La Grande Interview : Sylvain Georges

Crédit photo Philippe Pradier, Jean-Michel Ruscitto et Florianne Verne

Crédit photo Philippe Pradier, Jean-Michel Ruscitto et Florianne Verne

Courses, objectifs, coupure, préparation, entrainement… Oublié le champ lexical du cycliste pour Sylvain Georges. Le coureur du Team Pro Immo Nicolas Roux est prêt à tourner une page. Et il le promet "Je ne reviendrai pas dans six mois ou dans un an !".  L’ancien professionnel chez Auber 93 puis AG2R La Mondiale (vainqueur d’une étape sur le Tour de Californie en 2012, 2e du Tour du Doubs et 3e de Paris-Camembert en 2013) gardera tout de même un pied voire deux dans le monde du cyclisme en continuant de travailler pour Ekoï.
"A 20 ans, devenir pro ne me faisait pas rêver. Je voulais ouvrir un garage ! C’est un concours de circonstance qui m’a mené vers le professionnalisme", sourit-il après avoir raccroché son dernier dossard dans un petit village du Cher, à Saint-Amand-Montrond. Une retrouvaille pour Sylvain Georges qui doit son premier passage chez les pros à l’arrêt de l’équipe du même village ! Nous étions alors en 2007, Sylvain Georges avait 24 ans et une carrière qui se dessinait. "Plaisir. Cohésion. Revanche. Ces trois mots correspondent bien à mon parcours", déclare-t-il à DirectVelo avant d’évoquer une quinzaine d’années à rouler sur les routes françaises, américaines et même slovènes.

DirectVelo : Comment se sent le jeune retraité ?
Sylvain Georges : C’est une nouvelle vie qui commence. J’ai ressenti plusieurs émotions, la plus forte étant sans doute au moment d’épingler le dernier dossard. Là, je me dis que c’est quelque chose que je ne referai plus, en tout cas, plus à ce niveau. Vous pouvez être certain que je ne reviendrai pas dans six mois ou dans un an !

« JE RESTERAI PROCHE DE L'EQUIPE »

A ton avis, quel sera le plus gros manque ?
Sans hésiter, ce sera de ne plus partir avec les copains pendant un week-end de course. C’est cette ambiance qui me manquera. Après, je ne m’en fais pas car je vais être très occupé avec mon travail et je pourrai passer du temps avec ma famille le week-end. Et puis, je resterai proche de l’équipe. Ça va m’aider. Ça aurait été beaucoup plus difficile de couper brutalement.

Tu as toujours travaillé pendant les périodes où tu étais amateur ?
A 15 ans, je suis entré aux sport-études et mes parents m’ont prévenu que c’était les études en premier et le vélo après. J’ai continué après le bac jusqu’à la licence pro. Ensuite, c’est vrai que j’ai travaillé, notamment pendant mes années au Creusot.

Tu n’avais pas l’impression de perdre du temps ou de ralentir ta progression en jouant sur les deux tableaux ?
Pas du tout ! Je me suis vite rendu compte que le travail m’aidait à rebondir dans les périodes de méforme. J’ai un exemple qui me vient quand j’étais stagiaire chez Peugeot. Ça coïncidait avec une période où je ne marchais pas (en Espoirs). Le travail m’a permis de ne pas gamberger. Plus récemment, le Championnat de France a été une déception. En me tournant vers de nouveaux projets, j’ai pu aller de l’avant.

Tu avais fait beaucoup de sacrifices (lire ici) pour tenter de t’imposer sur le contre-la-montre du Championnat de France, à Vesoul. Est-ce que cette contre-performance a joué dans ta décision d’arrêter ?
Je m’étais décidé avant. Après ma suspension (après la prise d’un stimulant (heptaminol) le Tribunal Arbitral du Sport indique dans son jugement être : « intimement convaincu M. Georges n’avait pas l’intention de tricher ou d’améliorer ses performances sportives ») je ne voulais plus entendre parler de vélo. J’étais dépité. A l’époque des amis et Nicolas Roux m’avaient encouragé à reprendre. Il m’a poussé en me disant : "fais-toi plaisir". On était parti sur un an puis j’ai eu l’occasion de continuer une saison et j’en avais envie. Par contre, en début d’année, il y a eu ces accidents… ça m’a poussé à m’arrêter.

Et du plaisir, tu en as pris lors de ces deux saisons à Pro Immo ?
Honnêtement, je me suis éclaté ! Je me suis  épanoui avec les copains, j’ai vécu deux saisons géniales. C’est un pincement au cœur de me dire que je ne vivrai plus ces moment-là. D’une certaine manière, je me suis rassuré en montrant que j’avais le niveau. Je n’ai pas été pro par hasard.

« VOUS NE M'IMPOSEREZ RIEN »

En février dernier, tu disais que  tu arrêterais quand tu l’auras décidé (lire ici). Pourquoi était-ce si important ?
Je considère avoir été victime d’une injustice et je ne pouvais pas laisser ces institutions me dicter ma ligne de conduite. Avec ces deux saisons, j’ai l’impression de pouvoir partir la tête haute. Même si ces gens n’en ont rien à faire, c’est une façon de leur dire : ‘’vous ne m’imposerez rien’’. C’est peut-être égoïste mais je fais avant tout du vélo pour mon plaisir. Ça ne veut pas dire que je ne vais courir que pour ma gueule mais mon plaisir c’est de courir.

Est-ce que tu gardes encore du ressentiment que ce soit envers AG2R ou les Fédérations ?
Non. La seule personne à qui je peux en vouloir c’est moi. C’est moi qui commets la boulette en faisant confiance à la pharmacienne. Tous les matins je m’en veux en me disant que j’aurais été bien avec Jean-Christophe Péraud ou Romain Bardet. Que j’aurais pu les aider. La frustration reste liée à ça  mais je pense en avoir fait le deuil…

Revenons à cette retraite. Si l’on demandait à tes coéquipiers ce qu’ils pensent de toi, qu’aimerais-tu entendre ?
Du bien ! (rires). Si je leur ai apporté en partageant mon expérience, je serais heureux. On a avancé dans une dynamique agréable tout en faisant le job. Ça c’est important !

« JE SUIS A MOITIE SOURD D'UNE OREILLE. C'EST POUR CA QUE JE CRIE EN COURSE »

Tu es le leader de cette équipe, comme tu avais pu l’être auparavant chez Auber. Il faut être dur pour endosser ce costume ?
Je ne suis pas sûr qu’il faille être dur mais il faut avoir de la personnalité. Je ne connais pas de leader qui aime se laisser marcher sur les pieds. Je pense avoir du caractère. Je peux être impulsif en course mais il faut surtout être juste. Je crie aussi pas mal. Enfin ça c’est parce que je suis à moitié sourd d’une oreille ! Je ne m’entends pas parler sur le vélo (rires). Etre leader, c’est en quelque sorte du management.  

Dans quel sens ?
Déjà, il faut faire passer les consignes du directeur sportif et apprendre à gérer les égos. Tu peux dire à un coureur : ‘’Là tu es mauvais’’, ça va le booster. Alors que ça peut en démoraliser un autre. Dans l’équipe, j’ai quand même l’impression que nous avons cette cohésion qui permet d’avoir des résultats. Ça fait aussi partie du projet de Nicolas Roux.

Cette cohésion pour toi se symbolise comment ?
Quand je regarde certaines équipes à table, j’ai parfois la sensation que les gars ne sont pas contents d’être là. Les jeunes mettent toutes les chances de leurs côtés pour passer professionnel. C’est très bien mais ils sont parfois pros avant l’heure. Ils font le métier à 120%, s’entraînent à bloc… Pour moi, tu n’as pas besoin de faire tout ça en amateur si tu aspires à une carrière chez les pros. Des fois, je me dis qu’ils passent à côté de plaisirs simples… Une discussion entre amis, un morceau de fromage  ou un bon verre de vin. Tout ça c’est un enrichissement. En tout cas, je m’épanouis en partageant des choses avec mon équipe, avec mes amis, sinon la saison serait très longue… Enfin je dis sans doute ça parce que je vieillis (rires) !

Tu parlais tout à l’heure de ton arrivée au Pôle Espoirs du Limousin. Mais comment as-tu commencé le vélo ?
Grâce à mon frère. Il faisait du VTT et m’a demandé si je voulais l’accompagner sur une course. J’avais treize ans et j’avais dû arrêter le bicross un an plus tôt à cause d’une déchirure d’un trapèze. Ado, j’étais plutôt karaté et tennis ! Enfin, je fais la course avec lui et je gagne. Pareil la semaine suivante !  Ça m’a donné envie de continuer jusqu’à la fin de la saison.

« J’AI FAIT LES 500 DERNIERS MÈTRES EN COURANT »

On est encore loin des débuts sur route et d’une carrière ?
A 20 ans, je ne pensais toujours pas à faire carrière mais à ouvrir un garage ! Je sortais des Juniors quand mes entraîneurs m’ont poussé à essayer la route. J’ai fait ma première course FFC à 19 ans. C’était sur un contre-la-montre. J’ai le deuxième temps à l’intermédiaire mais je crève à 500 mètres de la ligne. Là, réflexe de vététiste je termine en courant. Pour dire à quel point j’étais loin de connaitre le cyclisme sur route ! Ce n’est que plus tard que Jean-Philippe Duracka m’a contacté pour rejoindre son club en 2007. C’était à Saint-Amand-Montrond. Finalement le club a arrêté son équipe et je l’ai suivi chez A-Style Somm (une équipe Continentale chypriote) pendant l’hiver.

On est en 2008, et tu passes donc pro à 24 ans ?
Sauf que l’équipe… C’était une catastrophe ! On courait parfois en Slovénie en se tapant vingt heures de voiture pour y aller. Pour moi, ce n’était pas le rêve ! J’ai compris à ce moment que j’avais des qualités et quand je suis rentré en France, l’objectif était réellement de passer pro. J’ai vécu de belles années au Creusot puis à Auber et AG2R avec la fin que l’on connait. J’ai eu une carrière assez bizarre du début à la fin (rires).

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