Iris Sachet, l’oeil scientifique des pistards

Crédit photo Patrick Pichon - FFC

Crédit photo Patrick Pichon - FFC

Une fois rendue à Apeldoorn, le premier travail d’Iris Sachet a été d’établir un relevé topographique de la piste hollandaise où se déroulera le Championnat d’Europe sur piste à partir de mercredi. La Championne de France Juniors 2012 est chargée de l’analyse de toutes les données de l’équipe de France sur piste et le vélodrome d’Apeldoorn ne figure pas encore dans sa base de données. La Nantaise est de tous les voyages de l’équipe de France avec son ordinateur et ses capteurs. Au Championnat de France de Saint-Quentin-en-Yvelines de la semaine dernière, elle a encore profité de la compétition sur la piste olympique pour recueillir des informations. Iris Sachet présente à DirectVelo son travail scientifique pour la FFC dont profitent les pistards tricolores. Et le bon relevé de la piste est devenu indispensable pour optimiser la performance.

DirectVelo : Depuis quand travailles-tu pour la Fédération ?
Iris Sachet : Je travaille à la FFC depuis un moment parce que j’ai fait ma thèse de doctorat des sciences du sport en contrat CIFRE financé par la Fédération depuis 2017. Officiellement, je suis sur mon poste depuis la mi-2021. Sur le vélo, ma vraie dernière saison remonte à 2021 avec le Team ELLES.

MUSCLER LES MOLLETS POUR TRANSMETTRE LA FORCE

Quel était le sujet de ta thèse ?
La thèse portrait sur la coordination musculaire et la propriété mécanique en pédalage en sprint. On cherchait à comprendre les déterminants de la performance maximale, le développement de la PMax chez des sprinteurs de haut niveau que ce soit des pistards ou des pilotes de BMX. L’idée était de voir parmi les qualités musculaires, notamment les capacités de production de force des différents groupes musculaires des membres inférieurs, lesquels étaient les plus discriminants vis-à-vis de la PMax qu’on arrive à produire. Concrètement, à très très haut niveau de puissance, on peut ne pas forcément s’améliorer via une augmentation de la force des quadriceps si on n’a pas des fléchisseurs plantaires, les mollets, qui sont suffisamment forts pour transférer la force à la pédale. C’était un des premiers résultats.

Il y en a eu d’autres ?
L’importance des capacités de force des membres supérieurs. Si on n’arrive pas à fixer notre bassin par l’intermédiaire de la force qu’on arrive à appliquer du tronc vers les membres inférieurs, en gros, on perd du transfert de force. Concrètement, on fait un squat sur la pédale si on image. Mais on n’a pas envie de se lever, il faut rester sur la selle.

Est-ce que ça a des conséquences sur la musculation ?
Ça a donné un apport pour de la musculation spécifique, notamment au niveau des fléchisseurs plantaires (les mollets) et comprendre pourquoi, parfois, des athlètes n’arrivent pas à gagner en puissance malgré des gains en squat. Il y a peut-être du travail à revoir chez certains sur le haut du corps.

Quel est ton travail aujourd’hui ?
J’accompagne principalement le collectif piste, c’est 90 % de mon temps de travail sur des suivis de performance. Je dois exploiter toutes les données de puissance, les faire parler un peu plus que de dire « tu as  500 Watts de moyenne ». Depuis deux-trois ans, on est équipé de nouveaux capteurs de puissance qui sont beaucoup plus précis que ceux qui sont sur le marché. Ils sont placés sur les cadres Look. Les données sont échantillonnées à 200 Hertz, ça nous permet d’en avoir beaucoup plus que précédemment. Avant, on n’avait pas de données du départ. Maintenant, on est capable de décrire tout un cycle de pédalage sur le départ. On peut aller un peu plus loin sur de la technique, notamment chez les sprinteurs. J’aime bien faire des choses visuelles pour les coachs. Je fais des tableaux de bord automatiques avec les données, notamment en poursuite par équipes. C’est tout le champ gestion de la Data. 

OPTIMISER L'ENTRAÎNEMENT ET LES BRAQUETS

Tu as d’autres tâches ?
Je participe au suivi physiologique des athlètes et le profilage. On essaye d’aller un peu plus loin sur profilage des athlètes, que ce soit les sprinteurs ou les endurants pour ensuite optimiser nos choix, soit d’entraînement ou de braquet. Sur la piste, le braquet est un élément essentiel vu qu’on ne peut pas le changer une fois qu’on est sur le vélo. En poursuite par équipes, ils n’ont pas tous le même braquet, pareil en vitesse par équipes. On va essayer d’affiner ces choix-là en faisant du profilage.

Il y a d’autres utilisations concrètes de tes données ?
Comme je suis avec eux très régulièrement, je les observe. Dans leur pratique, le but est d’essayer de trouver des éléments d’optimisation, de requestionner des pratiques et les accompagner dans cette démarche avec un œil un peu plus scientifique sur des choses faites en recherche dont on a des preuves et qui marchent. On a revu des façons de récupérer après une course, sur les niveaux d’intensité qu’il faut atteindre. Toutes ces missions font partie de l’accompagnement de la performance.

As-tu calculé les gains obtenus grâce à tes travaux ?
Les gains sont difficiles à estimer à chaque fois. On ne peut pas savoir. On essaye d’aller dans ce sens, même si c’est 0,1 %, c’est toujours du gain. Les choix de braquet sont des choses qu’on a affiné et qui ont fait passer des gros caps aux équipes de poursuite par équipes. Les entraîneurs ont ce jugement, je ne peux pas juger notre travail. Le fait d’avoir fait évoluer les braquets des filles avant Tokyo leur a fait passer un cap et revenir un peu dans la course mondiale. On voit la trajectoire qu’elles ont (2 fois 3e du Championnat du Monde, NDLR)… La dernière évolution, ce n’est pas forcément les braquets. Elles bossent aussi. On espère que ça joue. On essaye d’aller sur différents sujets.

« LA SENSATION, C'EST BIEN MAIS IL FAUT LA VALIDER OBJECTIVEMENT »

Penses-tu à de nouveaux axes de travail ?

Tout n’a pas été exploré. Les protocoles de récupération, de complémentation alimentaire type bicarbonate, pour tamponner l’acidité, pourraient être des protocoles plus individualisés. Sur un autre versant, mais je ne bosse pas énormément dessus, la piste est une activité très stratégique. On peut sans doute aller faire des stats sur des stratégies des points marqués en Omnium par exemple. L’idée est d’identifier si tu es classé à tel endroit à tel moment de la course, tu as peut-être intérêt à ne pas trop regagner de points ou en marquer un peu plus par rapport à la dernière épreuve, la course aux points. Ce n’est pas mon cœur de métier. On essaye de rediriger vers des personnes qui ont ce type de compétence. Avec les JO de Paris, on a du financement de projets de recherche. On bosse avec plusieurs corps scientifiques avec des compétences différentes. Ça fait partie de mon travail d’essayer de répartir les besoins et de solliciter des personnes compétentes.

Tu as des exemples ?
On peut encore s’améliorer sur les aspects de modélisation. Ça rejoint l’aspect stratégie parce qu’une fois qu’on a fait du profilage physio, d’ingénierie, de la piste, son orientation, son inclinaison, on peut essayer de modéliser une stratégie optimale. Par exemple en poursuite par équipes, la longueur de relais… On avance là-dessus. On prend des données sur la piste pour arriver à remodéliser et derrière, refaire des calculs de prédiction de la performance. Une fois qu’on connaît les caractéristiques de la piste et le profil des athlètes, on est capable de dire que s’il produit tant de Watts, vu la piste et les conditions, il va aller à telle vitesse.

Pour le 200 mètres lancé en modélisant chaque piste, tu saurais dire quelle est la meilleure trajectoire ?
Oui. Dans le cadre des projets de recherche, l’école Polytechnique travaille avec nous. Ils ont modélisé la trajectoire optimale du plongeon mais ce sont des choses qu’on n’a pas encore envie de dévoiler.

L’équipe de France pourrait faire sans toi ?
Quand on voit l’évolution du sport actuel et notamment du cyclisme avec l’accumulation des données, s’il n’y a personne pour les gérer, on n’exploite pas tout notre potentiel. Faire sans mon profil, je pense que maintenant, ce n’est pas envisageable. Ils ont besoin de données au quotidien et d’avoir un regard sur ce qui est fait. Ça ne peut plus être fait à la va-vite. La sensation, c’est bien mais il faut quand même la valider objectivement. Maintenant, ce serait difficile de faire sans.

Mots-clés

En savoir plus

Portrait de Iris SACHET