Thomas Champion : « L’enchaînement parfait » d’un homme déterminé

Crédit photo Nicolas Gachet / DirectVelo

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Qui aurait pu imaginer, il y a seulement quatre mois, que Thomas Champion se retrouverait dans une formation WorldTour en 2021 ? Sans doute personne ou presque, si ce n’est le principal intéressé lui-même. Venu à la route sur le tard - moins de dix jours de courses chez les J1 -, cet adepte du VTT s’est révélé une première fois sur les routes du Valromey, en Juniors 2, en portant le maillot de leader à la veille de l’arrivée finale d’une course référence (lire ici). Une performance qui lui vaut d’être contacté par Christian Milesi, directeur sportif de Bourg-en-Bresse AC. Mais le garçon vit dans l’Ouest, en Loire-Atlantique, et opte pour le Vendée U pour ses débuts chez les Espoirs. Durant les deux saisons - 2018 et 2019 - qu’il passe chez les rouge-et-blanc, le grimpeur va passer son temps à se chercher. Sa victoire en Toutes Catégories sur la Suisse vendéenne (lire ici), près du Manoir où se trouve le siège du club, est l’arbre qui cache la forêt. Il réclame des responsabilités mais dit ne jamais en avoir, et ne décroche pas un seul autre Top 10 en vingt-quatre mois. Conséquence directe : il se voit contraint de quitter la structure vendéenne au terme de la deuxième saison.

ÉCHEC AU VENDÉE U ET DÉMÉNAGEMENT PAYANT

Satisfait de la façon dont il servait le collectif, le longiligne athlète (1m90) n’a jamais réussi à se mettre en évidence sur les courses où le Vendée U l’attendait, à savoir en montagne. Il a ainsi disputé deux Ronde de l’Isard, deux Tour Alsace et un Tour de l’Avenir dans l’anonymat du peloton.
“L’Isard, j’y ai fait une place honorable la première fois (27e) alors que je n’étais qu’Espoir 1. La deuxième année, j’avais des ambitions mais j’ai perdu toutes mes chances sur une chute. Quant à l’Alsace… C’était simplement trop dur à ce moment-là. Il y avait un niveau de fou et en plus, j’y arrivais déjà cramé de toutes les courses disputées auparavant”, analyse-t-il auprès de DirectVelo. Thomas Champion dit avoir beaucoup enchaîné dans la réserve de Total Direct Energie. “Je crois que j’ai fini deux fois à 75 jours de course, environ. Au moins, ça m’a permis de voir tous les types de courses et de prendre de la caisse pour la suite”. Mais l’aventure dans l’Ouest prend donc fin au terme de l’exercice 2019. Non sans frustration et incompréhension. “J’ai trouvé que c’était dur, ce départ du groupe, même si je n’avais pas fait de résultats en montagne, c’est vrai. Je me cherchais”. De son propre aveu, les mots forts employés au moment de son départ du Vendée U l’ont marqué. “Lorsque j’ai quitté le Vendée U, on m’a dit que je ne passerai pas pro. J’ai donc changé d’état d’esprit, je me suis dit que j’allais faire du vélo plaisir, sans prise de tête, et en travaillant à fond sur mes qualités de base : celles de grimpeur”

C’est le moment choisi pour renouer le contact avec Christian Milesi. Cette fois-ci, Thomas Champion va porter les couleurs de Bourg-en-Bresse en 2020. “J’avoue l’avoir perdu de vue pendant deux ans. Quand il est arrivé au club, on était dans l’idée de tenter un pari, car il ne venait pas de faire deux saisons exceptionnelles”, explique le directeur sportif, rapidement épaté par son nouveau coureur. “J’ai vite senti qu’il avait de belles capacités physiques et de grosses valeurs collectives, qu’il a sans doute apprises au Vendée U. Lors des stages de préparation et sur le début de saison, j’ai tout de suite été marqué par le fait qu’il savait où il allait et ce qu’il faisait. Je l’ai senti très autonome et sûr de son travail. Le meilleur exemple, c’est son initiative de s’installer à Aix-les-Bains. Il y tenait et ça l’a beaucoup aidé. Rouler tous les jours ou presque en montagne, c’est un gros plus, et il le savait”.

LA SAVOIE, COMME SI C'ÉTAIT ÉCRIT

Voilà donc que le grimpeur trouve enfin un terrain de jeu à sa convenance à l’entraînement, au quotidien. De quoi rapidement passer un gros palier et impressionner tous ses coéquipiers en stage. “Il lui manquait le coup de pédale en montagne. Il a su le travailler, arrondir ce coup de pédale. Et on a vite senti la différence”, ajoute Christian Milesi. Le confinement printanier n’a pas perturbé Thomas Champion. Bien au contraire. “Certains auraient pu se décourager mais lui en a fait une force”. Il se fixe un seul et unique objectif bien précis en tête : faire grosse impression sur les routes du Tour de Savoie-Mont Blanc, à la reprise, début août. “On s’est volontairement axé sur un travail de grimpeur à 100%. Il s’était préparé en conséquence et s’était donné les moyens de réussir via des stages en altitude. Il a très vite compris qu’il était dans le coup et qu’il marchait fort. Pour l’anecdote, il taquinait même les KOM Strava de Romain Bardet sur les montées du coin”, témoigne son entraîneur, Xavier Fournier, manager du CREF de la Roche-sur-Yon et qui entraîne également, entre autres, Maxime Chevalier (B&B Hôtels-Vital Concept).

Durant les derniers jours qui précédent la course savoyarde, Thomas Champion est dans sa bulle. Il sait que quelque chose de beau se prépare peut-être. La fin de saison s’annonce courte et il prend le pari de tout miser sur ce Tour de Savoie. “C’était un pari risqué mais je n’avais rien à perdre. C’était pour tout le monde pareil : la saison allait se résumer à trois mois de courses et le niveau allait être super élevé. On le savait, ça a été le cas. Il fallait performer au bon moment, d’entrée, quitte à faiblir en octobre…”. Un choix risqué et courageux, salué par son entourage. “Il est totalement acteur de ce qu’il fait. Il a une détermination que j’ai rarement vue. Quand on parle de détermination, il ne s’agit pas de dire que l’on est motivé et que l’on veut gagner. Lui, il a mis beaucoup de choses en place, j’insiste. J’ai été choqué par ses prises d’initiatives. C’est la première fois que je voyais quelqu’un à ce niveau d’implication”, détaille encore Christian Milesi. Le coureur ajoute : “J’ai pris un plaisir fou à l’entraînement, en juillet. Je roulais beaucoup et je sentais que ça allait bien se passer par la suite, en quelque sorte… Mais les stages, c’est une chose, les courses, une autre”. La course, justement, tourne vite à son avantage. Thomas Champion prend une échappée fleuve le premier jour et se retrouve deuxième du général. La suite est connue : port du maillot de leader et 4e place au général final. “J’ai fait des sacrifices pendant toute l’année. Je n’ai fait que du vélo. J’ai travaillé dur sans gagner ma vie. C’était pour ça. Pour marcher au Tour de Savoie et pour passer pro”.

UN PROFIL DE GRIMPEUR RECHERCHÉ

Ses performances en Savoie ne passent pas inaperçues. Très vite, plusieurs équipes professionnelles se renseignent. Il s’attache alors les services d’un agent, Philippe Raimbaud. Ce dernier est très intéressé par son profil. “Il n’a pas un palmarès long comme le bras mais il vient du VTT et il a toujours fait les deux disciplines. Il a un parcours atypique qu’il ne faut pas lire avec des lunettes traditionnelles. L’homme m’a séduit et le challenge était intéressant”, détaille Philippe Raimbaud, lequel va souffler le nom de son nouveau protégé à la direction du Team Cofidis. “Dans ma tête, il était bien possible qu’il fasse encore une année supplémentaire chez les amateurs, mais plusieurs équipes se sont vite manifestées”. Et c’est donc la formation de Cédric Vasseur, à la recherche de grimpeurs pour épauler son leader Guillaume Martin, qui fait signer Thomas Champion. “C’est un profil atypique et relativement rare au sein du peloton amateur. Des coureurs au profil de purs grimpeurs, il n’y en a pas tant que ça. C’était le bon profil, au bon moment, pour la bonne équipe. Tout ça a facilité la signature d’un contrat”, se réjouit Philippe Raimbaud. “Mais ce n’est pas un aboutissement, juste un point de départ pour lui”.

Thomas Champion, pour sa part, a été agréablement surpris de susciter tant d’intérêts. “Je ne me suis pas tout de suite rendu compte de ma performance en Savoie ni de l’impact que ça aurait. Je ne me suis jamais dit que j’avais un profil spécialement recherché mais on me l’a fait remarquer. C’est peut-être pour ça que j’ai intéressé plusieurs équipes, alors que je n’étais sûrement pas le meilleur français de la saison. S’il avait fallu attendre un an de plus pour passer au-dessus, je l’aurais fait. Mais j’avais des propositions, il fallait en profiter. Tout a été à une vitesse de malade cet été. C’était l'enchaînement parfait, tout s’est bien goupillé”, concède celui qui était à la fois en contact avec Cédric Vasseur, manager général de la Cofidis, et Vincent Villerius, son désormais entraîneur au sein de l'équipe WorldTour.

« CE N’EST PAS UN FEIGNANT »

Christian Milesi, le directeur sportif de Thomas Champion en 2020, a lui aussi eu de longs échanges téléphoniques avec ce même Vincent Villerius. L’occasion de faire le point sur les forces et faiblesses de celui qui s’est classé 9e de la Ronde de l’Isard en fin de saison - 2e au sommet de l’Hospice de France -. Christian Milesi synthétise ainsi son point de vue : “Sur ce qu’il a fait entre la Savoie et l’Isard, il a clairement montré qu’il avait le niveau pour passer pro. Techniquement, il est au point. Il sait courir collectivement, rouler pour un leader, et il peut être bon sur tous les terrains. Son évolution, elle va devoir être physique : il doit apprendre à enchaîner les cols et les courses. Sur une course vallonnée avec plein d’ascensions, type Montbéliard, il est encore limité. Ce n’est pas un feignant et il va continuer de travailler dur, j’en suis persuadé”. Son entraîneur, Xavier Fournier, explique pour sa part avoir dû canaliser Thomas Champion, par moments. Le grimpeur est si déterminé qu’il aurait parfois tendance à en faire de trop. “Il faut le freiner, j’y travaille depuis un moment (sourire). Il a tendance à toujours rallonger les séances, ou à les durcir. Il ne maîtrisait pas bien l’aspect de la récupération mais ça commence à venir. Il a compris au fur et à mesure que ce n’est pas en faisant toujours plus d’efforts qu’on est plus performant. Il est attachant et à l’écoute de ce qu’on peut lui dire, même si je ne lui ai jamais rien imposé. Il fait le nécessaire”.

Xavier Fournier et Christian Milesi se disent “très heureux” pour leur coureur, qui s’envole désormais vers de nouveaux horizons. Chez Cofidis, il fera d’ailleurs équipe avec deux autres coureurs ayant récemment porté le maillot de Bourg-en-Bresse : Victor Lafay et Rémy Rochas, preuve du beau travail de formation du club de N1. Tâche à Thomas Champion de faire désormais ses preuves au plus haut niveau. “Il est encore tout jeune dans le métier. Vu la façon dont il a progressé cette année, je me dis qu’il y a encore des chevaux sous le capot !”, lance Xavier Fournier. Le futur néo-pro, pour sa part, souhaite faire preuve de réserve et d’humilité. “C’est un retour à zéro. Je dois apprendre à passer partout, sur le plat, dans les bordures… Forcément, ça fait un peu peur, j’arrive en WorldTour face à des coureurs très expérimentés. Il y a un complexe d’infériorité sur le coup… Mais c’est un projet à long terme”. Et nul doute que le garçon va garder la philosophie qui lui a permis de mener à bien sa saison 2020. En gardant la volonté de travailler très dur, toujours dans le même cadre, à Aix-les-Bains. “Je n’ai aucune raison de changer. L’environnement est royal pour s’entraîner, c’est parfait”.

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