La Grande Interview : Adrien Guillonnet

Crédit photo Aurélie Tscheiller

Crédit photo Aurélie Tscheiller

Trente-sept : ce n'est pas le nombre de jours de course d'Adrien Guillonnet en 2017, mais bel et bien ses Top 10 depuis le mois de février. Le sociétaire du SCO Dijon compte précisément quatre victoires, quatorze podiums et 29 Top 6 depuis le début de l’exercice annuel. Des stats à en faire rougir plus d'un dans le peloton des Élites. Figurant parmi les coureurs les plus réguliers de la saison, l'actuel 8e du Challenge BBB-DirectVelo n'a pourtant pas encore eu le moindre coup de téléphone pour un éventuel passage chez les professionnels l'an prochain. Une situation que ne comprend pas son entraîneur de toujours, Didier Lemoine : « C'est un garçon très talentueux. Je n'en ai pas rencontré beaucoup des comme lui. Il est incroyablement intelligent et courageux. C'est un mec formidable qui mérite largement de passer pro. Il ne rechigne jamais à la tâche et il ferait un très bon équipier. Quand on voit les résultats qu'il réalise alors qu'il consacre un temps fou à ses études d'ingénieur...». Mais qu'en pense le principal intéressé ? Comment imagine-t-il l'avenir ? Comment gère-t-il son emploi du temps surchargé entre courses, entraînements, voyages et études d'ingénieur ? « Je n’ai jamais aimé me projeter et je suis vraiment dans le flou », répond le Francilien de 23 ans.

DirectVelo : Il parait que tu n'as jamais une minute devant toi !
Adrien Guillonnet : (Rires). J’essaie de m’organiser au mieux. Jusqu’à présent, mes études ne me posaient pas trop de problèmes, à la Fac, même si je commençais à courir en Elites. Mais depuis que je suis à l’INSA de Lyon (école d’ingénieurs, filière génie mécanique et conception, NDLR), c’est plus compliqué mais j’ai un programme adapté malgré tout. J’arrive toujours à me trouver un créneau horaire pour sortir mon vélo. Généralement, j’aime bien rouler entre midi et deux. Cela dit, c’est vrai qu’il faut aussi compter le temps de trajet. J’étudie à Lyon et j’y suis souvent. Le reste du temps, je suis chez mes parents à Marcoussis, dans l’Essonne. Enfin… Quand j’en ai le temps, c’est à dire le week-end ou pendant des vacances. Du coup, je prends souvent le train : pour me rendre sur les courses de vélo mais aussi pour aller en cours. Cela me prend beaucoup de temps.

« C’EST LA VIE RÉELLE »

Tu n'as donc jamais le temps de te faire plaisir ou de te détendre ?
C’est vrai qu’entre le vélo et les études, je ne fais pas grand-chose à côté, mais ce n’est pas pour me déplaire. Je pense que de toute façon, c’est la vie réelle. Certains qui ne font que du vélo ne se rendent peut-être pas compte mais la vie de la plupart des Français, c’est celle-là, non ? Quand on rentre du travail le soir, il ne reste pas beaucoup de temps pour faire autre chose. Alors je ne vais pas me plaindre de ma situation. Ca me prépare pour le futur !

Combien de temps consacres-tu en moyenne au vélo et à tes études sur une semaine ?
J’ai 25h de cours par semaine. J’ai aussi des périodes de révisions mais j’en fais le minimum. Par chance, j’ai une bonne mémoire et le simple fait de bien suivre en cours me suffit, en général. Sur le vélo, ça varie. Je fais des semaines de 14 à 18 heures, en gros. Mais ça dépend du calendrier. C’est évidemment beaucoup plus quand il y a des courses par étapes. Mais si on compte aussi le temps à côté, dans la préparation, les analyses, les déplacements… Ca fait un bon nombre d’heures supplémentaires.

Tu n’as jamais été lassé de cette situation, qui doit être très exigeante et épuisante ?
Non ! Pourquoi ? Encore une fois, ça me convient. Et puis j’y trouve des avantages. Par exemple, je voyage pas mal. Je me suis rendu compte que je ne connaissais pas bien la France avant de faire du vélo et maintenant, je me déplace tous les week-ends pendant sept ou huit mois de l’année. Ca permet de connaître la géographie du pays, c’est assez sympa.

« JE SURFE SUR LA VAGUE, ALORS JE LE VIS BIEN »

Tu as toujours expliqué être “à bloc de février à octobre” sur les courses. Pourtant, les coureurs qui font de longues études comme toi sont souvent dans l’obligation de sacrifier certaines périodes de la saison...
De février à fin janvier, même ! C’est vrai qu’il y a des coureurs qui visent plutôt l’été par exemple, quand ils n’ont plus cours. Pour ma part, c’est simplement un mode de vie. J’ai toujours fait du sport depuis petit. Je roulais dans les parcs tout gamin, puis j’ai fait du foot, de l’athlétisme… J’ai toujours eu besoin de ça. Cette façon de gérer mon emploi du temps me plaît. De toute façon, je n’aime pas forcément faire la fête par exemple. J’ai besoin de faire du vélo. Parfois, je ne suis pas sensé faire une sortie mais je vois qu’il fait beau dehors, alors je vais rouler deux heures. C’est même vrai sur une plus longue période : si j’ai prévu de couper en novembre mais qu’il fait beau tout l’automne, je ne coupe pas et je me retrouve à enchaîner avec ma préparation pour la saison suivante, sans jamais avoir arrêté de rouler.

Mais tu n’as jamais de coup de mou ?
Pas vraiment. Je pense que le corps et l’organisme s’habituent. C’est pour ça que je cours tous les week-ends. Et puis psychologiquement, ça tient car j’ai des résultats tous les week-ends. Je surfe sur la vague, alors je le vis bien. Il y a des mecs qui roulent à bloc pendant quatre mois puis qui ne sortent pas le vélo une seule fois pendant des semaines à la trêve. Ils mangent n’importe quoi, prennent des kilos… L’organisme ne comprend pas trop ces différentes sollicitations. Alors que si tu es tout le temps sur le front, ton corps s’habitue. C’est sans doute pour ça que je ne vais pratiquement jamais faiblir et que j’ai plus ou moins les mêmes sensations et les mêmes résultats durant toute l’année.

Avec un calendrier si chargé, tu t’empêches peut-être de “tout exploser” sur une période donnée, lors de ce que l’on appelle les “pics de forme” ?
Oui, c’est vrai… Les fameux pics de forme… J’y pense des fois, on me pose la question, mais je ne sais pas trop quoi en penser. Avec mon entraîneur (Didier Lemoine, NDLR), on n’a jamais préparé une course ou une période à bloc. Mais est-ce que ce serait vraiment possible pour moi, qui suis habitué à des efforts différents ? De toute façon, je suis le roi de l’indécision. Je me souviens d’une anecdote, l’hiver dernier, lorsque Denis Repérant (directeur sportif du SCO Dijon, NDLR) m’avait demandé de sortir le nom de deux-trois courses sur lesquelles je voulais vraiment marcher dans la saison. Mais c'était impossible pour moi et je lui avais donné douze courses, avec au moins une à chaque mois de l'année !

« J’AI TOUJOURS EU DES RÉSULTATS LINÉAIRES »

Et ça marche puisque tu as des résultats pratiquement partout !
Si on prend l’exemple de cet été, toutes les courses me plaisaient ! Il y avait le Tour du Pays Roannais (8e), le Tour de la Tarentaise (2e), le Tour d’Auvergne (2e), Cours-la-Ville, les Grand Prix de Cru Fleurie (7e) et Longes (9e) qui sont des Toutes Caté mais qui étaient importantes pour moi, le Kreiz Breizh Elites (14e), le Tour du Chablais (6e) et le Tour du Piémont-Pyrénéen (18e, tenant du titre). Sur toutes ces courses-là, j'étais incapable d'en choisir une. Elles me semblaient toutes belles et intéressantes. Et c'est comme ça toute l'année, donc je prends réellement les courses les unes après les autres, sans me mettre de pression.

As-tu une idée de ton nombre de places dans les Top 10 depuis le début de la saison ?
C’est difficile à dire… J’ai entendu que j’étais peut-être celui qui en avait le plus depuis le début de la saison. C’est au moins 15… Je dirais peut-être même 20 ?


Tu comptes 37 Top 10 dont quatorze podiums !
Ah oui ! Sur une cinquantaine de jours de course, c’est plutôt pas mal… Mais bon, au printemps, j'ai disputé des épreuves Toutes Catégories alors ce n'est pas comme si j'avais autant de places sur des Élites Nationales... J'ai toujours été régulier cela dit, depuis que je fais du vélo, ça n'a jamais changé. J'ai toujours eu des résultats linéaires et cette année, je n'ai pas forcément l'impression d'avoir progressé physiquement mais quand je vois mes résultats, je me dis que j'ai forcément franchi un petit palier.

« J’ARRIVE A ME FAIRE TRES MAL A LA GUEULE »

Tu es actuellement 8e du Challenge BBB-DirectVelo et tu as donc un nombre record de Top 10 cette saison, mais tu es loin d’être celui dont on parle le plus dans le peloton Élites…
Je n’ai pas 50.000 victoires (quatre, NDLR) et en plus, ce ne sont pas de grosses victoires. Et puis, je ne suis jamais au-dessus des autres sur les courses. Au contraire, je me sens toujours à bloc. J’ai toujours mal à la gueule une bonne partie de la course mais finalement, je suis toujours là sur la fin, sans jamais “écraser”. Je n’ai jamais la sensation de dominer comme d’autres qui marquent les esprits sur certaines courses.

Il semble également difficile de te mettre dans une case en terme de profil…
C’est vrai que je suis plutôt bon partout mais excellent nulle part. Je pense que l’une de mes principales qualités est la résistance à la fatigue. Je ne suis pas forcément le meilleur sur des sprints ou des efforts courts mais quand on répète les efforts, je me sens mieux que les autres qui peuvent avoir tendance à s’effondrer. C’est aussi pour ça que j’aime bien les longues échappées. J’aime tenter, partir de loin…

Tu t’es découvert des qualités en montagne ces dernières saisons !
J’aime les efforts long et usant. Je fais 70 kilos et je suis loin d’être le coureur le plus léger du peloton et je ne serai jamais dans les meilleurs en montagne mais j’arrive à me faire très mal à la gueule comme je l’ai prouvé en remportant le Tour du Piémont Pyrénéen notamment.

« JE FAIS MES PROPRES PRÉVISIONS »

Ton entraîneur dit de toi que tu as tendance à en faire trop dans les échappées...
On me l’a toujours dit et pourtant, je ne m’en rends pas vraiment compte. J’ai l’impression de passer mes relais comme tout le monde. J’essaie d’y penser, en course, mais ça doit être plus fort que moi. Dans l’idéal, il faudrait que j’arrive à être un peu plus économe, mais bon… J’aime bien me comparer à Thomas De Gendt. Enfin… Il est 50 fois plus fort que moi mais on se ressemble. Il marche sur la résistance à la fatigue, il n’aime pas trop frotter : soit il est en queue de peloton, soit il est à l’attaque ! Et il ne compte pas ses efforts. Sur certains aspects, je me reconnais en lui.

Il parait que tu es très branché “météo” ?
Je me suis toujours intéressé à la météo et en faisant du vélo, c’est devenu un facteur important. Par exemple, ça ne me plait pas forcément d’aller m’entraîner sous la pluie. Alors j’ai commencé à me renseigner sur la météo, pour éviter de prendre bêtement la pluie. Je me suis doucement mis à analyser les radars de pluie en direct. Je me suis rendu compte que je pouvais trouver plein de choses intéressantes même si je n’y connaissais pas grand-chose. J’ai appris comment ça fonctionne et depuis, je fais mes propres prévisions. Ca me permet d’anticiper au départ des courses. Mais bon, c’est un domaine complexe et je ne dois en connaître qu’un dixième.

En fait, il faut que les autres coureurs regardent comment tu es habillé au départ d’une course…
Oui (rires) ! Ca m’est déjà arrivé ! Je me souviens d’un Tour du Nivernais-Morvan où il faisait grand soleil et 25 degrés au départ et les deux seuls coureurs qui avaient les couvre-chaussures et les vêtements de pluie dans le dos étaient Jérémy Maison (son ancien équipier au VC Toucy, NDLR) et moi. J’avais vu qu’il allait pleuvoir à 15h et à cette heure-pile, on a pris la flotte. J’étais fier de mon coup ! Personne n’était habillé en conséquence. Même chose au Tour du Jura l’an passé. Je savais qu’on allait prendre la flotte et une grosse chute de température pendant la course. Je pense que beaucoup ont été surpris mais je ne l’avais pas été. Ca peut être un avantage. C’est encore plus utile à l’entraînement : je suis capable de tout anticiper sur une semaine entière pour ne pas prendre la pluie pendant quatre heures.

« IL ME RESTE PLEIN D’INCERTITUDES »

Après une telle saison 2017, tu espères passer pro cet hiver ?
Mon entraîneur m’en parle tout le temps ! Il me demande où j’en suis, si j’ai des nouvelles. Mais je n’ai rien. Je crois que je ne sais pas trop me vendre. Et puis, je ne me suis jamais vraiment préparé pour ça. Je vois beaucoup de coureurs qui ne vivent que du vélo pendant des années. Ils arrêtent leurs études et sacrifient plein de choses pour essayer de passer pro. Moi, j’ai toujours fait du vélo parce que j’aime bien… C’est tout. J’ai toujours fait au mieux pour être performant mais je n’ai jamais eu de plan de carrière. Devenir pro n’est pas une fin en soi pour moi.

Mais ça te plairait quand même ?
Ce serait royal d’être payé à ne faire que du vélo. Si j’ai l’occasion, je tenterai. Ce serait dommage d’avoir des regrets. Avec tous mes résultats, j’aurai peut-être une opportunité. Mais il me reste encore un stage de cinq mois et une dernière année d’études à réaliser. Il me reste donc plein d’incertitudes, mais aussi beaucoup de possibilités. Beaucoup de choses peuvent se passer dans les prochains mois mais je crois que pour le moment, je ne le réalise pas trop. Je continue de prendre course par course, et de vivre au jour le jour.


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