La Grande Interview : Martial Roman

Crédit photo Zoé Soullard - DirectVelo

Crédit photo Zoé Soullard - DirectVelo

On dit souvent qu’un groupe qui gagne est un groupe qui vit bien. Martial Roman, lui, en est même convaincu. Son moteur ? : “Des mecs qui rigolent ensemble avant le départ d’une course”. Passé par neuf formations différentes sur la dernière décennie, le coureur de 29 ans a tenu à se nourrir de tous types d’expérience durant sa carrière, en France mais également en Suisse et en Belgique. Les “bons feelings” et un certain goût du risque ont souvent poussé l’actuel coureur du Team Exploit (Suisse) à changer ses petites habitudes. Il faut dire que cet aventurier dans l’âme craint plus que tout autre chose la routine. “J'ai toujours l'envie et le besoin de découvrir de nouvelles courses, de nouveaux équipiers, de nouvelles façons de faire. Je trouve que ça me fait évoluer mentalement et physiquement”. Heureux de ce qu’il a accompli jusqu’à présent, Martial Roman promet ne pas avoir de regrets. Quant aux différentes moqueries de ses adversaires ou aux graves chutes dont il a été victime, le natif de Vichy, dans l’Allier, en fait désormais sa force.

DirectVelo : Te revoilà parti dans une nouvelle aventure !
Martial Roman : J'aime les aventures, le changement. Je dirais même que j'en ai besoin. Ça fait partie de moi, de mon tempérament. Je me lasse vite. J'ai eu cette opportunité de signer dans une formation suisse (le Team Exploit, NDLR) et je n'ai pas hésité longtemps avant de donner mon accord. Tout se passe très bien. C'est une formation très jeune où je suis le seul coureur français. J'ai un rôle de capitaine de route et c’est très plaisant. Je ne vois que des jeunes déterminés et passionnés dans l'équipe et ça me rend heureux. Je vois aussi qu’ils sont à l'écoute des conseils que je peux leur donner.

C'est déjà la troisième fois de ta carrière que tu signes à l'étranger...
Je ne calcule pas trop ce genre de choses, c'est plutôt à l'instinct. J'avais déjà eu l'occasion de discuter avec le manager de cette équipe ces dernières années. Cet hiver, il m'a recontacté pour me dire qu'il avait un beau projet et qu'il voulait travailler avec moi. Je fonctionne au ressenti, au relationnel et pour le coup, j'ai de suite eu un bon feeling. Alors je me suis lancé.

Rejoindre une équipe, c'est aussi forcément en quitter une autre...
Honnêtement, je ne cache pas que ça m'a beaucoup peiné de partir de Saint-Etienne. J'avais un super groupe de potes là-bas avec Damien Fabre, Romain Faussurier et Clément Russo. Mais le groupe s'est "cassé" cet hiver puisque chacun est parti vers des horizons différents. C'est la vie d'un groupe de haut-niveau, ce sont des choses qui arrivent. J'avais déjà connu la même chose chez Veranclassic-Ekoï par exemple, l'année précédente, avec des mecs comme Justin Jules ou Thomas Vaubourzeix. J'avais noué des liens forts avec eux. D'ailleurs, avec Thomas par exemple, on s'appelle encore presque tous les jours. Mais entre 2015 et 2016, je savais que la plupart des coureurs que j'appréciais dans l'équipe n'allaient pas continuer une année supplémentaire et du coup, j'ai préféré partir moi aussi.

« REPARTIR SUR UN PROJET NEUF POUR ÉVITER D'ÊTRE DÉÇU »

Tu veux dire que tu aurais pu rester chez Veranclassic une saison de plus mais que tu as refusé pour des raisons affectives ?
Oui, c'est ça. Peut-être que c'est une erreur, peut-être que je devrais faire différemment, mais je suis comme ça. J'ai besoin de vivre dans un groupe qui me plaît pour marcher. J'ai besoin de ce ressenti d'une équipe saine qui vit bien, avec des mecs qui rigolent avant le départ d'une course. Sinon, je n'arrive pas à me surpasser sur le vélo. D'ailleurs, quand je fais le bilan de ces dix dernières saisons, je me rends compte que les années où j'ai le mieux marché sont aussi celles où je me suis le plus amusé avec les copains. Un groupe soudé, c'est un groupe qui a des résultats : c'est le constat que je fais de ma propre expérience.

Et tu penses que beaucoup de coureurs ont ce tempérament dans le peloton ?
C'est assez compliqué. Il y en a d'autres bien sûr, mais le cyclisme est quand même d'abord un sport individuel. Enfin, disons plutôt un sport individualiste. Au fond d'eux, je pense qu'il y a beaucoup de coureurs qui ont besoin d'un groupe homogène pour bien marcher, mais peut-être pas au même point que moi. De toute façon, il faut de tout pour faire un monde. Un mec comme Mickaël Larpe est plutôt individualiste, et pourtant c'est l'un des coureurs dont je suis le plus proche dans le peloton et je l'apprécie beaucoup. Samuel Plouhinec aussi a le même tempérament. Mais on voit bien que ça n'empêche pas ces coureurs-là de faire de belles et longues carrières. Il n'y a pas de règles.

C'est donc, paradoxalement, l'aspect affectif qui t'a poussé à souvent changer d'équipe dans ta carrière...
Souvent, lorsque je vis une année intense dans un groupe et que certains coureurs partent durant l'hiver, je me dis qu'il vaut mieux repartir sur un projet neuf pour éviter d'être déçu l'année suivante. J'ai toujours peur de faire l'année de trop et je préfère rester sur une bonne note. Mais il n'y a pas que ça, non. C'est aussi sportif. Je ressens le besoin de changer. J'ai tendance à me reposer sur mes acquis et en changeant d'équipe et de projet, je me force à me remettre en question, à reprendre tout à zéro. Il faut à chaque fois refaire ses preuves dans un groupe et je trouve ça intéressant.

« REFAIRE LE MÊME CALENDRIER, C'EST TROP LASSANT »

Disputer les mêmes courses cinq ans de suite, ce n'est pas pour toi ?
Ah non ! Je déteste ça. Bon, il y a quand même les incontournables que je fais tous les ans, mais il est hors de question que je fasse le même calendrier de février à octobre pendant plusieurs saisons d'affilée. C'est trop lassant. Pour moi ce n'est pas envisageable. J'ai toujours l'envie et le besoin de découvrir de nouvelles courses, de nouveaux équipiers, de nouvelles façons de faire. J'ai toujours été habitué aux changements depuis le début de ma carrière. Je trouve que ça me fait évoluer mentalement et physiquement. C'est à chaque fois une autre façon de voir le vélo. Sinon, tu restes dans ton confort et tu te contentes de toujours refaire les mêmes choses. Pour moi, ce n'est pas intéressant.


Du coup, tu t'éclates lorsque tu pars en terre inconnue, comme lors de ton succès final sur le GP Chantal Biya, au Cameroun, en octobre dernier ?
Mais oui ! C'était une superbe expérience. J'ai découvert l'Afrique noire à cette occasion et c'était top. Sur le coup, j'y allais plus pour les vacances qu'autre chose, pour découvrir une autre culture mais finalement, j'ai aussi découvert un vrai engouement autour de cette course et du coup, je me suis pris au jeu. Je me suis retrouvé à jouer la gagne et j'ai vraiment passé un superbe séjour là-bas. Partir dans des pays comme le Cameroun permet aussi de prendre conscience de la chance que l'on a en France. On réalise que l'on a pas le droit de se plaindre comme on peut le faire parfois. Humainement, c'est fort.

N'y a-t-il pas également des contraintes à bouger régulièrement ?
Le plus dur pour moi, c'est de partir longtemps. Encore une fois, tout est une question de compromis. Je me lasse vite à la maison, mais quand je pars, je finis aussi par avoir hâte de rentrer. C'est compliqué (rires). Je suis attaché à ma région et à ma famille. J'ai besoin de retrouver mon chez moi régulièrement. Lorsque j'étais chez Veranclassic, il m'arrivait de rester un mois et demi en Belgique. A la fin, ça commençait à faire long.

« ON DEVAIT NOUS PRENDRE POUR DES RIGOLOS »

Finalement, tu as parfaitement trouvé ton équilibre...
Je suis heureux sur le vélo. C'est d'ailleurs pour ça que je me suis mis en congé sans solde depuis deux ans (il est facteur, NDLR). Durant une saison, je n'axe pas tous sur les résultats, même si je n'ai surtout pas envie de finir à quinze minutes du vainqueur tous les jours. Pour faire les efforts à l'entraînement et trouver la motivation nécessaire, il faut quand même avoir le niveau et des ambitions. Tu ne peux pas t'amuser si tu subis la course tous les week-ends. Mais c'est vrai que je me connais très bien maintenant et je sais ce qu'il me faut. Du coup, ça aide.

Que se passe-t-il lorsque les résultats ne suivent pas ?
C'est arrivé durant la première moitié de saison 2016, avec Saint-Etienne (le Team Probikeshop Saint-Etienne Loire, NDLR). Les premières manches de la Coupe de France DN1 s'étaient très mal passées pour nous. A vrai dire, tout le monde nous rigolait au nez. On nous promettait la DN2 et je voyais beaucoup de gens du milieu se moquer de nos performances. Mais nous ne nous sommes jamais posés de questions et on a gardé nos habitudes. On s'est battu et ça a fini par payer.

Pourquoi se moquait-on de vous ?
Pour nos résultats, mais pas que. Je pense que certains méprisaient aussi notre façon de pratiquer le cyclisme. Ils voyaient bien que l'on ne faisait que rigoler et que l'on s'éclatait. On devait nous prendre pour des rigolos. Sauf que ce n'est pas parce que l'on rigole que l'on ne sait pas faire le métier à côté. Mais certains confondent tout.

« DES GROUPES OU PERSONNE NE RIGOLE, JE TROUVE CA TRISTE »

Et vous aviez su répondre sur le terrain...
On ne se posait pas de questions. Je me souviens de la victoire de Guillaume Bonnet sur le Tour de Dordogne. Toute l'équipe avait réalisé un super boulot ce jour-là. J'étais fier. Et puis, il y avait eu cette fameuse manche de Coupe de France sur le Grand Prix de Nogent-sur-Oise. Avant la course, nous étions dans les profondeurs du classement mais nous, on continuait de faire les cons avant le départ. On se serait presque cru dans une colonie de vacances. Sauf que le lendemain, on a assuré notre maintien en terminant deuxième de la manche. Comme quoi, l'un n'empêche pas l'autre. En tout cas c'est ma vision du vélo et on ne me l'enlèvera pas.

Tu trouves que certains coureurs se prennent trop au sérieux ?
Totalement ! Des équipes entières même... Je vois des groupes où personne ne rigole ou ne sourit. Je trouve ça un peu triste. J'ai envie de dire aux mecs : "calmez-vous, vous êtes en DN1 hein". Je veux dire, on a un bon niveau mais pour les meilleurs d'entre nous, il y aura bien le temps de se prendre au sérieux chez les pros. En DN1, il faut se faire plaisir et profiter des bons moments que l'on vit. On peut faire les choses sérieusement mais on n'est pas non plus à l'usine à monter des murs toute la journée. Il faut se calmer.


Tu parlais à l'instant de moqueries envers le collectif de Saint-Etienne : c'est quelque chose de fréquent dans le milieu ?
Les moqueries ? Bien sûr. En tout cas, moi j'ai souvent connu ça. Tout avait commencé dès mes débuts dans le milieu en fait. Je me suis mis au cyclisme en Cadets 2 et j'ai vraiment commencé la compétition en Juniors 1. A ce moment-là, j'avais donc 16 ans et je faisais 1m70 pour 85 kilos. Tout le monde rigolait de mon physique, mais je me suis vite transformé physiquement, en un an, et j'ai commencé à cogner de belles courses en J2. Puis j'ai revécu la même chose à l'hiver 2012-2013...

« J'AI CRU QUE JE L'AVAIS TUÉE »

Lorsque tu as fait ton retour dans les pelotons (voir ici) ?
Oui ! Je n'avais plus touché au vélo pendant une année complète et j'avais pris 20 kilos. Je suis de nature à prendre très vite du poids... Et quand j'ai voulu reprendre la compétition, j'ai souffert. Pendant six mois, c'était même la galère : je n'avançais pas. Mentalement, c'est dur de souffrir dans des bosses avec le 39x23 alors que deux ans plus tôt, je passais ces mêmes côtes sur le gros plateau et en force. Mais j'avais la passion et l'envie de revenir. Et quand tu es moqué et que tu as un peu d'orgueil... ça booste. Moi, je me suis toujours nourris de toutes ces petites choses qui me rendent plus fort.

Outre les quelques moqueries, tu es passé par d'autres moments bien plus délicats encore, à commencer par cette petite fille que tu avais percutée accidentellement lors d'une nocturne, en 2014...
J'ai cru que je l'avais tuée ! J'étais à l'attaque dès le premier tour et cette petite fille de 6-7 ans arrivait sur son vélo en contre-sens. Je l'ai percutée et j'ai fini ma route dans un mur. Je faisais 75 kilos et j'étais à 45 km/h. Sur le coup, j'ai vu pas mal de monde s'agiter autour d'elle, et elle ne bougeait pas. Finalement, on avait été rassuré dès le soir même et elle n'avait pratiquement rien si ce n'est une bosse à la tête, mais j'avais eu très peur. Quant à moi, j'avais quand même une triple fracture au niveau de la main et de l'index notamment. Il a fallu me poser des broches. J'en ai eu pour six mois d'arrêt. Mais c'était un moindre mal par rapport à ce qui aurait pu arriver.

L'année suivante, en 2015, tu t'es retrouvé dans le coma après une lourde chute sur la Ronde de l'Oise...
Je n'ai pas trop de souvenirs de la chute. Je me suis réveillé le lendemain à l'hôpital et on m'a dit que j'avais fait un coma. C'est le seul souvenir que j'ai. En fait, on m'a expliqué que j'avais pris la potence dans le visage et le résultat, ça a été un K.O technique. J'ai repris la compétition à peine un mois et demi après l'accident, contre l'avis des médecins. Avec le recul, je me dis que je n'étais peut-être pas bien conscient des risques. Toujours est-il que je n'ai jamais réussi à retrouver mon niveau sur la fin de saison et j'ai quitté les rangs professionnels.

« JE M’ÉTAIS DIT QUE J’AVAIS ATTEINT MES LIMITES »

Cette chute a-t-elle changé quelque chose à ta façon de courir ?
Pas vraiment, sans doute parce que je n’en ai pas de souvenirs. Ça a surtout marqué mon entourage. Je sais que depuis cette chute, mes parents et ma soeur sont toujours en stress lorsque je cours. D'ailleurs, dès qu'ils voient sur les directs de DirectVelo qu'il y a des chutes, ils sont inquiets. Pour ma part, je continue de profiter en course mais je suis quand même un poil plus prudent. Je prends moins de risques dans les sprints par exemple. Si je vois que ça frotte trop, je reste en queue de peloton.

Pourquoi avais-tu décidé de raccrocher en 2012 ?
Après une grosse saison à Nantes, j’avais eu l’opportunité de rejoindre une Conti en Suisse (Atlas Personal-BMC, NDLR) et j’attendais beaucoup de cette saison-là. Mais finalement, je suis passé à côté. Je ne m’attendais pas du tout à ça : je n’avais clairement pas été au niveau. Le problème, c’est que je n’avais pas réussi à me remettre en question à ce moment-là. Je m’étais simplement dit que j’avais atteint mes limites et que, par conséquent, je n’allais jamais pouvoir faire carrière chez les pros. C’était un rêve qui s’effondrait. Je n’avais plus l’envie de repartir chez les amateurs. Et je n’ai pas fait la moindre sortie pendant un an. Puis ça a fini par me manquer et j’ai fait tous les efforts pour revenir.

Tu n'as pas le regret de ne jamais avoir eu ta chance dans une équipe professionnelle française ?
Avec des si, on pourrait refaire beaucoup de choses. Je me dis que c'était mon destin. Peut-être que j'aurais dû aller à l'UC Nantes-Atlantique un peu plus tôt. Peut-être aussi que je n'ai pas gagné les bonnes courses au bon moment, celles qui marquent les esprits et qui font la différence. Car il y a quelques années, certains sont passés pro en France alors qu’ils n’étaient pas forcément plus forts que moi. Mais je ne regrette pas tout ce que j'ai vécu, et j'ai hâte de vivre la suite.

Crédit photos : Zoé Soullard et Philippe Pradier

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