On a retrouvé : Mathieu Drujon

Crédit photo Quentin Lafaye

Crédit photo Quentin Lafaye

Du cyclisme professionnel au cyclisme virtuel, Mathieu Drujon a franchi le pas. Après avoir sillonné pendant de nombreuses saisons les routes de France, l'ancien sociétaire du VC Toucy, féru de nouvelles technologies, se démène désormais dans son garage, sur son home-trainer. Au terme de plusieurs années de service au sein de la Caisse d'Epargne et de BigMat-Auber 93, le lauréat de la Classic Sud-Ardèche 2013 (voir le classement) a décidé de raccrocher le vélo en 2015. DirectVelo a retrouvé l'ancien équipier d'Alejandro Valverde.

DirectVelo : Tu es devenu, le 24 février dernier, le premier Champion de France de Zwift !
Mathieu Drujon : J'avais mes vacances au ski programmées depuis des mois et le Championnat était pile le samedi où je devais partir. Je n'avais pas prévu d'emmener mon vélo et mon home-trainer avec moi. J'ai dû m'arranger pour trouver une solution avec mon oncle, qui habite en Haute-Savoie, pour aller chez lui un jour plus tôt. J'ai fait le Championnat de France avec un partage de connexion depuis mon téléphone. J'étais sur sa terrasse, à l'extérieur, par zéro degré. La connexion wi-fi ne passait pas dans son garage. Je n'avais pas le choix, il faisait trop chaud dans la maison, j'allais suffoquer. Je me suis donc mis dehors avec une grosse veste et c'était parti pour 68 kilomètres !

Que représente ce titre lorsque l'on a déjà remporté la Classic Sud Ardèche chez les professionnels (revoir les photos) ?
Même si l'on pratique un vélo virtuel, l'effort reste réel. Bien sûr, il faut relativiser ce titre par rapport à ce que j'ai fait avant. L'adversité n'est pas la même. En face, ce ne sont pas forcément des coureurs qui ont eu un super niveau. Je ne vais pas m'enflammer. Nous n'en sommes encore qu'aux débuts de la discipline en France. Les coursiers professionnels ou de première catégorie n'ont pas le droit de faire ça, au risque de se griller. Ça retire pas mal de bons coureurs. Je ne vais pas prendre la grosse tête. Je pense que l'on est à l'aube d'une nouvelle pratique qui va se diffuser durant les prochaines années. Plus tard, je pourrai dire que j'ai été le premier Champion de France de la discipline. Ça sera un beau clin d’œil.

Comment, de coureur cycliste professionnel, devient-on un adepte des courses virtuelles sur Zwift ?
En 2015, après avoir arrêté le vélo, j'ai repris mes études avec une licence de responsable du développement commercial. En même temps, j'ai fait un stage à Royal Vélo France où j'ai été embauché. Aujourd'hui, j'y travaille encore. C'est un distributeur grossiste qui vend des marques internationales à tous les magasins de cycles en France. On propose notamment la marque Tacx qui vend des home-trainer connectés. Je devais tester les produits et j'ai découvert Zwift de cette manière, il y a deux ans. Au début, j'ai fait quelques courses comme ça. J'ai tout appris par moi-même car à l'époque, je ne connaissais personne d'autre qui utilisait le logiciel. Puis j'ai rencontré le DS de Vision sur un événement à Paris, chez un de mes clients. On a beaucoup discuté à propos d'une équipe virtuelle. Il m'a appris beaucoup de choses. Ensuite, j'ai perdu du poids et retrouvé des sensations de compétition comme avant.

« UNE OPPORTUNITÉ RÊVÉE »

Depuis, tu t'es vraiment pris au jeu !
Oui ! Le déclic s'est produit quand on m'a parlé d'une compétition importante, la CVR World Cup, qui se tenait à Paris en septembre. Je me suis dit que c'était une opportunité rêvée pour moi. Un mois avant, je me suis remis au vélo parce que je n'avais pas beaucoup roulé au cours de l'été. Je n'étais pas au top mais j'ai réussi à terminer septième en finale. Ensuite, j'ai progressé et perdu quatre kilos. Je ne pèse plus qu'un kilo de plus que quand j'étais professionnel. Je suis monté en catégorie A, la catégorie de ceux qui développent plus de quatre Watts par kilogramme pendant plus d'une heure. J'ai une bonne puissance sur les efforts courts. Sur des courses de quatre heures, ça serait plus compliqué car je manque de fond mais sur Zwift, ça passe. Je me suis remotivé à bloc. En janvier et février, chaque mardi, je participais à la CVR League. J'ai gagné le général et je suis envoyé à Los Angeles pour la Coupe du Monde à la fin du mois de mars.

Qu'est ce qui t'attire sur Zwift ?
Quand on a été compétiteur, on le reste. C'est comme sur la route où l'on peut accélérer dans les côtes et se tirer la bourre. Ça ne m'intéresse pas de faire 15000 kilomètres à promener le vélo les mains en haut du guidon. Sur Zwift, on trouve une adversité de son niveau. Je trouve des mecs qui me tirent vers le haut. Je me surpasse comme je ne pourrais pas le faire à l'extérieur. Quand la course commence, on se prend au jeu. Il y a toujours une roue à prendre.

C'est également une bonne manière d'entretenir la condition physique !
Oui et même quand j'étais encore professionnel, j'aurais aimé connaître ça. Quand je courais à la Caisse d’Épargne, entre 2008 et 2010, l'équipe était souvent sur deux fronts mais on avait parfois de grosses périodes sans courses. C'était difficile de garder le rythme et la forme tout seul à la maison. Après mes sorties derrière scooter, j'aurais pu finir mes séances par une heure sur Zwift. Ça m'aurait permis d'avoir le rythme nécessaire pour être plus fort sur les courses professionnelles.

« UN BON COMPROMIS »

Qu'est-ce qui change par rapport à la route ?
Il y a un petit temps de latence entre le moment où l'on appuie sur la pédale et le moment où ça se retranscrit sur l'écran. Avec ces quelques secondes de décalage, on est obligé d'anticiper. Quand on recule à l'arrière du peloton, si on attend trop pour réaccélérer, on prend une cassure. Ça demande un effort considérable pour la boucher. C'est le même cas lorsque l'on rentre dans un groupe : si on ne relâche pas l'effort, on dépasse les autres et on prend du vent. Il faut un apprentissage pour le maîtriser. Avec le temps de latence, à l'instant où l'on voit un coureur qui attaque, il produit déjà son effort depuis quelques secondes. Le timing est également différent pour le sprint. L'effort est différent. Je me fais encore avoir. On ne peut pas rester dans la roue jusqu'au dernier moment. En fait, Zwift, c'est une nouvelle discipline du cyclisme. Il faut réussir à oublier les automatismes acquis pendant des années sur la route afin de s'adapter au jeu.

As-tu totalement délaissé la route pour te consacrer à Zwift ?
Non. L' idéal, c'est de faire les deux pour travailler le foncier et le spécifique. Si l'on ne fait que l'un des deux, il manque quelque chose. Avec trop de foncier, on devient diesel et avec trop de Zwift, on se crame. Cet hiver, je ne suis pas beaucoup allé dehors. Je n'ai pas usé mes pneus. Je deviens difficile avec la météo. Avant je me forçais quand même à aller en extérieur. Maintenant, je me dis que je vais faire du Zwift et que je vais m'amuser. J'ai hâte que le beau temps revienne pour retourner dehors.

Va-t-on prochainement te revoir dans les pelotons ?
À part sur des cyclosportives comme l'étape du Tour où je prends un dossard pour relever le défi, je ne me vois pas refaire tant de kilomètres, chaque week-end, pour aller courir. Je n'ai pas le temps avec le travail. Avec Zwift, j'ai trouvé un bon compromis. Je retrouve les sensations de la course sans les contraintes que cela implique.


« VALVERDE, UN GRAND MONSIEUR »

Fin 2013, tu avais dû te résoudre à quitter la formation Big Mat-Auber 93 et le monde professionnel, mais tu as tenu à continuer la compétition chez les amateurs du VC Toucy...
C'était dans le but d'arrêter progressivement. Il me fallait de longs mois pour me préparer à raccrocher le vélo. Mon arrêt de 2013 n'était pas choisi. J'avais encore envie de sentir l'adrénaline du peloton. J'ai continué avec mon frère (Benoît) à Toucy. On faisait beaucoup de route ensemble. On se voyait beaucoup, c'est moins le cas maintenant. J'ai aidé des coureurs sans arrière-pensée, ma carrière était derrière moi. C'était une saison super sympa.

Quelques années auparavant, tu étais équipier d'Alejandro Valverde...
J'ai de très bons souvenirs de la Caisse d’Épargne et de Valverde. C'est un grand monsieur. Il est très professionnel, toujours exemplaire, toujours aussi fort au fil de la saison et toujours passionné. Il motivait bien les troupes. A chaque fois qu'il était là, les courses se passaient super bien. Sans lui, l'équipe courait moins bien. Aujourd'hui, quand je le vois à la télé à 37 ans, je suis fier de l'avoir côtoyé. C'est une personne très humble et respectueuse envers ses équipiers. Avec mon fils de sept ans, on regarde beaucoup le vélo ensemble.

Ce sont de bons moments de partage avec lui...
Je pense lui avoir transmis ma passion. Il aime regarder les courses et rouler en promenade. Pour l'instant, on est encore loin d'imaginer la compétition. Je ne sais pas s'il va aimer la douleur et les sacrifices que cela implique. Un jour, je l'avais mis sur un home-trainer classique pendant que j'étais sur Zwift à côté. J'avais mis l'écran en face de lui. C'était moi qui forçait mais quand je lui disais d'accélérer, il avait l'impression que ça marchait, qu'il suivait et attaquait alors que son home-trainer n'était pas connecté. Il me demande souvent de l'appeler pour le dernier kilomètre de mes courses.

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