La Grande Interview : Tanguy Turgis

Crédit photo Zoé Soullard / DirectVelo

Crédit photo Zoé Soullard / DirectVelo

Incontestablement, Tanguy Turgis aura marqué de son empreinte la saison 2016 chez les Juniors. Écrasant lauréat du Challenge Bkool-DirectVelo (voir ici), le Francilien de l’US Métro-Transports s’est montré particulièrement solide et régulier tout au long de la saison. Pourtant, le coureur de 18 ans a également essuyé de grosses larmes sur les rendez-vous les plus importants de la saison : les Championnats. Par deux fois, il voit des équipiers - Théo Nonnez puis Nicolas Malle - lui souffler la victoire sur les Championnats de France et d’Europe. “Sur le coup, j’étais dégoûté”, admet-il, bien que “heureux” pour ces derniers. Réputé fin tacticien, aussi solide physiquement que mentalement, Tanguy Turgis a désormais un nouveau gros défi à relever : celui de se faire une place au sein de la BMC Development Team, formation qu’il a choisie pour faire ses premiers pas chez les Espoirs, en 2017. Une décision mûrement réfléchie et partagée par ses deux frères, Jimmy et Anthony, à qui il dit devoir beaucoup.

DirectVelo : Il paraît que, gamin, tu regardais en boucle des cassettes du Tour de France...
Tanguy Turgis : Oh que oui ! Surtout la cassette du Tour de France 2004, avec Thomas Voeckler maillot jaune pendant dix jours. Je connaissais le film pratiquement par coeur et j’adorais Voeckler. J’étais à fond. Avec mon père, mon grand-père, mes oncles et mes frères, on parlait du Tour pendant des heures. Au-delà du plaisir de rouler, j’ai toujours suivi avec attention les courses des pros, depuis petit. Les résultats, les tactiques de course… tout ça m’a plu très vite.

« J’AVAIS PLEURÉ, J'ÉTAIS DÉGOUTÉ POUR LUI »

On dit de toi que tu étais encore plus mordu de vélo que tes grands frères ?
Disons que eux ne passaient pas autant de temps devant les cassettes vidéos (sourires), mais c’était quand même un plaisir collectif et partagé. Par exemple, pendant des années, on se faisait un petit jeu de pronostics avant le départ du Tour de France. L’idée était simple : on écrivait une simulation de classement général final, avant la 1ère étape. On allait du vainqueur… au 50e ! Et à la fin du Tour on faisait les comptes. Il n’y avait rien à gagner, aucun pari, mais on s’amusait tout simplement.

Tu as rapidement quitté le poste de télévision pour aller soutenir Jimmy et Anthony sur les cyclo-cross…
En fait, je les accompagnais déjà dans la poussette. Mais là, je n’ai pas le moindre souvenir (rires). Par la suite, c’est vrai que je n’ai pas raté beaucoup de leurs compétitions. J’ai vraiment grandi en les voyant évoluer chez les Cadets, Juniors... J’ai des souvenirs très précis de certaines de leurs courses. Je me souviens d’une manche de Coupe de France Juniors où Jimmy avait tout perdu sur la dernière épreuve. Moi, j’avais à peine 10 ans. C’était à Quelneuc et il avait dû abandonner son maillot de la Coupe de France ce jour-là (voir classement). Sur la ligne d’arrivée, j’avais pleuré. J’étais dégoûté pour lui. J’ai aussi un souvenir similaire d’Anthony, qui filait vers la victoire à Lignières-en-Berry et qui avait tout perdu sur le dernier passage des planches, dans le sable. Romain Seigle le déborde et s’en va gagner (voir classement). Je revois encore les images comme si j’y étais.

Et tu te voyais à leurs places ?
J’admirais beaucoup mes frères. Je les trouvais très forts, sérieux et vraiment courageux. J’avais un immense respect pour ce qu’ils accomplissaient. Forcément, j’avais envie de faire comme eux. Je me souviens qu’avant leurs cross, je prenais mon vélo et je faisais des tours de circuit, des courses virtuelles (rires). Mais finalement c’était de vrais entraînements : je faisais des dizaines de passages de planches.

« S’APPUYER SUR LES ÉCHECS ET LES RÉUSSITES DE MES FRÈRES »

En voyant tes frères enchaîner les podiums, jusqu’à rejoindre le monde professionnel, tu t’es imaginé connaître le même parcours ?
C’était forcément le but. Il m’était difficile de faire abstraction des comparaisons dans le sens où les gens m’en ont toujours parlé. Mais avec mes frères, on n’a jamais voulu se comparer. On faisait chacun notre travail de notre côté. L’avantage, c’est que je n’ai jamais couru dans les mêmes catégories d’âge que Jimmy et Anthony. Du coup, j’ai pu tracer ma route tranquillement, contre d’autres adversaires.


Être le cadet de la famille est-il un avantage ?
Je crois que oui, pour la simple et bonne raison que ça permet de s’appuyer sur les réussites et les échecs de tes frères. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si souvent, le petit frère est “plus fort” que ses aînés. Il n’y a qu’à regarder les Van Der Poel ou les Schleck, parmi tant d’autres. La position la plus difficile a été celle de Jimmy. C’était le premier donc forcément, il a été amené à faire plus d’erreurs que nous. Mais du coup, il nous a aussi aidés, Anthony et moi. Quand Anthony signe à Nogent-sur-Oise ou qu’il gagne Liège-Bastogne-Liège Espoirs… c’est un peu grâce à Jimmy. La saison que je réalise en 2016 : c’est grâce à eux, à leurs expériences passées. Et puis, si on me présente souvent comme quelqu’un de mature pour mon âge, c’est pour les mêmes raisons.

Jimmy t’a accompagné dans  tes plans d’entraînements depuis tes années Cadets…
Cela a été un apport énorme pour moi ! Jimmy, mais aussi Anthony, m’ont toujours donné un maximum de conseils. J’ai toujours été là à leurs debriefings de courses. J’étais curieux de comprendre ce qui n’avait pas fonctionné, quand ils passaient à côté de leur course.

« DEPUIS TOUT PETIT, JE DÉTESTE PERDRE »

Finalement, tu as suivi le chemin qu’ils ont tracé au préalable ?
C’est un peu ça, oui. Mais parfois, il m’est aussi arrivé de faire du hors-piste (sourires). Et là, Jimmy me corrigeait. Je pense notamment à mon caractère de mauvais perdant. Depuis tout petit, je déteste perdre. Le problème, c’est qu’en vélo tu perds souvent car pour moi, finir deuxième, c’est perdre. Dans les plus jeunes catégories, je pleurais beaucoup. Quand je perdais, et même quand je gagnais. Jimmy m'engueulait et me disait souvent de me calmer. Mais moi, je n’étais jamais content de ce que je faisais.

Lorsque l’on a interrogé Jimmy sur tes principales qualités, le premier mot qui lui est venu à la bouche, c’est “perfectionniste”...
Je le suis, depuis toujours ! Quand un truc ne va pas, je suis fou. C’est d’ailleurs une source de prises de tête avec mon père par exemple. Il essaie de me faire relativiser mais j’ai du mal à accepter certaines défaites. Surtout, j’ai horreur de reproduire deux fois les mêmes erreurs. Alors quand quelque chose se passe mal, je veux absolument l’enregistrer et m’assurer de ne plus jamais le refaire.

Un perfectionniste est-il un éternel insatisfait ?
C’est vrai qu’il est difficile d’être pleinement satisfait, mais ça m’arrive quand même parfois. Par exemple, sur la Bernaudeau Junior, je pense avoir réalisé la course parfaite (voir classement).

« PAS UNE QUESTION DE TALENT, MAIS DE TRAVAIL »

Cette recherche de la perfection, elle est donc avant tout tactique ?
J’ai longtemps considéré que j’avais un déficit physique par rapport à beaucoup de coureurs et du coup, j’ai toujours voulu compenser par l’intelligence en course. Et là, on en revient à notre ami Thomas Voeckler. Le sens tactique, j’adore ça. Je le travaille énormément. En cyclisme, on sait très bien que c’est rarement le plus fort qui gagne, mais plutôt le plus malin. Pendant des années, je mettais des attaques de partout. Désormais, j’ai appris à en mettre une seule, mais une grosse, qui fait mal. Et au meilleur moment possible. Il y a beaucoup de choses qui s’apprennent, comme l’agilité en course, pour les cyclo-cross. Là, ce n’est pas une question de talent mais de travail.

Tu te sentais donc inférieur à d’autres physiquement mais aujourd’hui, ce n’est plus le cas ? Tu t’es d’ailleurs énormément développé durant tes deux saisons Juniors, musculairement parlant...
On me fait souvent cette remarque. J’ai pris beaucoup de caisse et désormais, je fais aussi partie des plus forts. La vérité, c’est surtout que j’ai la chance d’avoir des muscles saillants et plus marqués que d’autres. En ce sens, j’ai un physique qui se rapproche plus de celui d’Anthony que de Jimmy. Mais contrairement à ce que beaucoup pensent, je n’ai pas passé des heures en salle de musculation. Bien au contraire. Pendant des années, mes proches ne voulaient pas que j’y aille car je n’avais pas encore fini ma croissance. Longtemps, j’ai vu des mecs de mon âge soulever de gros poids alors que moi, je me contentais de gainage et d’exercices au poids du corps.

Quand as-tu pris conscience de ton potentiel physique ?
C’était sur un Trophée Madiot. Ce moment m’avait marqué : j’avais été l’un des seuls à suivre Clément Bétouigt-Suire lorsqu’il a mis une grosse mine. A cette époque-là, Clément était déjà très grand et super développé.  Son grand-père était venu me voir à l’arrivée et il m’avait dit “Continue comme ça petit. Ce que tu fais est très bien, c’est génial, parce que Clément a déjà les Watts des pros”. Là, je me suis dit que je devais avoir du coffre.

« LE VÉLO, C’EST UN MONDE DE REQUINS »

On dit souvent de toi que tu as un tempérament “de tueur” sur le vélo, comme peut l’avoir Anthony, alors que Jimmy est plus souvent vu comme quelqu’un de “trop gentil”...
Je partage cet avis. On ne va pas se mentir, je crois que tout le monde est d’accord là-dessus. Jimmy est la personne la plus gentille que je connaisse. Mais il s’est parfois fait avoir en course à cause de ça. Le vélo, c’est un monde de requins. Je me souviens de Dimitri Champion [Champion de France 2009 NDLR], qui nous avait dit ça il y a déjà quelques années. Et il avait raison. Il faut se faire une place et si tu es trop gentil, tu te la fait beaucoup plus difficilement.


En 2017, tu feras tes débuts dans le peloton Espoirs du côté de le BMC Development Team. Pourquoi ce choix ?
J’ai eu une dizaine d’offres, notamment de DN1 françaises. Au début, tout le monde voulait m’envoyer à Nogent, comme si je devais faire comme mes frères. Mais la BMC était clairement mon choix numéro 1. Je voulais une aventure à l’étranger. Et puis, la BMC, pour moi c’est la meilleure équipe pour continuer d’apprendre. Les meilleurs Espoirs de chaque pays courent là-bas. Quand on regarde les effectifs des dernières années, il y a souvent les deux meilleurs belges, néerlandais, suisses etc. Ca donne envie. Tu sais que tous les week-ends, l’équipe va jouer la gagne avec au moins un coureur.

Chez les Juniors, tu as pris l’habitude d’être souvent leader, que ce soit au sein de ton club, de ton comité, ou même en Equipe de France. Ce ne sera sûrement plus le cas chez BMC ?
J’ai souvent été leader, oui. Je me souviens d’ailleurs d’une anecdote : En 2015, en Equipe de France, il arrivait que Julien (Thollet, le sélectionneur, NDLR) dise à tout le monde “c’est bon les gars, aujourd’hui on fait confiance à Tanguy”. J’étais Junior 1ère année, et il y avait des J2 comme Louis Louvet dans l’équipe. Tout cela me faisait bizarre. Depuis, j’ai appris à assumer ce rôle et il n’est pas désagréable. Mais être équipier n’est pas un problème, je suis prêt à le faire. D’ailleurs, j’ai souvent fait l’équipier sur des courses importantes.

« A CIVAUX, J'ÉTAIS PEUT-ÊTRE  PLUS FORT QUE THÉO (NONNEZ) »

Où par exemple ?
Sur le dernier Championnat du Monde ! Clément (Bétouigt-Suire) était notre leader et dans ma tête, j’étais parti au Qatar pour le voir devenir Champion du Monde. Je devais être son lanceur et je me faisais un plaisir de travailler pour lui. Ce jour-là, je n’ai vraiment pas pensé à moi. C’était la même chose avec le Comité, sur des manches de Coupe de France. Sincèrement, je ne pensais pas à ma gueule. Et puis, en Equipe de France, nous avions souvent tous notre chance au départ.

En 2016 pourtant, tu as semblé prendre comme des échecs les résultats des Championnats de France puis d’Europe, alors qu’à chaque fois, l’un de tes coéquipiers l’a emporté…
Je venais sur ces courses pour les gagner. Les Championnats, c’est pas tous les jours. A Civaux, je me sentais vraiment le plus fort. C’était moins vrai à Plumelec pour le Championnat d’Europe mais là-bas, ce qui m’avait vexé, c’était qu’à un tour de l’arrivée, on nous a dit que Nicolas (Malle) et Emilien (Jeannière) étaient cuits dans l’échappée. Enfin, c’est eux-mêmes qui avaient dit ça. Du coup, je ne comprenais pas pourquoi on ne voulait pas privilégier ma carte à l’arrière. Sur le coup, j’étais dégoûté car c’est toujours frustrant d’être enterré dans le peloton et de ne pas pouvoir jouer sa carte. Mais que les choses soient bien claires : j’étais très heureux du doublé de mes équipiers.

Le cyclisme est un sport individuel ou collectif ?
C’est un sport collectif, sans hésiter. Mais après, tout dépend des situations. Parfois, tu te retrouves en Comité régional, comme sur le Championnat de France, avec des équipiers qui sont tes adversaires tout le reste de l’année. A Civaux, Théo (Nonnez) gagne avec des circonstances de course favorables mais sans lui manquer de respect, je pense que j’étais peut-être plus fort que lui ce jour-là. Et je l’avais battu sur toutes les autres courses de l’année. J’aurais aimé être Champion de France, mais je suis content pour lui. C’est tout.

Et si, à la BMC, tu vois des équipiers gagner alors que tu considérais avoir aussi les jambes pour l’emporter ?
Pour moi, ce n’est pas comparable car je vais courir avec les mêmes mecs, dans le même groupe, tout au long de la saison. Donc, suivant les situations, on aura forcément l’occasion de se rendre la pareille à un moment ou un autre.

Mots-clés

En savoir plus

Portrait de Tanguy TURGIS