La Grande Interview : Grégoire Tarride

Crédit photo Elisa Haumesser

Crédit photo Elisa Haumesser

Grégoire Tarride est un homme heureux. Il pourrait pourtant être déçu ou frustré d’avoir dû quitter les rangs professionnels fin 2015 sur un sentiment d’inachevé, après quatre saisons en Continental du côté de la formation de La Pomme Marseille. Il n’en est rien. A 25 ans, le désormais pensionnaire de l’AVC Aix-en-Provence a en réalité atteint son principal objectif : celui d’obtenir son diplôme en ostéopathie et d’ouvrir son propre cabinet à Antibes (Alpes-Maritimes). Mission accomplie l’an passé après cinq années d’études, lesquelles lui avaient “bouffé énormément d’énergie”, y compris sur le vélo. En ce printemps 2017, Grégoire Tarride explique ne jamais avoir pris autant de plaisir sur deux roues, lui qui a récemment enlevé la première manche de la Coupe de France-DN1. “Je cours libéré, sans pression, et ça se ressent dans mes résultats. Je m’éclate !”. Le Ligérien de naissance envisage tout de même sérieusement de mettre un terme à sa carrière cycliste à la fin de la saison.

DirectVelo : Il paraît que tu as un emploi du temps extrêmement chargé en ce moment...
Grégoire Tarride : Disons que je n'ai pas vraiment le temps de m'ennuyer. Je suis très pris par mon métier d'ostéopathe, en plus de mon activité de coureur cycliste à l'AVC Aix-en-Provence. J'essaie de m'organiser du mieux possible entre les deux mais ce n'est pas toujours facile. Enfin, l'essentiel, c'est que je m'en sors quand même plutôt bien, il me semble. Je suis épanoui dans ma profession, j'ai ouvert mon cabinet fin 2016 (lire ici) et sur le vélo, tout marche bien avec notamment cette récente victoire en Coupe de France DN1 (victoire au classement général final du Tour du Canton de l'Estuaire, NDLR). 

Quel est ton emploi du temps sur une semaine type cette saison ?
Une semaine type, c'est une semaine où je ne cours que le week-end. La plupart du temps, j'essaie d'aller rouler un peu le matin, puis je travaille l'après-midi. Ca me fait quand même des grosses journées car il n'est pas rare que je quitte le cabinet à 21h30. C'est une vraie organisation à trouver mais j'y vois plein d'avantages, à commencer par celui de m'organiser quand même comme je veux.

« FINANCIÈREMENT, C’EST UN PETIT HANDICAP »

Et quand tu pars sur les routes toute la semaine, comme récemment avec le Tour du Loir-et-Cher ?
Je suis bien entendu obligé de poser ma semaine. C'est une perte de temps de travail car ce n'est pas du temps que je peux récupérer plus tard. Financièrement, c'est forcément un petit handicap mais je m'en sors quand même. L'avantage, c'est que je suis capable d'anticiper tout ça au moins un mois à l'avance. Je sais quand je vais partir sur des courses par étapes en semaine. Du coup, je ne propose simplement pas de rendez-vous à ces dates-là. Le seul véritable problème, ce sont les urgences que je suis obligé de refuser puisqu'en déplacement. Mais les gens me connaissent, ils savent que je peux être sur des courses cyclistes et je les renvoie vers un autre collègue ostéopathe.

Avec ces grosses journées, tu arrives malgré tout à bien "faire le job", au niveau de l'entraînement ou de l'alimentation par exemple ?
Je ne risque pas de prendre de poids et s'il fallait faire mon bilan calorique sur une journée, on rigolerait. Je dépense beaucoup plus que je ne consomme. Parfois, il m'arrive d'aller simplement chercher une petite quiche à la boulangerie en plein milieu de l'après-midi et de ne manger que ça pendant dix minutes de pause. Mais là encore, c'est un équilibre à prendre et ça ne me dérange pas beaucoup.


Ton métier d’ostéopathe te prend-t-il également du temps sur tes week-ends de course ?
Beaucoup ! Il m'arrive très souvent de devoir passer du temps au téléphone dans la voiture, sur la route du retour. Je dois rappeler tous les patients qui ont cherché à me joindre dans la journée pour prendre des rendez-vous d’urgence, pendant que mes équipiers récupèrent ou débriefent la course. Il peut m'arriver de rester au téléphone jusqu'à 23h avec des patients pour compenser mon absence sur la journée.

« LA PRESSION D’UN DIPLÔME, C’EST ÉNORME »

Cette double activité et ces absences répétées ne te font-elles pas perdre une part de clientèle ?
Très peu car j'ai une clientèle fidèle et régulière de gens qui me connaissent, pour certains, depuis longtemps. Et puis je m'occupe en grande majorité de sportifs dont beaucoup de coureurs à pied, de cyclistes ou de triathlètes. Ma carte de visite, c'est le sport de haut-niveau. Souvent, il y a un suivi de plusieurs mois avec mes patients pour plein de choses différentes, par exemple pour des conseils nutritionnels aussi. Du coup, je peux aussi passer du temps au téléphone avec eux, et je réponds à leurs questions. Puis on s'occupe du reste au cabinet une fois que je suis de retour de compétition.

Malgré cet emploi du temps bien rempli, tu nous expliquais récemment être "enfin posé et complètement libéré"...
C'est le cas ! Travailler, avoir mon cabinet et faire du vélo à côté, c'est la libération pour moi. J'ai passé cinq années à étudier après le Bac. Ca ne paraît rien comme ça mais la pression d'un diplôme, c'est énorme. On y laisse énormément de jus. Aujourd'hui, je suis beaucoup plus relâché et je peux me faire plaisir sur le vélo car mes études sont définitivement derrière moi et je suis, en effet, posé. Avant, j'étais toujours à 200%. Je n'avais jamais le temps de rien. J'étais extrêmement pris par les études.

Ca ne t'avait pourtant pas empêché de faire quatre ans chez les pros ?
Mais je n'étais pratiquement jamais au top sur le vélo hormis l'été, pendant les vacances scolaires. Et c'était justement l'époque où je marchais le mieux, sur des courses comme le Tour de l'Ain, le Tour Alsace ou le Tour du Limousin. Le reste du temps, j'étais toujours à bloc avec mes études. Je n'ai jamais pu prendre une semaine de vacances pendant cinq-six ans, entre le Bac et octobre 2016, où j'ai enfin pu souffler pour la première fois.

«TROP RISQUÉ DE TOUT MISER SUR LE SPORT »

Comment cette double activité était-elle perçue par l'équipe de La Pomme Marseille durant tes années professionnelles ?
C'était quand même un peu spécial. Il arrivait qu'on me fasse quelques remarques et que l'on me fasse comprendre que je pouvais mieux marcher sans les études, même si j'étais soutenu et que l'on m'a toujours laissé l'opportunité de faire les deux. De toute façon, j'ai toujours su ce que je voulais faire et pour moi, il était absolument inenvisageable de ne pas aller au terme de mes études.


Tu n'as donc jamais eu l'idée de ne te consacrer qu'au vélo, malgré des résultats très encourageants dès les rangs Juniors ?
J'ai toujours considéré qu'il était trop risqué de tout miser sur le sport, et plus encore dans une discipline comme le cyclisme. Tout peut aller très vite dans les deux sens. Bien sûr, tu peux marcher très fort chez les Juniors, puis être repéré par une grande équipe formatrice et vite accéder à une formation professionnelle. Mais tout peut aussi retomber très vite à tout moment. Qu'est-ce qu'on fait après une grosse chute ? Si tu te casses le coccyx et que tu es "out" pendant la moitié d'une saison, il se passe quoi ? Tu n'as rien pour rebondir derrière. Il faut y penser. Moi, j'ai toujours eu ce fil rouge des études. Même quand ça se passait un peu moins bien sur le vélo, je pouvais me raccrocher à ça et je n'ai jamais lâché.

Chez les Juniors, tu avais devancé Thibaut Pinot dans un sprint à deux pour la médaille de bronze sur un Championnat de France remporté par Kenny Elissonde (voir classement). Tu ne te rêvais pas en futur champion à cette période-là ?
C'est une période où je marchais fort. Je faisais encore du triathlon à Antibes et en plus de ma troisième place au Championnat de France de cyclisme, j'avais terminé cinquième au Championnat de France de  triathlon. Je me souviens bien de ces moments-là mais pour moi, c'est anecdotique aujourd'hui. M'être frotté à un mec comme Pinot, c'est sympa. Mais chacun a emprunté son propre chemin par la suite et ça ne va pas plus loin. Si je m'étais consacré au vélo à 100%, je n'aurais quand même pas eu la carrière de Thibaut Pinot. J'ai toujours mené ma vie comme je le souhaitais et j'en suis content. Devenir cycliste professionnel n'a jamais été un but pour moi.

« JE FAIS SIX HEURES D’ENTRAÎNEMENT DANS LA SEMAINE »

Alors, qu'est-ce qui te motivait sur le vélo pendant toutes ces années ?
La compétition, tout simplement. J'ai toujours aimé me faire mal et me battre. Mais je n'ai jamais bossé sur un objectif vraiment spécifique. Je ne me suis jamais trouvé un vrai point fort sur lequel accentuer une éventuelle préparation hivernale par exemple.

En 2010 pourtant, chez les Espoirs tu avais enchaîné les courses par étapes pour grimpeurs avec la Ronde de l'Isard, le Tour des Pyrénées, le Tour du Val d'Aoste, le Tour du Frioul ou encore le Tour du Gévaudan...
Le calendrier était fait comme ça mais je ne me suis jamais considéré comme un grimpeur. Je pense que je suis un coureur complet. Je donnais le maximum en course mais à côté, je m'entrainais très peu, toujours à cause de mes études. Parfois, je n'avais pas le temps d'aller rouler. Il pouvait m'arriver de faire six heures d'entraînement dans la semaine (rires). Et en ce moment encore, je tourne à 10-12 heures, pas plus.

Tu n'as donc jamais suivi un programme d'entraînements ?
Non, je roule aux sensations. Et bien sûr, je n'ai jamais eu d'entraîneur. Pour quoi faire ? Je n'aurais pas pu suivre les programmes. Je roulais quand je le pouvais, c’est tout.

« TOUT AVAIT ÉTÉ TRÈS VITE, TROP VITE »

Dans ces conditions, es-tu encore plus fier d'avoir tout de même réussi une carrière chez les pros ?
Ce n’est pas vraiment de la fierté mais de la satisfaction. J'ai passé quatre années pros à La Pomme durant lesquelles j'ai pu me forger un caractère. J'ai découvert le haut-niveau même si c'était la Continentale et que j'ai toujours voulu relativiser. Ce n'était pas le WorldTour, il y a un sacré palier entre les deux, il faut le dire. Mais j'ai vécu de très bons moments et je me suis fait plaisir. J'ai gagné sur le Tour Alsace (une étape en 2014, NDLR), j'ai fait des Top 10 sur le Tour de l'Ain par exemple, face à des mecs qui préparaient le Tour d'Espagne. Ce sont de bons souvenirs.


Tu es quand même passé par des moments difficiles, notamment début 2011 lorsque tu devais passer pro, à 19 ans, et que tu as finalement appris que ça ne se ferait pas au tout dernier moment (lire ici)...
C'était une période difficile. Mentalement, c'était vraiment dur. J'allais à l'école mais sans envie. J'étais partagé par différentes émotions. J'avais surtout le sentiment que tout avait été très vite, trop vite. J'allais passer pro sans jamais y avoir vraiment pensé ou rêvé. Ca allait lancer ma carrière pour de bon et d'un coup, tout dégringolait. C'était l'ascenseur émotionnel. Puis je me suis fracturé la clavicule au mois de mars après m'être finalement engagé au Martigues SC en catastrophe (lire ici). Dans ces moments-là, le fait de me raccrocher aux études m'a beaucoup aidé. Et finalement, tout est reparti et je suis passé pro l’année suivante.

Comprends-tu de voir de plus en plus de coureurs vouloir mettre de côté leurs études pendant une année ou deux pour se consacrer à 100% au vélo "pour voir ce que ça donne" ?
Bien sûr ! Chacun est libre de faire ce qu'il veut. Pour mon cas personnel, les études ont été un vrai fil rouge : c'était l'assurance d'aller au bout d'un projet alors que sur le vélo, tu n'es pas sûr de faire carrière. Il y a beaucoup de candidats et peu d'élus. Mais après, c'est une décision personnelle, ou que l'on peut prendre en famille. De mon côté, je sais que ma famille m'a toujours soutenu dans mes prises de décision, que ce soit pour le vélo ou pour les études. Ils m'ont toujours aidé et sans eux, ça aurait d'ailleurs été plus dur de réussir. Aujourd'hui, il y a des gamins qui sont très bien encadrés dès les Juniors et qui se retrouvent dans de très belles équipes réserves, qui forment parfaitement les jeunes. C'est tentant de ne faire que du vélo dans ces conditions. Mais je dois avouer que de mon côté, j'ai toujours été attiré par les mecs qui ont un parcours atypique.

« JEAN-CHRISTOPHE PÉRAUD, C’EST LA CLASSE »

Comme qui par exemple ?
Jean-Christophe Péraud ! Ce mec a un très beau parcours, je trouve. C'est la classe. Il est passé par plein de phases dans sa vie et tu le ressens même dans sa façon de s'exprimer. J'adorais la façon dont il répondait aux interviews.

C’est-à-dire ?
Même après des chutes ou des gros coups durs, il avait une façon de relativiser que je trouvais très intéressante alors que d'autres mecs se seraient écroulés dans la même situation. Puis on connait tous son parcours d'ingénieur, son passage à plus de 30 ans chez les pros. Dans un autre style, j'aime le parcours de mecs comme Nairo Quintana, depuis son arrivée de Colombie, un pays où la vie n'est pas toujours facile. C'est beau de voir les choix de chacun, de voir la façon dont les gens décident de mener leur vie. Ca m’intéresse.

Et tu penses qu'il y a assez de places pour des Jean-Christophe Péraud ou des Grégoire Tarride dans le peloton professionnel actuel ?
Pas beaucoup, non. Sincèrement, je ne pense pas que des profils comme le mien puissent intéresser beaucoup de monde. Les équipes préfèrent prendre des jeunes de 18 ans et les former eux-mêmes. Les coureurs avec un double cursus ou qui ont déjà un certain âge, voire les deux, c'est moins attrayant sur le papier. Cela dit, si une équipe est intéressée par mon profil, je ne ferme aucune porte pour l'année prochaine (rires).   

Tu envisages toujours de retourner chez les pros ?
Je pense surtout que ça risque d'être ma dernière année sur le vélo. Je me fais plaisir actuellement mais j'ai encore d'autres projets professionnels et l'envie de me développer encore plus dans mon métier d'ostéopathe. Depuis mes années Juniors, je m'étais toujours dit qu'à 26 ans à peu près, ce serait sans doute le bon moment pour arrêter le vélo. Et je pense m'y tenir. Mais encore une fois, si vraiment je fais une grosse saison et qu'on me propose quelque chose, je peux repartir sur quelques années.

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