Komugi-Grand Est : « Le Tour serait la pérennisation de l’équipe »

Crédit photo Philippe Seys

Crédit photo Philippe Seys

Si les équipes invitées au Tour de France sont déjà connues chez les hommes, côté féminin, le suspense est encore total. ASO n’a rien dévoilé des formations qui seront conviées à la fête, pour sa troisième édition de la nouvelle version de la Grande Boucle féminine. Du côté de Komugi-Grand Est, structure française et comme son nom l’indique, dont la région accueillera deux étapes, on a forcément envie d’y croire. À l’image de son président, Laurent Goglione, qui verrait là un beau signe après avoir joué le jeu à la suite de la réforme du niveau Continentale chez les femmes, qui oblige maintenant les structures françaises à salarier ses membres. Auprès de DirectVelo, celui-ci a justement évoqué le Tour de France, sur lequel il espère emmener ses coureuses pour la première fois de leur histoire.

DirectVelo : Comment se passe le début de saison ?
Laurent Goglione : On a été invité sur la campagne belge, on devait être au Salvador mais la période belge s'est étoffée. On a eu deux bonnes surprises avec l’invitation à Paris-Roubaix, où on a été en reco, ainsi que le Tour de Burgos, en plus du Tour de Pologne. On a simplement une déception de ne pas avoir été au Tour de Normandie. Depuis le début de la saison, on a Victoire (Joncheray) qui sort du lot pour l'instant. L'année dernière elle a fait une bonne fin de saison, elle s'était mise en valeur sur les Classiques. Je sais d'où elle vient, elle a connu l'équipe nationale. Elle revient sur le devant. Au Trofeo Ponente elle est deux fois dans l'échappée, avec les filles d'EF, bien aidée par Laury (Milette) qui est en train de grandir à vitesse grand V. En plus d’une Ségolène (Thomas) qu'on retrouve au bon niveau, elle ne va pas tarder à monter en puissance, ses objectifs sont plus tard avec les Pyrénées, Burgos et évidemment si on va au Tour elle peut faire partie des filles qu'on emmène comme elle grimpe très bien. Même les filles d'EF ont dit que ça montait vite (rires). Je n’oublie pas Chloé (Charpentier) qui ne va pas tarder à être là.

Qu’est-ce que les nouvelles règles du cyclisme féminin ont changé ?
Toutes les filles sont maintenant payées, alors on se structure, on commence à compter sur de grosses marques. C’est encore une année d'apprentissage. Pour le clin d'œil, on avait commencé très tard l'année dernière, avec un stage à Malaucène et on était parti en Italie avant de revenir au Tour de Normandie. Cette année on a fait un sage en Camargue, puis on est parti en Espagne à Calpe, au Challenge de Majorque. Sauf que là-bas c'est déjà le printemps. Joséphine (Péloquin) a des grosses allergies, cette année elle n’avait pas pris ses médicaments car on n’a jamais pensé qu'elle choperait les allergies un mois et demi plus tôt (rires). Elle est rentrée avec ses allergies, l'asthme etc, donc elle est forcément un ton en dessous. Tout ça pour dire qu’on apprend encore.

« JE N’IMAGINE PAS NE PAS Y ÊTRE »

Les invitations au Tour approchent… C’est forcément un grand moment attendu…
La sélection se joue sur la performance. L'année dernière, on a gagné la Coupe de France FDJ en faisant la saison du début à la fin, on montre à ASO et tous les autres organisateurs qu'on est là en février et aussi en septembre, et qu’on a l'argent pour assurer la totalité. On recommence cette année. Il y a ce côté important, à nos yeux à nous, de dire que les équipes françaises ont fait les efforts pour que tout le monde soit payé. Par rapport à d'autres équipes étrangères on est des vraies structures pros à 100%. Ça compte, on va dans le sens de l'histoire. Au niveau de la communication on montre qu’on fait les choses bien, on associe les organisateurs et les partenaires. Des grandes marques s'intéressent à nous donc on est dans le vrai. Et enfin le mix entre filles d'expérience et des jeunes comme Eliska (Kvasnickova), Laury... On trouve un bon équilibre. La sélection se joue sur tout ce qu'on est, l'ADN, la manière dont on grandit. On a fait N2, N1, Conti, maintenant Conti version 2024. Et l'année pro on veut être en ProTeam, donc on est dans la continuité et le crescendo depuis huit ans.

Est-ce très important d’être au Tour de France, pour ne pas dire vital, compte tenu de la récente réforme du cyclisme féminin ?
C'est la pérennisation de l'équipe de participer au Tour. Je n’ai pas fait l'erreur de dire aux partenaires qu'on allait faire le Tour. Car si ASO ne te prend pas, tu perds tes sponsors et ta crédibilité. Je veux d'abord aller au Tour et après dire « vous voyez, on a été au Tour ». Si ça ne le fait pas, on continuera à construire et travailler pour être invité, mais ça ralentira notre progression. Je serai triste pour ça. On va recruter plus de filles si on est en deuxième division. Donc ça serait un coup de frein à une équipe qui grandit chaque année depuis huit ans. Mais je n'imagine pas ne pas y être. Avoir toutes les équipes françaises au départ du Tour serait une bonne chose. Je trouverais ça normal. En plus on a eu le clin d'œil d'ASO qui nous a pris à Roubaix, on peut se dire qu'ils nous regardent du coup, ils connaissent notre travail. J'y vois un petit encouragement pour nous dire de continuer.

Qu’est-ce que représente le Tour pour toi et l’équipe ?
Il y a deux grandes courses au monde. Paris-Roubaix, même au fin fond du monde tu en entends parler, et le Tour de France qui est l’événement mondial, médiatique, sportif...Au-delà d'être la plus belle course au monde, elle coche toutes les cases. Le sport, avec les meilleurs équipes au monde qui sont là, c’est le rendez-vous de tout le monde. Le public, c’est hyper médiatisé, télévisé, toute la presse mondiale est là. Et l'organisation, c'est un truc de fou, l'année dernière on a vu les présentations d'équipes, les étapes etc, c'est à la hauteur de ce qu'ils veulent faire. Et puis dans la tête des gens, tu es considéré comme un coureur pro à part entière si un jour tu as fait le Tour. C'est l'aboutissement et la reconnaissance définitive d'un métier. Le 19 août, elles pourront dire qu’elles ont fait le Tour de France et elles seront reconnues comme des vraies coureuses pros aux yeux de tout le monde. Et bien sûr, je le répète, c'est la pérennisation de l'équipe.

« C’EST LA CROISÉE DES CHEMINS POUR TOUT LE MONDE »

Maintenant, sur le plan sportif, participer au Tour peut aussi être un piège si l’équipe se bat pour entrer dans les délais, sans vraiment faire la course…
C’était vrai avant, mais plus maintenant. Si on avait fait le Tour avant ça aurait été ça, on y serait allé sans être préparé, avec des filles qui travaillent la semaine. Maintenant on n’est plus avec une petite qui vient faire le secours, mais une équipe pro qui vient au départ du Tour pour être performante. C'est pour ça qu'on fait Burgos, le Tour des Pyrénées, des stages… Elles sont dédiées à 100% à ça. Je n'ai aucune fille sur le capot après 15 kilomètres, contrairement à l'année dernière où à mi-course j'avais une moitié de filles à la rue. Cette année je n'ai plus que des pros, on ne peut plus être avec des filles dont ce n'est pas le métier, au départ de la plus grande course. Je ne dis pas qu'on va performer mais on va faire partie de ces équipes sans scrupules, on sait qu'on a le niveau, qu'on tient le rythme. Avec EF on a fait la guerre, au Samyn j'ai trois filles dans le premier groupe à 10 kilomètres de l’arrivée. On ne va pas se comparer aux WorldTour, mais en se glissant dans les échappées, on veut montrer qu'on mérite d'être là, avec dans un coin de la tête l’idée de performer. Une Ségolène en très haute montagne, une Joséphine, une Laury, une Chloé qui va vite au sprint. Avant on se serait demandé « est ce qu'on est capable de tenir le peloton », maintenant plus du tout.

As-tu des échanges avec ASO ?
ASO ne dit rien, elle ne distille pas d’information sinon tout s'enflamme. Pour eux le silence est la meilleure chose, ça évite des mauvaises rumeurs, des interprétations. Je n'ai pas de communication avec eux mais je leur écris ou leur donne quelques nouvelles de l'équipe pour qu'ils voient le travail effectué. Dire qu'on fait ceci ou cela, qu'on travaille dessus. Pas forcément que de sport, mais je leur écris. C'est normal pour moi, c'est moi qui suis demandeur donc je leur apporte un peu de nourriture. En plus, on s'appelle Komugi-Grand Est, et avec deux étapes dans la région... Le Grand Est a accueilli la première édition, il y a un lien très fort avec ASO et le Tour féminin. Quelque part on est chez nous entre Remiremont et Amnéville, donc ça donne encore plus de crédibilité à une sélection. Une partie de nos filles vient des Macadam’s Cowboys, on organise toujours le Tour de la Mirabelle et la Mirabelle Classic qui bascule en 1.2. On va donc créer la première course pros femmes dans l’Est. On affiche le petit cow-boy partout qui est un clin d’œil. On est une région qui a porté le vélo féminin. Finalement c'est la croisée des chemins pour tout le monde.

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