En pleine tempête, « le Coq » ne doit pas baisser la tête

Crédit photo Michaël Gilson / DirectVelo
Il s’y était préparé, il le savait. Après avoir passé de longues minutes à se faire soigner dans la zone d’arrivée, Bryan Coquard était attendu par une horde de journalistes et les micros qui vont avec, devant le bus de sa formation Cofidis. De nombreux médias français et belges, en majorité, tenaient à recueillir la première réaction de l’un des principaux acteurs, bien malgré lui, de cette troisième étape du Tour de France, à Dunkerque, une ville qui lui rappelait jusque-là beaucoup de bons souvenirs. “Je m’attendais à ce que vous soyez tous là”, soupire-t-il, avec à la fois un brin d’humour et d’ironie. Le Ligérien a vécu un véritable cauchemar, ce lundi, sur les routes du nord.
LES YEUX HUMIDES FACE À LA PRESSE
Lors du sprint intermédiaire d’Isbergues, à la suite d’une légère vague, « le Coq » s’est décalé sur la droite, a perdu l’équilibre et provoqué bien malencontreusement la chute du très malheureux Jasper Philipsen, lequel se trouvait juste derrière lui et a violemment heurté le goudron. Le lauréat de l’étape inaugurale a dû quitter la course. “Vous imaginez bien que faire abandonner le maillot vert ne me fait pas plaisir. J’ai regardé les images. Sur le moment, je ne savais vraiment pas ce qu’il s’était passé. J’ai l’impression que (Jonathan) Milan a lancé son sprint et que ma roue avant a, peut-être, touché son dérailleur, témoigne Bryan Coquard. Ou peut-être que c’est (Laurenz) Rex qui me déséquilibre, je n’en sais vraiment rien. Bien évidemment, ce n’était pas mon intention de créer une chute. Je ne voulais pas prendre de risques”.
Déséquilibré, l’athlète de 33 ans - sanctionné d'un carton jaune par l'UCI - a déchaussé dans l’affaire et affirme avoir même failli perdre une chaussure. “Je tiens à m’excuser auprès de (Jasper) Philipsen et d’Alpecin, même si ce n’était pas volontaire, insiste le sprinteur. Je ne suis pas un mauvais bougre, un mauvais garçon, ce n’est pas agréable”, poursuit-il les larmes aux yeux, à la fois très touché psychologiquement… et physiquement. Car 60 kilomètres plus tard, et quelques minutes avant cette interview, Bryan Coquard s’est une nouvelle fois retrouvé au mauvais endroit, au mauvais moment. Et cette fois-ci, il a lui-même violemment heurté le sol, dans la dernière courbe de l’étape, au moment où le sprint se lançait. “Je ne voulais pas vraiment faire le sprint final, mais je me suis remobilisé, et voilà, une nouvelle chute…”. Le garçon, qui a fait un soleil et semble être violemment tombé sur le bas du dos, ou le coccyx, est très abîmé. “J’ai mal un peu partout, des abrasions”, a-t-il brièvement eu le temps de déclarer avant qu’un confrère ne lui demande une nouvelle fois… s’il s’excusait d’avoir provoqué l’abandon de Jasper Philipsen. Ce à quoi Bryan Coquard a poliment répondu - et répété - qu’il était navré. Fin de l'échange.
LES SPRINTS, UN DANGER PERMANENT MAIS UNE ADRÉNALINE UNIQUE
Alors que le natif de Saint-Nazaire se décrit lui-même comme quelqu’un de “solitaire et plutôt renfermé” sur lui-même, nul doute qu’il va désormais falloir trouver les mots, du côté du staff de la formation Cofidis, de ses coéquipiers, de ses proches, aussi, pour remobiliser un coureur doublement meurtri. Touché dans sa tête, blessé dans sa chair, Bryan Coquard s’apprête à vivre des moments pénibles, ces prochains jours, sur les routes du Tour, alors que plusieurs étapes à venir pouvaient lui convenir sur le papier. Sans doute lui a-t-on également conseillé de ne pas passer trop de temps sur les écrans dans la soirée, alors que des messages pas franchement très agréables lui sont adressés en nombre via les réseaux sociaux. “En tant qu’amoureux de cyclisme et passionnés de sport, nous tenons à condamner toute forme d’acharnement et d’insulte envers nos coureurs sur les réseaux sociaux. L’équipe se réserve le droit de porter plainte contre toute personne qui porterait atteinte à leur intégrité et tient à apporter son soutien ferme et entier à tous ses coureurs”, a d’ailleurs fait savoir la WorldTeam nordiste en début de soirée, face au déferlement de messages haineux à l’encontre de son sprinteur.
L’homme aux 53 victoires professionnelles - qui a encore deux grands rêves à accomplir avant de raccrocher, gagner une étape du Tour et devenir Champion de France sur route, avait fait le choix d’arriver plus affûté que jamais sur les routes de la Grande Boucle. “Je pense être plus léger encore que les années précédentes”, nous précisait-il la semaine passée, avant le grand départ. “On s’est focalisés sur les arrivées difficiles. Le but est d’un peu mieux grimper et je pense que c’est le cas. Je ne suis pas le plus rapide que j’ai pu être, j’imagine”, enchaînait-il. Désormais, il mise plus que jamais sur les arrivées en faux-plat montant qui lui ont toujours réussi depuis ses jeunes années sur un vélo.
UN MAUVAIS SOUVENIR À ISBERGUES, IL Y A… ONZE ANS
Avec ses 60 kilos tout mouillé, Bryan Coquard n’est pas un sprinteur comme beaucoup d'autres et il lui a toujours été difficile de faire le poids, tout au long de sa carrière, face à des hommes surpuissants comme Marcel Kittel, André Greipel, Alexander Kristoff ou aujourd’hui Jonathan Milan, et bien d’autres. Ce qui ne l’a pas empêché de les battre, à l’occasion. Car Bryan Coquard a toujours essayé de compenser son petit gabarit par une grande agilité, une belle science de la course et une capacité à bondir de roue en roue pour prendre la bonne vague et faire le saut de puce au dernier moment. Surtout, il n’a jamais eu peur de jouer des coudes face à des gabarits bien plus imposants que le sien. “Dès le début, j’étais un sprinteur qui se faufilait partout, comme sur la piste, sur les éliminations, à suivre mon instinct, à passer dans des trous de souris. Frotter ne me faisait pas peur. Il faut clairement faire sa place, ce n’est pas une métaphore”, racontait-il auprès de DirectVelo à l’occasion d’un PodCast, l’an dernier.
L’ancien médaillé olympique de l’omnium a toujours apprécié tout particulièrement ces moments dans le dernier kilomètre des courses sur route. “J’aime l’ambiance palpable. Plus tu approches de la ligne, et plus tu sens l’adrénaline. C’est compliqué d’expliquer les 500 derniers mètres. C’est un état second. Il n’y a pas de prise de décision, c’est instinctif”. Un instinct qui l’a très souvent mené à la victoire, dès ses débuts avec deux succès d’emblée sur sa première course pro, à l’Etoile de Bessèges en 2014. Et jusqu’à treize victoires en une seule saison, c’était en 2016. Des chutes, Bryan Coquard en a également connu beaucoup, forcément. Dès sa première saison pro, il est touché à la clavicule à… Isbergues, sur le Grand Prix du même nom, et doit mettre fin à sa saison.
DÉJÀ PHILOSOPHE AU PRINTEMPS DERNIER
À cette époque-là, Bryan Coquard marchait sur l’eau. “Je ne m’en rendais même pas compte, je n’en ai pas assez profité”, déclarait-il d’ailleurs des années plus tard à propos de ces années passées sous le maillot du Team Europcar puis de Direct Energie. Depuis, il a pris de l’âge et gagne moins, beaucoup moins. Une seule fois l’an dernier. Une seule fois également, pour l’instant, cette année. “Je ne le vis pas mal car je gagne plus qualitativement”, plaisantait-il au départ du Tour à Lille. En WorldTour, en effet, au Tour de Suisse l’an passé et au Tour Down Under en janvier dernier.
Il n’empêche que Bryan Coquard enchaîne les déconvenues depuis plusieurs mois. Victime d’une chute à Cholet, battu par l’inattendu Erlend Blikra à la Roue Tourangelle, encore dépassé au Région Pays de la Loire Tour, à domicile, il avait lâché avec pragmatisme et lucidité : “Mentalement, ça va, j’en ai déjà vu d’autres et j’en verrai encore”. Depuis, il n’a pas été plus en réussite à Dunkerque ou en Mayenne, et son équipe est passée complètement à côté du Championnat de France. Sans doute, lorsqu’il a lâché cette phrase au cœur de ce qui fut le Circuit de la Sarthe, n’imaginait-il tout de même pas vivre un tel cauchemar sur les routes du Tour. Mais pas question de baisser la tête. La route pourrait tout de même encore être belle, y compris sur ce Tour de France. Certes, actuellement en pleine tempête, « le Coq » devra sûrement faire preuve de patience, et attendre gentiment son heure. Et quand le ciel s’éclaircira à nouveau, alors il sera enfin temps de chanter de toute sa voix le retour du soleil.
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