Indemnité de formation : Le cheval de bataille des dindons de la farce

Crédit photo Freddy Guérin - DirectVelo.com

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Les indemnités de formation pour l'embauche d'un néo-pro existent déjà. "Depuis l'époque de Bouygues Télécom, l'équipe pro reverse 5000 euros au Vendée U pour chaque coureur passé pro. Jean-René trouve normal que l'argent redescende vers le cyclisme amateur", expose Damien Pommereau à DirectVelo. "Quand nous étions aidés fortement par Cofidis, je trouvais normal qu'ils ne nous versent rien en plus quand ils prenaient un coureur de chez nous, de même quand AG2R fait passer un coureur de Chambéry", ajoute de son côté Jean-Michel Bourgouin, le manager de l'AVC Aix.

Pour l'instant  le manager vendéen fait figure d'exception, ou de précurseur, c'est selon. Ces indemnités sont une demande de l'Association des Clubs Cyclistes de Division Nationale (ACCDN). David Lappartient, Président de la FFC et du Conseil du cyclisme professionnel déclarait en 2015 vouloir créer ces indemnités "au niveau mondial" (lire ici). Mais la réforme du cyclisme professionnel adoptée en juin 2015 par le CCP n'évoque pas le sujet.

THIBAUT PINOT FAIT UN CHEQUE POUR ETUPES

"C'est anormal que ces indemnités n'existent pas dans le cyclisme", s'insurge Jean-Michel Bourgouin. Il y a trois ans, Jérôme Gannat avait réclamé dans le magazine Procycling "un peu plus de considération et de respect de la part du cyclisme professionnel" envers les clubs amateurs. Le directeur sportif du CC Etupes évoquait alors "un système d’indemnités récompensant tous les clubs qui ont participé à la formation du coureur qui passe pro" (lire ici) . "Qu'est-ce que ça coûterait à une équipe WorldTour en France ? Dans le foot, ça marche très bien", se demande Damien Pommereau. Robert Orioli, le fondateur du CC Etupes ajoute dans France Cyclisme, "si on transposait le foot au cyclisme, avec le nombre de coureurs que nous avons formés et fait passer chez les pros, nous serions riches. Mais ce n'est pas le cas." Ce sont même ses anciens coureurs qui aident leur club formateur. "L'an passé, nous avions lancé une souscription pour lever des fonds pour le club. Thibaut Pinot nous a fait un chèque".

Le comble c'est qu'il existe des droits de mutation entre clubs amateurs. Le club pour lequel le coureur mute paie une somme distribuée entre la FFC, le comité régional et le club quitté. "Cet hiver nous avons payé 440 euros de mutation pour un Junior qui passe en 2e catégorie chez nous et je trouve ça normal", rappelle Jean-Michel Bourgouin. "Ce qui l'est moins, c'est qu'on doive dire merci quand on nous prend un coureur qui passe chez les pros." Ou accepter un carton de socquettes et de casquettes. Le CC Nogent-sur-Oise l'avait renvoyé à l'expéditeur quand la Française des Jeux le leur avait offert après avoir embauché Arnaud Démare.

DEPUIS 54 ANS

Les indemnités de formation, les droits de transferts, sont un vieux cheval de bataille dans le vélo. En août 1962, Félix Lévitan, directeur adjoint du Tour, Président de l'AIOCC, l'association internationale des organisateurs, et Antoine Herbauts, secrétaire général, présentent à l'UCI leur projet de réforme du cyclisme professionnel.

L'objectif principal est d'équilibrer les forces entre les équipes. Depuis l'irruption des marques extra-sportives dans le peloton en 1954, cet équilibre est bancal. Les marques d'apéro ou de réfrigérateurs veulent un retour sur investissement rapide. Elles sont prêtes à offrir un pont d'or aux vedettes de l'époque, puis à baisser le rideau deux ans après en laissant la terre brûlée derrière eux. Les marques de cycles, fidèles depuis des années, n'ont plus que les miettes surtout que certaines sont au bord de la faillite. Le déséquilibre se ressent aussi entre coureurs. "Quelques privilégies firent fortune en trois ans alors que d'autres, de valeur certaines mais moins "publics" en furent réduits à ramasser les miettes. Ou à jouer les domestiques auprès de super vedettes. On payait Hassenforder plus cher que Stablinski [Champion du Monde 1962 NDLR]. La cote d'alerte a été atteinte", écrit le journaliste Pierre Chany en septembre 1962.

Cette réforme de 1962, dans la lignée d'une première en 1957, décide donc de limiter dans chaque équipe, le nombre de coureurs vainqueurs des plus grandes courses. Elle impose aussi un nombre maximum de coureurs par groupe sportif au départ des courses pour reduire la taille des pelotons. Elle dégage du calendrier les grandes courses pour les protéger de la concurrence des critériums, nombreux et fructueux et qui procurent la moitié de leurs revenus aux coureurs.
Et donc, Félix Lévitan propose d'instaurer des droits de transfert non seulement entre groupes sportifs mais aussi entre le club de l'amateur ou de l'indépendant (1) qui passe pro et son nouvel employeur. Déjà à l'époque, le football est pris en exemple, alors que le ballon rond ne touchait pas encore des millions de droits télé.

Si la première partie de la réforme arrange bien les équipes qui vont pouvoir mettre les deux pieds sur la pédale de frein de la pompe à fric, donner de l'argent aux concurrents ou aux clubs, ça passe beaucoup moins bien. Le 18 décembre 1962, la commission du cyclisme pro de l'UCI remet à plus tard la mise en place de ces frais de transfert. 54 ans plus tard, on attend toujours.

LES PRIMES KILOMETRIQUES

Toutefois, il serait faux de dire que le cyclisme pro n'a jamais alimenté le cyclisme amateur en France. La première réforme de 1957 permet aux marques extra-sportives de s'associer à un club pour monter une section professionnelle. Ce sera le cas de l'ACBB, du VC XII ou du CV XIX, des clubs parisiens. Mais ces montages seront vite abandonnés et les groupes sportifs auront pour support une association créée pour l'occasion, avant de devenir des entreprises.

En revanche, les marques de cycles présentes chez les pros ont pendant longtemps arrosé le cyclisme amateur de primes kilomètriques en cas de victoires, justifiées par une coupure de presse. En 1982, Peugeot équipe un tiers des premières caté du peloton français! Gitane, Mercier, Motobécane ont elles aussi eu des coureurs amateurs sous contrat. Les primes sont individuelles et ne concernent pas le club. Elles s'arrêteront quand les constructeurs disparaîtront du cyclisme pro.

Quand il devient directeur sportif en 1976, Cyrille Guimard met en place des contrats d'aspirants avec une demi-douzaine de coureurs par an qu'il suit et invite à des stages avec son équipe professionnelle. Une partie d'entre eux passent pro dans son équipe. Il va ensuite rechercher des clubs réserve avec l'ACBB puis l'Antony Berny Cycliste. A la même époque, les autres directeurs sportifs français reconnaissent manquer de temps pour s'intéresser vraiment au cyclisme amateur.

VACHE A LAIT

Une fois passé professionnel, le coureur doit toujours prendre une licence dans un club qui la paie. C'est le cas à l'AVC Aix-en-Provence. "C'est historique mais c'est aberrant", estime Jean-Michel Bourgouin qui a "l'impression d'être pris pour une vache à lait." Si ce système d'indemnités était mis en place, "on pourrait redistribuer à chaque club où est passé le coureur", ajoute Damien Pommereau.

Quand les clubs amateurs veulent débattre du sujet avec le monde pro, "on ne peut pas discuter, c'est presque une grossièreté d'en parler, il n'y aucun compromis possible", regrette le manager aixois, "mais ça vaut la peine de se battre pour ça. Même si ce n'est pas pour nous, les générations suivantes pourront en profiter."


(1) coureur à jour de ses obligations militaires et qui peut justifier d'une activité autre que le cyclisme et d'une immatriculation à la sécurité sociale. Il pouvait courir certaines courses avec les pros.

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