Coppi tue la bonif

Crédit photo Pauline Ballet - ASO

Crédit photo Pauline Ballet - ASO

A partir de 1934, le régime des bonifications s'enrichit de nouvelles couches. Après avoir justifié la tartinée de minutes par l'avantage démesuré des grimpeurs, voilà Henri Desgrange qui juge que ces mêmes grimpeurs ne sont pas assez aidés. En 1933, Vicente Trueba, vainqueur du Prix de la Montagne, n'a ramassé aucune bonification. Il n'y a pas d'arrivée au sommet. Plutôt que de supprimer les bonifications comme bon nombre de journalistes lui demandent le "Patron" s'entête pour ne pas perdre la face. Un an après le Giro, il instaure les bonifications en haut des cols avec un barème particulier pour favoriser les attaquants. Le premier au sommet reçoit un bonus égal à l'écart sur le deuxième, plafonné à deux minutes. Ce principe est aussi appliqué aux arrivées d'étapes, y compris pour le contre-la-montre.

LA PETITE CUISINE DE DESGRANGE

En 1937, le plafond est porté à quatre minutes aux sommets des cols. Comme à chaque exagération, Desgrange donne un coup de pied dans le balancier l'année suivante. Le sprinteur des cimes n'a plus droit qu'à 1 minute pour passer en tête et un bonus égal à l'avance sur le second, limité à une minute. Cela n'empêche pas Gino Bartali de se gaver de 12'37" grâce à ses sprints en montagne contre 2'28" pour son second, Félicien Vervaecke. Il y en a un qui grimace dans sa Hotchkiss, c'est le directeur de la course, dont les bonifications sont la chasse gardée. "Le seul droit qui me reste de mes anciens pouvoirs" se lamente-t-il presque dans les colonnes du Petit Parisien en décembre 1938. Henri Desgrange ne veut plus offrir une minute pour un sprint de 300 mètres en haut d'un col, lui qui était prêt à en donner six à Charles Pélissier pour un sprint sur un  vélodrome. "Il faudra que le grimpeur conquiert sa bonification en se dépensant davantage". Il pense même introduire une différence en fonction du col. Ainsi selon le sommet, il faut passer avec 30" ou 1 minute devant le premier poursuivant pour décrocher l'avantage d'une minute.

Après guerre et la création de deux catégories de cols, il y a deux barèmes de bonif. Mais la domination écrasante de Fausto Coppi en 1952 sonne le glas de ces bonifications en haut des cols. Jacques Goddet et Félix Lévitan, les organisateurs, ne veulent plus d'un Tour joué  au bout de quinze jours. C'est mauvais pour les ventes des journaux. Une fois, pourtant, ils vont ressortir des cartons la bonification au sommet, avec le principe d'avant-guerre. En 1974, ils promettent 40" de bonification au coureur qui passera premier au Ventoux avec 1 minute d'avance. C'est trop pour Gonzalo Aja, en tête au Mont Chauve mais sans l'avance nécessaire.

LES ROULEURS COMME LES SPRINTEURS ET LES GRIMPEURS

Le contre-la-montre individuel apparaît en 1934. Là au moins, on est sûr de ne pas assister à une arrivée massive, même sans bonif. Pourtant cette étape et les suivantes en 1935 sont soumises aux mêmes règles que les étapes en ligne : 1'30" et 45" aux deux premiers et en prime pour le vainqueur, son avance sur le second jusqu'à hauteur de deux minutes. La victoire d'Antonin Magne à Nantes lui assure 2'36" en plus du temps pris à ses adversaires sur la route.

Jusqu'en 1965, les contre-la-montre vont offrir des bonifications. C'est pour cette raison que la victoire du dernier chrono du Tour 1964 est primordiale pour la victoire finale. La demi-étape Versailles-Parc des Princes est dotée de 20" et 10" aux deux premiers. Au départ il y a 14" entre Anquetil, maillot jaune et Raymond Poulidor, maillot violine de Mercier. Pour gagner le Tour, il aurait "suffi" à Poupou de devancer Jacques Anquetil de 5" au classement de l'étape.

Après le Tour 1965, les adversaires des bonifications ont enfin gain de cause. "Dans le Tour de France, nous sommes contre, car les bonifications ne sont pas utiles. L'épreuve étant assez longue et comportant assez de difficultés, les écarts sont suffisants pour échelonner les valeurs" affirme, en 1959, Albert Baker d'Isy, un grand journaliste de vélo d'avant et d'après-guerre. Il ajoute que le maillot vert du classement par points "accorde déjà une prime suffisante aux vainqueurs d'étapes". Le Tour 1966 se dispute donc au temps réel.

LES BONIF DÉBORDENT

A force de distribuer grassement des secondes et des minutes, le maillot jaune du Tour n'est pas toujours le plus rapide sur la route. En 1933, l'Italien Giuseppe Martano, 3e au Parc des Princes, a bouclé le Tour 52" plus rapidement que Georges Speicher, vainqueur final. Dans L'Intransigeant, Jean Antoine, en s'appuyant sur le cas de Martano, veut apporter un "argument précis à ceux qui demandent la fin des bonifications. Est-il logique d'accorder un bénéfice de temps important au coureur qui gagne le sprint ?" Mais il ajoute aussi "que si les bonifications n'existaient pas, Speicher aurait couru autrement".

Le régime des bonifications au sommet des cols a aussi bien aidé Jean Robic pour sa victoire en 1947. Le plus rapide de ce Tour mythique n'est pas le Breton mais Edouard Fachleitner, 2e à Paris. Dans le Tour 1974, sans les bonifications, Lopez-Carril aurait été à 27'' de Merckx au classement général après l'étape du Pla d'Adet. Mais il restait encore le Tourmalet et des contre-la-montre et, là encore, le règlement était connu de tous au départ.

Pour 3 secondes, le Tour 2007 s'est épargné une affaire supplémentaire. Alberto Contador, vainqueur du Tour, engrange 20" de bonification de plus que Cadel Evans, 2e du classement général à seulement 23" de l'Espagnol.  Dans une édition où des coureurs gagnaient avec un sang qui n'était pas le leur, où le maillot jaune ne s'entrainait pas à l'adresse indiquée, un vainqueur final qui serait allé moins vite que son dauphin n'aurait pas aidé à donner de la crédibilité au vélo, l'année de la création du MPCC.

LES VIEILLES HABITUDES DE RUDY PEVENAGE

Après un an de purgatoire, les bonif reviennent en 1967. Elles prennent leur forme moderne qui existent encore aujourd'hui : des gains pour les trois premiers de l'étape alors qu'elles étaient réservées au duo de tête jusqu'en 1965. Mais les organisateurs veulent limiter leur influence. Alors les 20", 10" et 5" distribuées aux arrivées ne concernent que les étapes de plat et donc, les routiers-sprinters. Jusqu'en 1998, la montagne est vierge de bonifications, aux arrivées ou en cours de route. Le Tour 1999 est au moins le Tour du Renouveau des bonifications qui sont distribuées, de façon égale, dans toutes les étapes en ligne, jusqu'en 2007.

Les habitudes ont la vie dure dans le vélo. Rudy Pévenage, au volant de la voiture Bianchi, est relié par l'oreillette à son coureur Jan Ullrich qui vient de lâcher Lance Armstrong dans les derniers kilomètres de l'étape du Tour 2003 qui se termine au sommet du Plateau de Bonascre. Devant une caméra d'Eurosport, il se retourne vers son mécano et lui demande : "il y a des bonif à l'arrivée ?". De la part du directeur sportif d'un coureur qui joue la victoire du Tour, après avoir déjà passé les Alpes et qui est sensé élaborer la tactique de son équipe, la question fait un peu froid dans le dos.

LE TOUR COPIE LE GIRO

Les bonifications aux arrivées sont supprimées en 1975. Elles reviennent pour une période de quatre ans, de 1982 à 1985, toujours sur le plat. Le tarif est copié sur celui que le Tour d'Italie utilise depuis 1981 : 30", 20" et 10". Plusieurs coureurs le trouvent exagéré, d'autant plus que les rushes distribuent les secondes à pleines poignées pendant l'étape. "Un Freddy Maertens des belles années se serait régalé d'une pareille faveur. Elle aurait pu lui permettre de se présenter au pied des Pyrénées avec une vingtaine de minutes d'avance", s'indigne Bernard Vallet, maillot à pois du Tour 1982, dans Vélo.

De 1986 à 1989, les bonif désertent la ligne d'arrivée. Conséquence ou coïncidence, les arrivées groupées sont rares pendant ces éditions qui sont parmi les plus animées de l'histoire du Tour. Elles reviennent en 1990, avec 20", 12" et 8" aux trois premiers. Ce barème deviendra celui imposé par le règlement de l'UCI aux Grands Tours avant d'être diminué par la fédération internationale à 10", 6" et 4" en 2014.

Mais plus que les bonifications aux arrivées, ce sont les primes en secondes pendant les étapes qui vont agiter la course pendant plusieurs années.

Retrouvez notre dossier spécial Bonifications dans le Tour de France

 

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