La Grande Interview : Benoît Cosnefroy

Crédit photo Zoé Soullard - DirectVelo

Crédit photo Zoé Soullard - DirectVelo

Benoît Cosnefroy attendra cet hiver pour fêter son passage chez les pros. "Ça pourrait être du même niveau que la soirée donnée en 2015 par Nans Peters [son coéquipier chez Chambéry Cyclisme Formation et colocataire]. C'est à dire quarante invités, un paquet de pizzas et quelques trucs à boire !". L'annonce de son transfert chez AG2R La Mondiale au 1er août 2017 est tombée mardi (lire ici). Récompense de la régularité du coureur normand, 6e du Challenge BBB-DirectVelo et deux fois Vice-Champion de France cette saison. Récompense surtout de son état d'esprit, toujours positif, malgré sa très grave chute du Tour de Savoie Mont-Blanc 2015. "Je n'ai pas peur de la mort", dit Cosnefroy, 21 ans le mois prochain. Le puncheur-rouleur-sprinter est un homme au poil, qui garde son sourire en toute circonstance. Même quand il se fait charrier pour son impressionnante collection de deuxièmes places, l'une de ses caractéristiques du moment : il manque la victoire au Championnat de France Amateur, au Championnat de France Espoirs (2016), au Championnat de France Universitaire, sur une étape de la Ronde de l'Isard (2015), et en bien d'autres occasions encore.

DirectVelo  : Cette série de deuxièmes places en course, c'est une loi des séries ou bien te manque-t-il un petit quelque chose pour faire la différence ?
Benoît Cosnefroy  : C'est une coïncidence. J'ai beau analyser, je ne vois où j'ai fait l'erreur. Au Championnat de France Amateur, j'avais choisi de faire les efforts dans la bosse du parcours et Valentin [Madouas] mettait attaque sur attaque dans les lignes droites avec le vent de face (lire ici). Nous avions pris deux options contraires et, à l’arrivée, c'est lui qui gagne.

Comment composes-tu avec ce genre de défaite ?
Je ne peux pas être déçu. Plus exactement, je peux être déçu de terminer deuxième sur le Tour du Pays de Gex-Valserine le week-end passé, parce que sur une épreuve Elite, seule la victoire compte (lire ici). Là, je me retrouvais dans une situation entre-deux, dans un groupe de chasse  : soit j'attendais et nous ne revenions pas sur les échappées, soit je roulais et je servais la victoire sur un plateau à un gars du groupe de contre. J'ai lancé le sprint à l'arrivée et je suis revenu sur des gars de tête, sauf sur Sébastien Fournet-Fayard. Donc, me voilà une nouvelle fois deuxième. Exemple typique où je ne vois pas ce que j'aurais pu faire d'autre... Sur un Championnat de France, il y a une consolation  : la médaille, le podium protocolaire, l'hymne national... Tu ne repars pas tout à fait les mains vides.

« JE NE PEUX PAS M'EN VOULOIR »

De quelle façon analyses-tu ta course après-coup ?
C'est un exercice mental. Je ne cours pas avec un cardio, donc je ne regarde pas mes courbes. Quant au capteur de puissance, je l'utilise comme un outil important à l'entraînement, mais j'essaie de m'en détacher en course. Alors je me repasse le film dans la tête. Est-ce que j'ai fait tout ce qu'il fallait  ? Souvent, la réponse est  : oui. J'ai respecté le plan que je m'étais fixé, donc je ne peux pas m'en vouloir. Le vainqueur était tout simplement meilleur que moi.

Le vainqueur d'une course a-t-il toujours raison ?
Pas toujours. Mais c'est celui qui a eu la meilleure stratégie. Chez les Elites, nous sommes à peu près tous du même niveau physique. La différence se fait sur la tactique.

Autre mythe du sport : seule la victoire compte. Es-tu d'accord avec cette affirmation ?
Non. Le résultat brut n'est pas une fin en soi ni un révélateur de ce que tu as fait sur le vélo. Je peux prendre du plaisir avec une 100e place sur une étape de la Course de la Paix si j'ai bien fait mon travail pour David Gaudu en Equipe de France.

Ce point de vue est-il majoritaire dans le peloton amateur ?
Je ne pense pas. Une large partie des gars courent pour la victoire exclusivement. On dit qu'on retient le nom du vainqueur, jamais celui du deuxième. Mais il y a la manière de courir qui compte, le prestige de la course... Par exemple, je suis ravi d'avoir gagné Annemasse-Bellegarde (lire ici). Ce jour-là, j'ai pris du plaisir non seulement parce que je gagne mais aussi parce que c'est une belle épreuve, dont je rêve depuis longtemps.
« AVEC LE PLAISIR, LES RESULTATS SUIVENT »

Il n'y a pas de pression de la victoire au niveau amateur ?
Au CCF, notre seule pression consiste à faire du mieux possible et à courir juste, à progresser, toujours apprendre... Si tu termines dixième en ayant fait de ton mieux, tu peux considérer que les neuf devant toi étaient plus forts.

Chez les pros d'AG2R La Mondiale, les exigences seront différentes l'an prochain...
Bien sûr. Une équipe professionnelle est une entreprise, qui a besoin d'une image de marque, donc de résultats. Il faut aussi penser au collectif : une deuxième place peut représenter une satisfaction personnelle mais ce n'est pas ça qui va donner de la motivation au reste de l'équipe. Sauf dans le cas d'une deuxième place sur le Tour de France, qui a une forte valeur médiatique et qui vaut presque une victoire.

Comment penses-tu t'adapter à cet environnement ?
En gardant ma philosophie. Je vais tout faire pour apporter quelque chose à l'équipe. Quand tu prends du plaisir, les résultats suivent. C'est même indispensable pour faire durer une carrière. Si tu t'ennuies, autant raccrocher le vélo.

Une dernière question au sujet de tes deuxièmes places  : vous en plaisantez dans l'équipe ?
Oh que oui  ! Mes coéquipiers me disent que je « vends » la course à chaque coup  ! [rires] Effectivement, mieux vaut en rire  !

« IL NE FAUT PAS AVOIR PEUR DE LA MORT »

Il paraît que vous faites des vannes sur ta grave chute du 19 juin 2015 sur le Tour de Savoie Mont-Blanc ?
C'est ça. Quand une voiture nous double à l'entraînement, les gars disent : « Celle-là, elle est pour toi Benoît ! ». Mais ils feraient mieux de se méfier ! Mon coéquipier Nans Peters, qui m'a pas mal chambré sur le sujet, s'est retrouvé par-terre sur le Tour de l'Avenir l'an passé. Arnaud Pfrimmer, du CC Etupes, n'était pas le dernier à me chambrer, et il se met par-terre toutes les semaines  ! [Rires] Le vent tourne  !

Tout de même, ton accident était grave. Les coureurs qui t'ont vu percuter la voiture ont pensé que tu étais mort (lire ici)...
C'est vrai, j'aurais pu ne pas m'en sortir. Pourtant, je n'ai aucun traumatisme. 

Comment l'expliques-tu ?
Sans doute parce que je n'ai aucun souvenir de ce qui s'est passé. Je me rappelle de la course puis de mon réveil dans l'ambulance. Entre-les deux, c'est le trou noir. Donc cette chute n'a rien changé à ma façon de vivre ou de courir. L'an passé, j'ai sollicité la psychologue de l'équipe, parce que je ressentais une certaine appréhension sur les routes mouillées. Mais ça n'a rien à voir avec l'accident du Tour de Savoie Mont-Blanc.

Selon Nans Peters, cet accident pourrait même lever quelques inhibitions, si tu en avais. Pour ton colocataire, tu as tendance à penser que rien ne sera pire que la chute en Savoie.
En effet, difficile de faire pire. Si je fais pire, je n'en garderai aucun souvenir. Il ne faut pas avoir peur de la mort. Sinon, tu ne sors pas de chez toi...

« JE NE PENSE PAS ME METTRE EN DANGER »

Tu prends beaucoup de risques en course ?
Non, pas du tout. L'adrénaline du sprint qui arrive, le jeu avec les adversaires, le moment où tu frottes, tout ça donne envie. Il faut prendre des risques pour gagner. Mais je ne pense pas me mettre en danger.

Même chose quand tu fais de l'escalade ?
Alors, là, l'exercice est très sécurisé. Je suis récemment parti à Saint-Léger, en Maurienne, avec ma copine qui est très sportive. Nous avons fait de l'escalade en pente naturelle. Tu grimpes sur une hauteur de vingt mètres, généralement pendant une vingtaine de minutes. Tu es bien accroché, il n'y a aucun danger. Le seul risque, c'est de te planter dans une prise et de redescendre d'un étage. C'est assez désagréable.

Pourquoi les sports de plein air ?
Pour profiter de la nature, se mettre un peu au calme. Pour sortir de la bulle habituelle de la performance. Ces activités me plaisent. Comme ma copine fait du biathlon, elle m'a aussi emmené tirer à la Féclaz [au-dessus de Chambéry, NDLR].

Et tu aimes tirer ?
Ce n'est pas ma principale qualité ! [rires] Tirer, c'est assez difficile : il faut de la concentration et une bonne position, qui n'est pas facile à garder.
 
« LA FIERTE DE MA FAMILLE »

Revenons au vélo. Ta première victoire se déroule à 16 ans sur le Prix Louis Cosnefroy, à Teurtheville-Hague (Manche). Un hommage...  
Louis était l'arrière grand-père de mon père. Mon arrière-arrière grand-père ! Je viens d'une famille de vélo. Mon père et mon grand-père n'ont pas été coureurs mais ils organisent des courses. Pour ma part, j'ai débuté à neuf ans. J'ai eu du mal à gagner jusque chez les Cadets, parce que je n'étais pas assez grand. Mais le Prix Louis Cosnefroy me faisait rêver. C'était vraiment la course de la famille, je voyais les préparatifs, on se cotisait pour payer le trophée du vainqueur... Un cousin de la famille avait déjà gagné, un certain Cyril Cosnefroy. Tout le monde pensait que ce serait mon tour un jour. C'est là que j'inaugure le palmarès. Quand j'ai passé la ligne, les anciens m'ont dit  : «  On t'attendait  ». J'ai vu de la fierté dans leurs yeux.

C'est un moteur, la fierté de la famille ?
Oui. Je fais aussi du vélo pour vivre des moments comme ça. Ma famille occupe une place très importante dans ma vie. Il y a les copains aussi, bien sûr  : quand j'étais petit, on partait à vélo toute la journée, on s'arrêtait manger chez l'un ou jouer à la Playstation chez l'autre. C'était une sortie de 8h avec 1h30 de vélo  ! [Sourire] Mais la famille, c'est encore autre chose. Il ne se passe jamais deux jours sans qu'on se téléphone.

Quand tu t'imposes sur une étape de la Boucle de l'Artois, tes parents étaient parmi les spectateurs ce jour-là ?
Une nouvelle fois, nous avons partagé une émotion intense. Voir que je les rends fiers, ça m'aide à avancer. C'est un sentiment de joie difficile à décrire  : ta victoire est espérée par tes proches, mais elle arrive toujours par surprise. C'est brutal et c'est très fort.

Dis donc, pourquoi y avait-il si peu d'actualités sur www.chamberycyclismeformation.com entre le 19 juillet et début septembre ?
Hum... Ça fait partie de mes attributions de mettre le site du club à jour. J'ai manqué de temps sur deux week-ends consécutifs et, ensuite, c'est l'engrenage, tu n'alimentes plus les infos. Heureusement, Clément Brossais [ex-coureur de Chambéry Cyclisme Formation, NDLR] m'a succédé dans cette tâche. Ecrire, c'était un boulot que j'aimais bien, même si j'ai des lacunes en orthographe. Pour bien faire, il faut juste un peu d'assiduité. Le schéma est toujours le même  : après chaque course, je mettais les résultats, un petit résumé, le commentaire du directeur sportif et la citation du coureur qui avait le mieux marché dans le club. Sauf si je m'étais retrouvé à l'avant. Dans ce cas, je me contentais de donner la parole au directeur sportif. Je serais bien incapable de faire une interview de moi.

Mots-clés

En savoir plus

Portrait de Benoît COSNEFROY