La Grande Interview : Aurélien Doléatto

Crédit photo Nicolas Gachet / Mathilde Clouard / Zoé Soullard

Crédit photo Nicolas Gachet / Mathilde Clouard / Zoé Soullard

Aurélien Doléatto rêve de briller en 2019 à Annemasse-Bellegarde, à la Course de la Paix et au Tour de Savoie Mont-Blanc. “J’aimerais bien sûr courir avec l'Equipe de France et aider au maximum Clément (Champoussin) sur des courses de grimpeurs”, assure-t-il à DirectVelo. Première preuve de confiance, Pierre-Yves Chatelon l’a convoqué au stage de cohésion qui aura lieu en début d’année en Maurienne (Savoie). Et ce, un peu plus d’un an après avoir passé trois semaines dans le coma.
Le 12 novembre 2017, celui qui était alors coureur au Chambéry CF a été victime d’un grave accident de voiture. Le choc a entraîné une fracture de la mâchoire, des lésions aux poumons et surtout une forte pression au cerveau. Les mois suivants, ses progrès ont été spectaculaires au point de terminer à la 6e place au Tour de Côte d’Or (Elite Nationale) pour sa reprise sous les couleurs de son nouveau club, Bourg-en-Bresse Ain Cyclisme. Puis un autre coup dur est venu le perturber : le blocage de sa licence jusqu’à la fin de la saison 2018. Aujourd’hui, le résident de Saint-Rambert-en-Bugey (Ain) a la certitude de courir en 2019 et une envie débordante. “Je suis un coureur comme un autre”, insiste-t-il. Mais avec une histoire peu commune.

DirectVelo : Te voilà retenu pour la première fois en Equipe de France Espoirs !
Aurélien Doléatto : Christian Milesi m’avait parlé de la possibilité d’intégrer l'Equipe de France. Il voulait absolument informer Pierre-Yves Chatelon que j’étais « chaud » pour la saison 2019. Le sélectionneur m’a appelé il y a quelques jours pour le stage hivernal. Son coup de téléphone m’a fait super plaisir. C’est une preuve de confiance après ce qu’il m’est arrivé.

Tu es donc « chaud » pour la saison 2019 ?
Oui ! J’ai été stagiaire chez AG2R La Mondiale en 2017. Je comptais faire une grosse année 2018 pour passer pro. J’ai perdu une année. La grosse saison que je comptais faire cette année, je souhaite la réaliser en 2019. J’ai reporté mes plans d’un an. J’ai passé trois semaines dans le coma. Avec une seule épreuve dans les jambes (le GP de Louhans, NDLR), j’ai disputé ma première course Elite au Tour de Côte d’Or et j’ai terminé 6e du classement général. Avec une bonne préparation hivernale, pourquoi ça n’irait pas en 2019 ?

« IL FAUT QUE JE ME DÉPENSE »

Cette 6e place au Tour de Côte d’Or paraît folle
Je suis passé par des moments difficiles. C’était très dur quand j’étais hospitalisé. Je ne pensais pas retrouver mon niveau. Je me suis même dit que le vélo, c’était fini, ou plutôt qu’il allait me falloir du temps pour que ça revienne comme avant. Le sport me manquait pendant mon hospitalisation. Mais au début, je n’arrivais même pas à tenir debout. J’ai repris les sorties en vélo en février. Je faisais des sorties de 30 kilomètres, à 22-23 km/h et j’étais complètement mort en arrivant chez moi. Petit à petit, ça allait de mieux en mieux.

Puis tout a eu l’air simple derrière !
Je me suis bien entraîné à partir d’avril. J’ai passé un test à l’effort en juin. Je faisais les mêmes watts que par le passé. J’ai repris les courses en juillet et j’ai fini 6e de ce Tour de Côte d’Or alors que normalement, il faut que j’enchaîne les courses pour être bien. Je pensais donc faire une grosse fin de saison. Je me voyais même claquer une Elite !

Mais tu n’as plus couru de la saison...
Je roulais avec Victor Lafay le lundi qui suivait le Tour de Côte d’Or quand Christian Milesi m’a appelé. Il m’a dit que ma licence était bloquée. En rentrant chez moi, j’ai téléphoné au médecin qui avait validé ma licence. Il m’a dit de reprendre progressivement, que ce n’était pas bon de recommencer trop fort. Personne ne voulait prendre de risques pour ma santé.

Ce qui peut se comprendre, non ?
Oui mais ils auraient dû le me dire d’entrée de jeu. Ils m’ont fait espérer que c’était reparti comme avant. J’étais très motivé pour la fin de saison. Je marchais au Tour de Côte d’Or et on me dit d’arrêter jusqu’à la fin de saison. C’était horrible à vivre. J’avais la haine. J’ai fait des gros entraînements pour revenir au top. Mais finalement, j’aurais pu faire autre chose, comme bosser pour aller chercher de l’argent.

Comment as-tu alors occupé ton temps ?
J’ai fait d’autres choses que du vélo. Je suis sorti, j’ai vu mes potes… J’ai quand même fait des semaines à dix heures de vélo pour ne pas tout perdre. Quand on m’a annoncé que je n’allais pas recourir, je voulais tout arrêter. Pendant deux-trois semaines, dans ma tête, j’en avais fini avec le sport. Puis ma famille m’a motivé pour continuer. Je suis parti en Italie avec Rémy Rochas, dans la région de San Remo. J’ai pris un plaisir fou à faire du vélo alors je me suis dit que j’allais repartir. Pendant la période de deux semaines où je n’ai pas fait de sport, j’étais débordant d’énergie. Je n’arrivais pas à dormir la nuit. Il faut que je me dépense sinon ça ne va pas !


« J'AURAIS PU MOURIR CE JOUR-LÀ »

Tout aurait pu s’arrêter pour toi ce 12 novembre...
On m’a raconté l’accident car je ne me souviens de rien. En fait, j’ai un trou d’un mois dans ma vie : du moment où je pars en voiture jusqu’à quatre semaines après l’accident. Ce jour-là, je suis allé à Voiron (Isère) chercher une voiture que je venais d'acheter. Je suis rentré par le col de Couz où il y a eu un gros orage de grêle. En arrivant près de Chambéry, la voiture a dérapé. J’ai mis un gros coup de volant pour la rattraper. Elle s’est déportée sur la voie de gauche et j’ai tapé, de côté, une voiture qui arrivait en face. Ma tête a tapé le côté droit de la voiture. Ca n’a donc pas déclenché les air-bags. L’enquête de police a indiqué que je roulais entre 60 et 70 km/h, et l’autre voiture entre 50 et 60. Je n’allais pas super vite. C’était une grande route, sans danger, mais c’était glissant à cause de l’orage. Il était prévu que je change les pneus le lendemain car ils avaient dix ans… Ils étaient un peu “craqués”. On pense donc que ça vient de là.

As-tu le sentiment d’être un miraculé ?
J’aurais pu mourir ce jour-là, j’en ai conscience. Quand les pompiers sont arrivés, je n’étais pas beau du tout. J’ai été héliporté à l'hôpital de Grenoble. Ce qui n’est jamais bon signe… Trois-quatre jours après l’accident, les médecins étaient incapables de dire si j’allais m’en sortir. Ensuite, ils ne savaient pas comment j’allais me réveiller. Ils ne pouvaient pas dire si j’allais avoir des séquelles, aussi bien mentales que physiques. J’aurais pu me retrouver dans un fauteuil roulant.

Quels sont tes premiers souvenirs après ce coma ?
Dans mon lit d'hôpital, à Grenoble, je me souviens que je voulais toujours me rendormir car j’avais l’impression de me réveiller chez moi. Mais en fait je me réveillais toujours dans ce lit d'hôpital !

Puis tout est allé très vite !
Les médecins ne s’attendaient pas à une récupération aussi rapide. Je devais être hospitalisé jusqu’à fin juin mais je suis sorti début mars. J’ai récupéré toutes mes capacités. J’ai fait beaucoup de travail sur la mémoire. J’avais une diplopie de l’oeil droit, je voyais double dans certaines positions. Mais ça va mieux aujourd’hui même si j’ai encore une très légère gêne.

« JE NE PEUX PAS ME PLAINDRE »

A l'hôpital, tu as côtoyé des gens qui, eux, ne marcheront plus…
Il m’arrive de repenser à ceux qui étaient hospitalisés avec moi. Je me souviens être allé voir deux-trois matchs de hockey sur glace avec eux. Ils faisaient avec leur situation. Ils ont une vision différente de la vie. Ils continuent à vivre malgré ce handicap. Ils étaient toujours joyeux.

Que t’as appris cet accident ?
On peut être en pleine forme aujourd’hui et ne plus être là demain. J’ai rencontré des gens à l'hôpital qui sont mal tombés dans un escalier et qui seront toute leur vie dans un fauteuil roulant. Ça peut aller très vite. Il faut profiter de chaque instant de sa vie. Je ne me prends plus du tout la tête alors qu’avant, j’étais chiant ! Je dis ce que je pense directement, je fais ce que j’ai envie de faire. Je ne me pose plus de questions.

On dit souvent qu’on revient plus fort après un accident ou une maladie. Est-ce une phrase bateau ou la réalité ?
Je serai peut-être plus fort mentalement. Certains coureurs sont en dépression pour un petit truc. Moi, je ne peux pas me plaindre après ce qu’il m’est arrivé. J’ai roulé quatre heures ce mercredi, dans le brouillard et avec -1°C. J’ai fait ma séance sans me plaindre.

Autre phrase qui revient souvent dans le milieu du vélo : “quand tout va bien, il y a du monde autour de toi, et quand c’est dur, il n’y a plus personne”...
Beaucoup de gens du vélo sont venus me voir à l'hôpital de Grenoble. Victor (Lafay) était régulièrement à mes côtés à l'hôpital, même quand j’étais encore dans le coma ! Il y a beaucoup de coureurs du Chambéry CF qui sont passés. Il y a des gars du sud de la France comme Quentin Grolleau et Robin Meyer qui sont montés à Grenoble. Ça m’a fait plaisir.

Qu’est-ce qu’ils te disaient, alors ?
Que j’allais reprendre le vélo, que j’allais tout arracher mais on ne parlait pas forcément de vélo. Sinon, ça allait m’énerver car j’étais cloué dans ce lit d'hôpital.


« RIEN NE PEUT M'ARRIVER DE PIRE »

Le vélo est un sport plutôt dangereux. Il a été simple de dire à tes parents que tu allais reprendre ?
Ils m’ont dit de tenter ma chance et d’y aller à fond malgré le danger qu’on peut rencontrer en pratiquant ce sport. Moi, j’ai failli mourir alors que j’étais en voiture. On peut mourir n’importe comment alors autant se faire plaisir. Je n’ai pas d’appréhension à vélo. Comme je n’ai aucun souvenir de l’accident, j’ai également repris le volant comme s’il ne s’était rien passé. De toute façon, rien ne peut m’arriver de pire…

Quand as-tu compris que tu avais encore un avenir dans le vélo ?
J’ai fait des grosses sorties foncières, de cinq-six heures, au mois de mai. Puis j’ai fait du derrière-scooter avec mon père. Au début, c’était difficile puis j’ai réussi à les faire pratiquement à la même vitesse qu’avant. J’ai compris que j’étais proche de mon niveau. Pendant l’été, j’ai fait une grosse sortie avec Victor. Je me suis mis devant dans un col. Je voulais le faire péter. En haut, il m’a dit qu’il était incapable de passer. Il était à bloc dans ma roue ! Je me suis alors dit : “C’est bon, c’est revenu”. Mais c’était après le Tour Côte d’Or. Je me souviens que ça m’avait énervé car je ne pouvais plus faire de course !

Cet accident va te suivre à vie…
Oui, j’en ai conscience. Ca ne me dérangera pas de reparler de tout ça mais pas plus de cinq-dix minutes. Après trois semaines de coma, j’ai les mêmes capacités qu’avant. Je comprends que ce soit particulier et qu’on ait envie de m’en parler. Mais je n’ai pas envie de repenser à ces longs mois d'hôpital. Je vois la suite. J’ai une rage de fou. Je veux être au départ de chaque course pour gagner et signer ce contrat pro en fin de saison, ou dans deux ans mais j’ai envie que ça aille vite.

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