La Grande Interview : Clément Russo

Crédit photo Freddy Guérin / DirectVelo

Crédit photo Freddy Guérin / DirectVelo

Et si Clément Russo était, à 22 ans, en train d'opérer la bascule que bon nombre d'autres talentueux crossmen ont fait avant lui ? Présent parmi les tous meilleurs de sa génération dans les sous-bois, à l'image de ses deux titres de Champion de France de la discipline (Juniors puis Espoirs), le Lyonnais - qui a grandi dans le petit village de Villette-d'Anthon, tout près de Charvieu-Chavagneux - s'affirme désormais sur la route. 7e du dernier Championnat de France Amateurs, il est en pleine bourre. Actuel 4e du Challenge BBB-DirectVelo, le sociétaire du Team Probikeshop-Saint Etienne-Loire vient d'ailleurs de décrocher son premier bouquet de la saison sur le Prix de Cuiseaux, une Toute Catégories. Enfin conscient de ses qualités sur la route et "plus fort mentalement" depuis quelques mois, l’Isérois peut désormais espérer séduire une formation professionnelle, lui qui dit ne pas connaître ses limites. Avec pour conséquence d’abandonner le cyclo-cross ? “Je n’y pense pas pour l’instant, mais je me suis vite rendu compte que ça n’allait pas être possible d’en vivre en France”. Clément Russo sera peut-être fixé dans les prochains mois, suivant l’évolution de sa carrière sur route.

DirectVelo : Sur les réseaux sociaux, la première photo que l'on voit lorsque l'on tape ton nom est celle du collectif du Team Probikeshop-Saint Etienne Loire, en 2016. Attaches-tu beaucoup d'importance au collectif ?
Clément Russo : L'année dernière, nous étions tous très proches. Il y avait une superbe entente, avec des potes et même des amis dans l'équipe. J'aime ces moments de partage. Cette année, c'est un peu différent même si ça se passe bien aussi et que ça reste cool. C'est simplement que certains copains ne sont plus dans le groupe. Le collectif en cyclisme, c'est important. Pour moi, ça reste un sport individuel mais qui se court en équipe et on a toujours besoin des copains. C'est plus difficile de marcher si tu n'es pas bien dans un groupe. J'aime ce vélo où tu partages des émotions avec des équipiers, avec des amis. 

« DES MECS VRAIMENT NATURELS  »

Tu as même longtemps été en colocation avec d'autres coureurs...
Tout récemment encore, j'étais en coloc avec Valentin Deverchère mais aussi Thomas Lassaigne et son frère Rémi, tous du CR4C Roanne. Avant ça, Romain Faussurier avait passé un long moment avec nous aussi, puis il était parti suite à son changement d'équipe. Mais tout ça, c'est derrière nous depuis peu. On a rendu la coloc tout récemment. Cela dit, ça ne nous empêchera pas de nous voir encore. Pour ma part, je retourne provisoirement chez mes parents puis j'ai le projet de m'installer à Dijon l'hiver prochain pour y emménager avec ma petite amie.

Dans le film "Bande de Sauvage" (voir ici), on vous voit vous charrier, entre amis...
Ah oui, ça n'arrêtait pas ! Ce n'était que du plaisir ! Après des grosses journées de travail, ça fait toujours du bien de déconner avec les copains. Dans le film, on me voit aussi faire le con à l'entraînement avec des roues arrières en pleine ascension. Il faut dire la vérité... On l'a quand même fait plus souvent ce jour-là qu'à l'habitude. Je crois que la caméra nous avait donné des idées (sourires). Mais cela dit, ça nous représentait bien quand même. C'était nous quoi, nous sommes des mecs vraiment naturels, on ne se prend pas la tête et on déconne. On ne peut pas être toujours super sérieux même en faisant le métier... Il faut trouver le bon compromis pour ne pas péter un plomb à un moment ou un autre.

D'après ton ami Romain Faussurier dans sa "Grande Interview", tu étais le mauvais élève de la coloc puisque le seul de la bande à ne pas supporter l'AS Saint-Etienne (lire ici). C'est parce que tu es né à Lyon ?
(Rires). En fait, la réalité c'est que le foot, je m'en moque un peu... Enfin disons que je suis ça de loin. Bon, eux par contre ce sont de vrais supporters des Verts, ça c'est clair. De mon côté, il m'est arrivé de les accompagner voir des matchs. C'est vrai que c'est sympa... Mais à la limite, je préfère jouer au foot à la console, sur Fifa. Et puis j'aime bien le sport en général alors je suis plusieurs disciplines quand j'en ai le temps. L'hiver, j'aime bien regarder le ski par exemple. Il m'arrive aussi de passer du temps devant le tennis, pendant Roland-Garros. J'aime bien, ça change.

« JE N’ÉTAIS PAS TRÈS COSTAUD À L'ÉPOQUE  »

Ce même Romain Faussurier disait s'ennuyer sur certaines courses sur route. Et toi alors ?
C'est sûr que c'est souvent plus monotone qu'en cross. Parfois, il n'y a pas grand-chose à faire pendant des heures. On fait des kilomètres pour dire de faire des kilomètres. On est là à attendre que ça se passe. Mais je prends quand même toujours du plaisir en course. Le temps passe relativement vite. Sur le coup, quand tu pars pour 180 bornes, tu as peur que ça fasse long mais au final, tu ne vois pas vraiment passer la journée.


Tu es un adepte des deux roues depuis tout gamin...
J'ai commencé à cinq ans à peine, et j'ai rapidement fait du cyclo-cross et de la route. Dès tout petit, je gagnais souvent et d'ailleurs, je fréquentais déjà mon coloc de longue date Valentin Deverchère, avec qui j'ai toujours couru finalement. C'est énorme tout ce que l'on a vécu ensemble. Il y a quand même eu une période un peu plus dure en Minimes-Cadets, même si j'arrivais à me débrouiller. J'étais moins dominateur que dans les plus jeunes catégories et pour la première fois, il m'arrivait de subir la course.

Pourquoi as-tu percé en cyclo-cross pendant de longues années avant de pouvoir, enfin, te faire une place également sur la route ?
Dès tout gamin, j'ai été à l'aise sur les jeux de quilles et d'équilibre. J'avais des facilités de pilotage et c'est ce qui a fait la différence en cross. Il n'y a pas que le physique qui joue à cet âge-là même si en Minimes-Cadets, tu as des mecs qui ont une croissance plus rapide et qui font une tête de plus que les autres... Mais quand on est bon techniquement et à l'aise sur le vélo, ça marche. C'est un avantage que j'ai vite eu sur les autres coureurs et heureusement que j'ai pu compenser grâce à ça car je n'étais pas très costaud à l'époque. Je me suis développé d'un coup chez les Juniors, en fait. D'ailleurs, ceux qui m'ont connu avant et qui me retrouvent aujourd'hui doivent halluciner avec mes 1m86. J'ai eu une croissance tardive mais j'ai bien poussé depuis.

« LA SEULE SOLUTION AURAIT ÉTÉ LA BELGIQUE »

As-tu envisagé de faire carrière en cyclo-cross ?
J'ai toujours un peu rêvé de ça chez les Juniors et même dans mes premières saisons Espoirs. J'y ai pensé, c'est vrai, mais je me suis vite rendu compte que ça n'allait pas être possible en France car il n'y avait pas les structures pour. Et puis, lorsque j'ai commencé à toucher du doigt un niveau "élevé" sur la route, en DN1 puis sur des courses de Classe 2, ça m'a aussi donné d'autres envies, et d'autres idées. Je crois que pour faire carrière en cross, la seule solution aurait été de se rendre en Belgique, mais ça n'aurait pas été l'idéal pour moi. Les Belges et les Néerlandais ont quand même une mentalité un peu différente de la nôtre et ça n'aurait pas été facile de s'imposer là-bas. Ce n'était pas la solution. Je n'étais pas prêt à m'expatrier là-bas.

Ces derniers mois, on a vu des crossmans comme Mathieu Van der Poel, Wout Van Aert ou Clément Venturini remporter des courses sur la route...
Je ne suis pas surpris, ça montre forcément un potentiel. Si tu marches en cross au niveau mondial, il n'y a vraiment pas de raison que ça ne le fasse pas aussi sur la route et ce n'est pas nouveau ! Un mec comme Francis Mourey a fait Top 20 sur un Tour d'Italie. On voit Clément Venturini, Fabien Doubey ou Julian Alaphilippe qui ont réussi à percer sur la route si on prend l'exemple d'autres français... C'est très bien.

Le cyclo-cross va-t-il devenir un simple tremplin pour faire carrière sur la route ?
C'est possible ! Et c'est quand même dommage car le cross est une discipline à part entière. Mais si ça sert de tremplin, c'est déjà une bonne chose. Ca donne de la valeur à la discipline malgré tout.

« LE CYCLO-CROSS NE SERA SANS DOUTE PLUS MA PRIORITÉ »

Et toi alors : Envisages-tu de faire une croix sur le cross ?
Je n'y pense pas pour l'instant, je ne me dis pas que je vais arrêter. Cela dit, si j'arrive à trouver une équipe professionnelle sur route, je ne pourrai peut-être plus doubler avec le cross. Si c'est le cas, il faudra l'accepter et ça ne me gênera pas non plus. Je ne veux pas rester bloqué sur les mêmes idées. Il faudra voir comment ça évolue. La possibilité ou non de faire du cross l’hiver ne va pas influencer mon choix. Ce sera une réflexion beaucoup plus générale que ça et le cyclo-cross ne sera sans doute plus ma priorité à ce moment-là.


Les crossmen ont souvent des qualités de sprinteur-puncheur sur la route mais la gestion d'un cross peut aussi se rapprocher de celle d'un col...
Ce n'est pas si différent en effet mais la limite, c'est le coup de pédale et le gabarit. Dans les longs cols, quelqu'un qui est un peu plus puissant et massif ne va pas performer, même s'il arrive à bien gérer son effort en tant que crossman. Mais c'est vrai qu'en cross, on connait vite ses limites et on sait où est notre seuil. Je pense que le cross permet de se connaître plus facilement, et plus rapidement. On sait exactement quand on va se mettre dans le rouge ou non.

On te voit parfois t'effondrer après avoir franchi la ligne d'arrivée sur un cyclo-cross... T'es-t-il déjà arrivé d'aller aussi loin dans la souffrance sur la route ?
Ca peut arriver mais pas souvent. Disons que ça dépend de la course. Il m'est déjà arrivé de me mettre minable sur le vélo mais c'est rarement au moment de l'arrivée en fait. Je pense à des passages au sommet de cols par exemple, où j'ai dû aller chercher dans mes réserves pour basculer avec le bon groupe. Tu sens que tu as les bras complètement tétanisés, comme le reste du corps d'ailleurs, presque à ne plus pouvoir faire quoi que ce soit. Et derrière, il faut avoir la capacité de pouvoir récupérer de ces efforts-là. En tant que crossman, je peux essayer de bien gérer ces moments.

« GRIMPER DES COLS ? J’ADORE »

Est-ce que tu as une véritable idée du type de “routier” que tu pourrais devenir ?
Je ne sais pas vraiment car je crois que j'ai encore pas mal de choses à découvrir sur moi-même. Il me semble que je suis plus ou moins complet. J'ai une bonne pointe de vitesse mais je ne serai pas un pur sprinteur non plus. Je peux aussi m'accrocher dans les cols et basculer dans un petit groupe même s'il ne faut pas que ce soit un long col alpin. C'est aussi la raison pour laquelle je bosse tout à l'entraînement. Je ne reste pas sur des axes spécifiques pour le sprint ou pour la montagne par exemple. Et surtout, j'aime tout alors, c'est quand même le mieux pour être assez complet.

Tu aimes grimper des cols ?
Ah oui ! J'adore ça même ! Bon, je n'habite pas dans les Alpes non plus mais sur Saint-Etienne, il y a de quoi faire quand même et j'aime profiter de tout ce qui s'offre à moi dans la région.

Quel est ton terrain de jeu pour les ascensions ?
Il y a le massif du Pilat pas loin de la maison avec notamment le Col de la Croix de Chaubouret ou le Col de l'Oeillon. J'aime bien les monter à l'entraînement et quand je suis en forme, je sais que je n'y suis pas ridicule.

« J’AI LONGTEMPS FAIT UN COMPLEXE D'INFÉRIORITÉ »

Tu sembles avoir passé un gros cap sur la route depuis la saison passée. T'y attendais-tu ?
On ne peut jamais le savoir avant mais j'ai toujours été sérieux à l'entraînement alors je l'espérais. C'est venu petit à petit. J'ai peut-être déjà un certain potentiel au départ et avec le travail en plus, je me retrouve à ce niveau-là aujourd'hui. Pour le reste, je crois surtout que j'ai pris confiance en moi. Mes proches et mon entourage dans le monde du vélo m'ont toujours dit que j'avais des qualités mais je n'arrivais pas à m'en persuader. Il faut dire que je ne suis pas quelqu'un de très confiant en règle générale.


Tu as pourtant été habitué à toujours être parmi les meilleurs dans les sous-bois...
Oui mais ce n'était pas le cas sur la route. J'ai beaucoup de mal à me dire que je peux être très fort. J'ai longtemps fait un complexe d'infériorité sur la route. Mais ces derniers temps, il y a eu comme un déclic et ça va beaucoup mieux. Je me suis rendu compte que je pouvais faire mal aux autres sur la route.

Et comment t'en es-tu rendu compte ?
De par les résultats qui commençaient à venir, mais aussi mentalement. Depuis cet hiver, je suis accompagné par un préparateur mental à Saint-Etienne. C'est une personne que j'essaie de voir régulièrement et que j'ai aussi au téléphone quand je suis sur les courses. Il m'a apporté beaucoup sur l'aspect mental. 

« J’AI APPRIS À ASSUMER »

Au club de Saint-Etienne, tu as souvent un rôle de coureur protégé voire de leader maintenant...
Ça fait deux ans que je suis à Saint-Etienne. La première année, il y avait déjà de bons coureurs comme Guillaume Bonnet et j'ai beaucoup appris à leurs côtés. Cette saison, je me suis retrouvé dans le rôle de meneur de l'équipe, en quelque sorte. Ca m'a poussé à assurer car j'ai senti que j'avais des responsabilités à la tête de l'équipe.

De par tes titres en cross, tu as toujours eu l'habitude de devoir défendre un maillot ou assumer un statut, finalement ?
C'est sûr mais ça reste différent en cyclo-cross car la hiérarchie est établie et respectée de façon plus franche. A l'échelle nationale, tu peux être sûr d'être devant presque tout le temps si tu fais partie des meilleurs alors que sur la route, il y a plus de choses qui entrent en jeu. Mais j'ai appris à assumer aussi sur la route et qui sait, peut-être que je pourrai me faire une aussi belle place qu'en cyclo-cross.

Tu es actuellement 4e du Challenge BBB-DirectVelo : Tu te sens parmi les coureurs les plus forts du peloton amateur actuellement ?
Quand je me rends au départ des courses, j'ai un nouvel état d'esprit. Je ne vais pas forcément m'embêter à feuilleter la liste des partants pour me dire "mince il y a un tel et un tel qu'il ne sera pas facile de battre". Je me concentre sur moi. Je me dis que je peux être devant et basta. Il vaut mieux raisonner comme ça que de se poser 200 questions. On peut toujours tomber sur meilleur que soi mais je ne veux pas partir battu. Tout est possible.

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