Tour de France : Une tension annoncée, mais déjà installée

Crédit photo A.S.O / Charly Lopez
Depuis plusieurs jours, les coureurs et directeurs sportifs interrogés par DirectVelo ne laissent guère place à l’ambiguïté : les dix premiers jours du Tour de France 2025 s’annoncent sous haute tension. Va-t-elle atteindre son paroxysme dès le premier jour ? "Forcément, il y aura des chutes samedi. C’est inévitable", prédit Arnaud Démare.
Du côté des prétendants au classement général, la prudence est de rigueur. Certains ont même été sélectionnés pour leur capacité à gérer ce type de contexte. "Je suis content d’avoir Jordi Meeus à mes côtés, il pourra me protéger", se félicite Primoz Roglic, tandis que son compatriote Tadej Pogacar se montre tout aussi vigilant. "Je veux prendre du temps sur mes adversaires, mais il faut aussi veiller à ne pas compromettre sa course dès les premiers jours".
UNE NERVOSITÉ DEVENUE PERMANENTE
Hugo Page, qui va participer pour la deuxième fois à la Grande Boucle, adopte un ton plus mesuré. Pour le coureur d’Intermarché-Wanty, cette nervosité n’est en rien une spécificité du Tour. "C’est la plus grande course du monde, certes, mais au bout du compte, cela reste une course de vélo. Chacun cherche à gagner, comme sur toutes les autres épreuves. La tension, on la ressent depuis le début de saison. Le Dauphiné était déjà très nerveux, et ce, sans un plateau de purs sprinteurs. À Copenhague également, les chutes ont été nombreuses". Arnaud Démare abonde dans ce sens. "Toutes les courses que j’ai disputées en Belgique étaient extrêmement tendues, plus que par le passé. À chaque fois, on aurait cru vivre une première étape du Tour. La seule différence, c’est que le Tour fait davantage de bruit".
La Classique Bruges-La Panne, marquée par quatre chutes dans les cinq derniers kilomètres, reste l’exemple le plus emblématique d’une tension portée à son paroxysme. "Je ne pense pas que l’on atteindra ce degré d’extrêmité samedi", tempère Arnaud Démare. "Là-bas, c’était un véritable Championnat du Monde des sprinteurs. Ici, ils seront moins nombreux, car le peloton compte aussi des grimpeurs et des hommes de classement général. Et puis, le tracé est plus adapté que celui de La Panne, où la difficulté du final était prévisible dès l’approche".
Pour le sprinteur d’Arkéa-B&B Hôtels, cette atmosphère est désormais une constante. "La première semaine du Tour se déroule toujours dans les mêmes conditions. Les leaders cherchent à ne perdre aucune seconde, les sprinteurs veulent s’imposer. Et chaque équipe a quelque chose à défendre. Cette configuration génère forcément de la nervosité". À cela s’ajoutent plusieurs facteurs aggravants : la réintroduction du système de montée-descente, des vélos toujours plus performants - « Je roule à 40 km/h sans vraiment appuyer sur les pédales », glissait Aurélien Paret-Peintre - et une attention parfois relâchée. "Certains coureurs sont dans la lune, et ça ne facilite rien quand le peloton est déjà sous pression", Kévin Vauquelin observait vendredi.
L’AGRESSIVITÉ COMME NORME
La première étape n’aura donc rien d’anodin : elle offre une occasion rare à un sprinteur d’endosser le maillot jaune. "Il y aura encore plus d’adrénaline dans le final", annonce Arnaud Démare. Et les conditions météorologiques pourraient accentuer ce climat : le vent annoncé pourrait favoriser les bordures. "Tout le monde voudra être en bonne position. Est-ce que cela suffira pour faire exploser le peloton ? Je l’ignore. Nous sommes sur le Tour, chaque coureur arrive affûté. Personne ne va céder facilement. Mais il faudra être prêt à tout", avertit Hugo Page.
Mais cette tension constante est-elle encore légitime ? Pour Arnaud Démare, elle est devenue la norme. "Cela fait partie de notre quotidien. C’est inévitable. L’agressivité que l’on ressent entre nous reflète une société plus dure : sur la route comme à vélo, plus personne ne veut freiner. Résultat : accrochages, chutes. Chaque coureur défend son rôle, chaque leader son statut. Cette rivalité permanente nourrit le peloton". Une agressivité que le sprinteur avoue regretter : "J’ai basé ma carrière sur des sprints plus “gentleman”. Cela ne m’a pas empêché de gagner. Mais j’ai dû m’adapter à cette évolution".
LE CAPITAINE DE ROUTE, UN RÔLE À RÉINVENTER
Didier Rous, directeur sportif chez Arkéa–B&B Hôtels, va plus loin encore : "Il ne s’agit plus seulement d’agressivité sportive. On frôle parfois l’incivilité. Certains coureurs omettent volontairement de signaler les obstacles. Ils roulent pour enfermer les autres". Il plaide pour le retour du capitaine de route, un rôle qu’il juge en voie de disparition. "Cette figure s’est effacée. Aujourd’hui, ce sont les oreillettes qui dictent les consignes. Il reste quelques coureurs qui préviennent, mais ils se font rares".
Didier Rous tient toutefois à rappeler une nuance essentielle. "Être agressif pour aller chercher une victoire dans le final, c’est légitime. Mais pas toute la journée, pas quand ce n’est pas nécessaire". Ce à quoi Arnaud Démare, mi-sérieux mi-amusé, répond, "si je te dis que j’ai freiné parce que j’avais peur de tomber, tu vas me dire : « Arnaud, arrête… »". Son DS tempère, "on vous signale les dangers. Mais on ne vous pousse pas au cul à prendre des risques inconsidérés". Pour les directeurs sportifs, cette tension permanente est usante. "Dans les voitures, chaque chute fait bondir le cœur. Toute une saison de préparation, de stages… peut être réduite à néant en une fraction de seconde. Et ça, malheureusement, on ne peut pas le contrôler".
Ce samedi, les nerfs des DS et des coureurs seront donc mis à rude épreuve. Et ce n’est qu’un début. Dimanche, la deuxième étape offrira un final propice aux puncheurs, une nouvelle bataille pour les places. "Ce sera encore la guerre pour arriver en tête au pied de la dernière ascension", prévient Hugo Page. Cela pourrait durer jusqu’au contre-la-montre de Caen, seul moment de répit relatif annoncé dans cette première séquence sous tension.
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