La Grande Interview : Guillaume Martin

Il s'élève, Guillaume Martin. Par le vélo d'abord, par ses résultats et par le dénivelée des cols qui constituent son rayon d'action favori. Depuis trois ans, le Normand est un solide habitué du Top 10 sur les courses par étapes : Tour Alsace, Ronde de l'Isard, Tour de Franche-Comté, Tour du Jura, mais aussi Essor Breton... De quoi en faire un pilier de l'Equipe de France Espoirs dans la montagne et un aspirant professionnel crédible, stagiaire pour la FDJ.fr en fin de saison dernière. "J'ai 22 ans, c'est le bon moment pour passer", confie le Normand du CC Etupes. En 2015, Martin veut ainsi "réorganiser" son calendrier, ses objectifs et sa manière de courir, qui accorderait «plus de place à l'instinct». Mais il croît aussi par la philosophie. Etudiant à Nanterre, il s'intéresse de près à la relation corps-esprit, grâce à Friedrich Nietzsche, le penseur du fameux « Ce qui ne me tue pas me rend plus fort. »

DirectVelo : Commençons notre chemin par l'Himalaya...
Guillaume Martin : Je suis allé au Népal pendant l'inter-saison, avec mon amie. Une bonne façon de ne pas penser au vélo pendant trois semaines. Nous avons passé trois jours à Katmandou, la capitale, puis nous sommes partis en bus dans les montagnes, jusqu'à Langtang, à la frontière tibétaine. Notre premier trek nous a conduits dans une région assez peu touristique, à travers des villages restés authentiques, jusqu'à 2000m d'altitude. Puis nous sommes montés jusqu'à 4500m pour profiter des plus beaux paysages. Pour des « vacances », on peut dire que nous avons pas mal marché !

Le Népal, c'était une quête spirituelle ?
Non. Dans les années 70, les hippies faisaient le voyage à Katmandou, mais ce n'était pas le sens de notre expérience. Il est clair que nous voulions réfléchir un peu à travers notre périple, plutôt que d'aller à la plage. Par exemple, nous avons hésité à prendre un guide de haute montagne. Certes, ça aurait profité à l'économie locale, mais quand on voyait des hommes chargés de 30 kilos de sacs, il n'était pas question de participer à ce système esclavagiste.

« UNE REVANCHE A PRENDRE DANS LES ALPES »

Au terme de cette saison 2015, où iras-tu ?
Je ne le sais pas encore. Je finis mes études à la fac au mois de juin et j'espère clarifier mon avenir professionnel pour 2016. J'ai 22 ans, c'est le bon moment pour passer professionnel...

En somme, la seule région où tu ne peux pas voyager, c'est les Alpes ?
[Rires]. Depuis trois ans, j'ai de bons résultats dans les courses qui empruntent d'autres massifs montagneux comme les Vosges [Martin termine 2e du Tour de Franche-Comté et 4e du Tour Alsace en 2014] et ailleurs [2e du Tour de Côte d'Or]. Mais dans les Alpes, je ne suis pas au meilleur de ma forme. On l'a vu au Tour des Pays de Savoie ou au Tour de l'Avenir. Jusqu'à présent, on a suspecté une forte allergie à une plante qui pousse dans les Alpes, l'ambroisie [lire ici]. Mais, d'après les derniers tests, il pourrait s'agir d'autre chose.

Quel est cet obstacle que tu t'apprêtes à surmonter ?
Peut-être une sensibilité particulière au blé, sans doute un asthme à l'effort. Ou encore le fait que j'atteins ma forme idéale en-dehors des épreuves qui se passent dans les Alpes. Quoi qu'il en soit, je dispose d'un traitement médical approprié et j'ai décidé de réorganiser ma saison.

Qu'est-ce qui va changer à ton programme ?
Au début, je garde la même trame : Circuit des Ardennes, Liège-Bastogne-Liège Espoirs, Tour du Jura. Puis je pourrais participer à la Course de la Paix Espoirs, une nouvelle manche de la Coupe des Nations. Pour me préparer, je ne sais pas si j'irai sur le Rhône-Alpes Isère Tour, la Ronde de l'Isard ou les deux. Ma priorité reste la Course de la Paix. J'avais gagné une étape sur la version Junior de la course. Cette année, je voudrais que le sélectionneur, Pierre-Yves Chatelon, apprécie mon sérieux et mes résultats pour disputer le Tour de l'Avenir. J'ai une petite revanche à prendre sur cette épreuve... Si je suis retenu, je ferai sans doute l'impasse sur le Tour Alsace. Il faut que je marche enfin dans les Alpes ! Il est aussi possible que je revienne sur le Tour des Pays de Savoie, après un petit stage d'acclimatation dans la région.

« PRIVILEGIER LES COUPS D'ECLAT »

En Equipe de France, tu t'étais distingué par ton geste de sacrifice, sur le Championnat du Monde 2011, à Copenhague. En préparant le terrain pour Pierre-Henri Lecuisinier dans le final, tu avais renoncé à tes propres chances. Vainqueur de la course, Lecuisinier avait même déclaré : « On pourrait même couper les manches du maillot [arc-en-ciel] pour les donner à Guillaume... ». Tu gardes un bon souvenir de cette journée (lire ici) ?
Oui, un bon souvenir. Mais combien de gens s'en rappellent encore ? Le vélo est un sport un peu compliqué : il faut à la fois courir en équipe et penser à soi. Ce jour-là, j'ai pensé à l'équipe uniquement. J'aimerais bien que les recruteurs professionnels prennent ce genre d'attitude en compte.

L'an passé, la FDJ t'a testé sur trois épreuves : le Tour du Doubs, le Grand Prix de Wallonie et le Tour de Vendée. Ton objectif consiste à décrocher un nouveau contrat de stagiaire en fin de saison ?
L'objectif, c'est de passer pro en 2016, à la FDJ ou ailleurs. Le stage m'a permis de voir que j'avais ma place sur les courses pros. Je pense que l'équipe avait prévu d'emblée que je n'entrais pas dans les plans pour 2015, sinon elle m'aurait essayé sur des épreuves par étapes montagneuses, qui sont dans ma spécialité, par exemple sur un Tour du Gévaudan. De mon côté, il m'a aussi manqué un petit quelque chose pour convaincre les dirigeants de m'engager. Un autre point sur lequel je dois travailler !

Qu'est-ce qui aurait pu faire la différence ?
Une victoire importante ou un coup d'éclat dans ma saison amateur. Je suis régulier, j'ai de bons résultats, on voit au Challenge BBB-DirectVelo que je suis bien placé [10e au classement Espoirs en 2013 et 2014, NDLR]. Mais, pour attirer l'attention, il vaut mieux être moins régulier et avoir plus de coups d'éclat...

Tu es né grimpeur ?
Ce n'était pas écrit sur le berceau, mais compte-tenu de mon gabarit, je m'oriente vers les terrains pour grimpeur. J'habite entre la Normandie et la Franche-Comté, mais dès que je peux, je m'entraîne dans la montagne. Cette semaine, mon coéquipier Maxime Robert me permet de profiter de sa maison de vacances dans le Lubéron. Nous avons pu monter le Ventoux, quasiment jusqu'au sommet !

« LES LIENS ENTRE LE CORPS ET L'ESPRIT »

Si on te dit : « Je suis un corps de part en part, et rien hors cela ; et l'âme ce n'est qu'un mot pour quelque chose qui appartient au corps » ?
Bon, c'est une citation de [Friederich] Nietzsche. Un philosophe qui m'occupe beaucoup en ce moment, puisque mon mémoire de fin d'études porte sur sa conception du corps, et donc du sport. A son époque, le cyclisme n'était pas encore développé [il meurt en 1900]. Mais il fait référence aux sports, notamment tel qu'il existait dans la Grèce antique avec les Jeux Olympiques.

Traditionnellement, la philosophie occidentale sépare le corps et l'esprit. Toi, tu cherches des points de convergence ?
J'étudie les liens, à travers l’œuvre de Nietzsche. L'héritage judéo-chrétien a créé une césure. La philosophie, par sa volonté de rigueur, s'est toujours placée du côté de la raison et elle a beaucoup dévalué le corps. Je n'ai pas rencontré beaucoup de professeurs ou d'étudiants qui s’intéressaient à la chose sportive. J'ai la chance d'avoir un maître de mémoire sensible à ces questions : il écrit sur le sport et la philosophie et c'est même un cycliste pratiquant.

Comment réconcilies-tu sport et esprit dans ta vie de tous les jours ?
En philo, je pense le sport. Je ne suis pas un pur esprit, je suis aussi un corps. Et dans le sport, j'essaie d'avoir une approche réfléchie de ce que je fais. Contrairement à ce que dit Coluche, le sport n'empêche pas de penser !

« UNE VOLONTE DE PUISSANCE AUTHENTIQUE »

A quoi ressemblerait un cycliste nietzschéen ?
C'est compliqué de résumer sans tomber dans la caricature. Un cycliste nietzschéen, ce serait quelqu'un qui désire croître avec une certaine hauteur, une certaine noblesse, en utilisant la compétition comme moteur, et qui dans le même temps garde une distance.

La philo fait appel au temps long, le cyclisme se joue à la seconde près. Est-ce que les deux disciplines sont compatibles ?
L'alchimie est difficile à trouver. La part de réflexion est nécessaire dans le sport. Mais je dois bien reconnaître que, parfois, j'analyse un peu trop les stratégies de mes adversaires en course. L'idéal, ce serait de planifier le vélo en utilisant le temps long mais en laissant s'immiscer le petit grain de folie qui fait la différence...

Nietzsche utilise des concepts intéressants pour un sportif, par exemple le « surhumain ». Comment le définirais-tu ?
Il y a plusieurs définitions et interprétations possibles, parce que Nietzsche n'a pas voulu trancher.
Pour moi, le surhumain est un être doté d'une volonté de puissance forte et authentique. Le dopage est une façon de dévoyer le surhumain : on crée un surhumain dominateur de tout, une entité factice et artificielle. Au contraire, l'entraînement est une forme « authentique » de cette volonté de s'élever. Il y a cette citation célèbre de Nietzsche : « Ce qui ne me tue pas me rend plus fort. » On croirait l'entendre parler d'entraînement : le mécanisme de surcompensation entraîne de la fatigue et c'est ainsi que l'on s'améliore.

L’œuvre la plus célèbre de Nietzsche, c'est Ainsi parlait Zarathoustra, l'histoire d'un homme qui reçoit des enseignements philosophiques en parcourant la montagne. Une métaphore idéale pour un grimpeur ?
[Rires]. Voilà, il ne cesse de monter et de descendre dans la montagne... Oui, c'est un peu un grimpeur !

Crédit photo : www.velofotopro.com
 

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