inquiéter pour ça.

Tu donnes la sensation d’être assez sûr de toi. Tu n’as pas peur que ce soit quand même plus difficile à partir de l’année prochaine ?
Bien sûr que ce sera beaucoup plus difficile. Les Espoirs sont des gars qui ont beaucoup plus de forces que les Juniors, la question ne se pose même pas (il n’avait pas encore signé à la Quick-Step Floors au moment de répondre à cette question, NDLR). Mais il faut aussi se dire que de mon côté, je vais moi aussi continuer de m'améliorer. J'espère bien être plus fort l'année prochaine que je ne le suis cette année. Dans ma tête, je suis prêt pour travailler encore plus.

« JE VEUX PRENDRE MON TEMPS »

Tu disais faire le travail très sérieusement. As-tu encore une marge malgré tout ?
Oui c'est certain. Je m'entraîne sérieusement, mais pas comme un fou non plus. Donc j'ai encore de la marge. Le maximum de kilomètres que je fais à l'entraînement pour l'instant, c'est 120 + 15. 135 kilomètres, ce sera la distance du Championnat du Monde, en gros. Donc je travaille pour ça et je ne m'amuse pas à faire plus. Mais du coup, je peux faire bien mieux. Il y a des gens qui pensent que je m'entraîne déjà comme un champion, mais ce n'est pas vrai du tout. J'insiste, mais j’ai encore beaucoup de marge. Cela dit, à 18 ans, heureusement que je peux travailler plus.



Tu sembles déjà focalisé sur le long terme !
Je pense au Championnat du Monde de fin d'année, au Tour de Californie, et à d'autres choses encore. Mais c'est normal, non ? Il faut courir après des objectifs. C'est comme ça que l'on avance. Je commence déjà à me concentrer sur l'année prochaine pour être prêt mentalement et physiquement en temps voulu. Anticiper tout ça doit aussi me permettre de progresser petit à petit, car je veux prendre mon temps.

Sur quoi veux-tu progresser en priorité ?
Dans la montagne. Je veux travailler les cols, l'enchaînement des difficultés en montagne car jusqu'à présent, je n'ai pas été trop confronté à tout ça. Et la deuxième chose importante, c'est la distance, justement. Il va falloir que je commence à rallonger les sorties, que j'apprenne à tenir la distance. Aujourd'hui, je ne peux pas faire 170 kilomètres, mais il faudra bien le faire un de ces quatre. Je vais travailler là-dessus.

On sent tes proches euphoriques, la presse dithyrambique... Le speaker du Championnat d'Europe parlait de toi comme du "potentiel futur Eddy Merckx" sur le podium protocolaire, ce qui est complètement fou pour un coureur qui n'est encore que Juniors ! Arrives-tu à garder les pieds sur terre malgré tout ?
Oui oui, il le faut... Je n'aime pas que les gens m'appellent "le nouveau Eddy Merckx". Les temps ont beaucoup changé. C'est totalement différent aujourd'hui, on ne peut pas comparer les époques. J'espère apporter un vent de fraîcheur, être un nouveau belge qui marque son époque, mais j'en suis tellement loin. En plus, à l'époque, il ne faut pas oublier qu'Eddy Merckx gagnait chaque course à laquelle il participait : les Classiques, le Tour de France…

« LES GRANDS TOURS ? JE RÊVE DE GAGNER LES TROIS »

Ce n’est plus possible ?
C'est vraiment différent ! Aujourd'hui, un coureur qui gagne une Classique flandrienne ne peut pas gagner le Tour de France. On ne peut plus gagner partout. Il faut se spécialiser et se fixer des objectifs sur une voire deux périodes de l’année, pas plus.

Et où voudrais-tu gagner, toi ? Quels sont tes plus grands rêves ?
Les trois Grands Tours : le Giro, le Tour et la Vuelta. Pas vraiment pour y gagner, mais déjà pour y participer. Ce serait super bien. A plus long terme, je rêve de gagner les trois. Mais je sais que la route sera très longue et que ce sera très très très difficile. Ce qui est sûr, c'est que je suis prêt à tout pour devenir le meilleur.

En République tchèque, tes supporters étaient de partout sur le circuit de 10,8 kilomètres. Et ils avaient tous une casquette et un T-Shirt à ton nom, “R.EV 1703”, numéro référence au code postal de ta commune, Schepdaal. Comment vis-tu cette situation ?
Je ne réalise pas trop. Cela me fait vraiment chaud au coeur. Comme vous le disiez en plaisantant après le chrono, ils faisaient presque plus de bruit et étaient plus nombreux que tout le reste des spectateurs sur la bord de la route (sourires). Cela me donne beaucoup de forces. Mes parents, mes grands-parents, ma petite copine, mes supporters… Ils me donnent envie de me surpasser.

En plus de presque tout gagner, tu dégages quelque chose en dehors du vélo. On te sent très "cool" et en même temps, c'est comme si tu sortais naturellement du lot, y compris en dehors des compétitions...
Heureusement que je suis heureux et "cool", avec ce qu'il se passe pour moi depuis l'an dernier ! Je prends beaucoup de plaisir sur mon vélo. C'est très important ! Quand je suis seul à l'avant d'une course, comme ici en République tchèque, et que je vois tous ces gens me supporter… Comment ne pas avoir de joie de vivre dans ces conditions ? On parlait de rêve à l'instant, eh bien voilà ! C'est ça qui me fait rêver : gagner des courses, m'amuser, le partager avec mes proches qui sont là pour m'aider et me soutenir. C'est moi, c'est mon quotidien désormais, et je veux que ça dure encore.
    

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