La Grande Interview : Nico Denz

Une saison chenille et papillon attend Nico Denz. D'abord un statut amateur avec Chambéry Cyclisme Formation pendant la première moitié de l'année, puis la transformation à compter du 1er août : un contrat de néo-professionnel chez AG2R La Mondiale (lire ici). « J'ai encore quelques lacunes [à combler] », explique le vainqueur d'une manche de la Coupe de France DN1, le Trophée des Champions 2014 (lire ici). D'où ses derniers objectifs à remplir dans les rangs amateurs : un baptême du feu en Coupe des Nations Espoirs, toujours plus de victoires à son palmarès... Pour attaquer bille en tête, le coureur allemand s'est entraîné cet hiver sur les routes de Majorque, avec son nouveau coéquipier néerlandais Jaap de Jong (lire ici). A bientôt 21 ans, Denz considère que « passer pro est seulement un palier et non pas une fin ». Son étrange devise (« Le meilleur d'aujourd'hui est le pire de demain »), il la met en pratique sur le vélo et il en donne le sens profond à DirectVelo.

DirectVelo : Comme tu as un contrat professionnel en poche pour le 1er août, tu peux passer les sept premiers mois de la saison en vacances ?
Nico Denz : Non ! Je veux faire une grosse demi-saison chez les amateurs avant de rejoindre AG2R La Mondiale. Il faut montrer que je mérite ce pré-contrat. A priori, je vais débuter mon calendrier au Tour d'Ardèche Méridionale et j'espère déjà lever les bras comme l'année dernière (lire ici) – du moins faire un bon résultat. J'espère aider des mecs de Chambéry CF à gagner, pour qu'ils me suivent chez les pros. Mais il me faut aussi quelques résultats personnels... Dans ma tête, je suis encore coureur amateur et je veux me donner à fond dans cette catégorie. Je suis aussi motivé qu'un coureur qui n'a pas encore la certitude de passer pro. La seule différence, c'est que je n'ai plus de pression.

Et puis tu dois continuer à te préparer physiquement en vue d'intégrer le peloton professionnel ?
Exactement. Mon objectif n'est pas de passer pro mais de briller chez les pros. Je n'aurais pas été prêt si j'avais débuté au 1er janvier 2015. Le milieu d'année est le moment parfait pour une transition. J'ai encore quelques lacunes au niveau international, je ne suis encore pas assez régulier. Alors, je continue de me préparer depuis cet hiver, avec mes entraîneurs, Vincent Terrier et Loïc Varnet. On augmente le volume de travail petit à petit. Pas question d'ajouter 5000 km au programme simplement parce que je serai bientôt professionnel.

« IL FAUT TOUJOURS AVANCER »

Tu as pour devise « Le meilleur d'aujourd'hui est le pire de demain ». Ça veut dire quoi précisément ?
Qu'il faut toujours avancer. Ce que tu fais de bien un jour ne peut pas être reproduit tel quel par la suite. Il faut améliorer ses techniques, son travail, sa volonté...

Pourquoi as-tu choisi de quitter l'Allemagne et de courir à Chambéry en 2013 ?
Justement parce que je cherchais la meilleure option pour progresser. En Allemagne, il y avait peu d'opportunités. J'avais des contacts avec au moins deux équipes Continentales, le Team Bergstrasse et Rad-rose.net. En France, quand tu signes dans une Continentale, tu es payé, tu cours avec les pros, bref tu es pro. En Allemagne, c'est différent : tu es amateur, tu cours essentiellement dans ton pays. Le niveau est moins relevé que sur la Coupe de France DN1... En plus, j'avais un problème géographique. Certaines équipes Continentales comme LKT-Brandenburg ou E-on, que je trouvais intéressantes, étaient basées à l'Est de l'Allemagne, à 10h de voiture. Alors que moi, j'habite la Forêt Noire.

Et c'est sympa de vivre dans un gâteau ?
Ma mère réussit très bien les forêts noires mais je ne suis pas trop fan, à cause de la crème... Blague à part, c'est une bonne région pour rouler, avec de belles bosses, dans le sud-ouest de l'Allemagne. Nous sommes à côté de la frontière suisse, à 20 km du circuit du GP de Gippingen. Donc, Chambéry, c'était plus proche de chez moi.

« AVANT 2013, JE NE CONNAISSAIS RIEN AU VELO ! »

Pourquoi dis-tu qu'il s'agissait de la meilleure option pour progresser ?
J'ai tout appris à Chambéry. Avant 2013, je peux dire que je ne connaissais rien au vélo ! J'étais encore un peu gros et lorsque je roulais, je faisais des bornes à faible allure, point ! Le travail au seuil, la force, la PMA, tout ça ne me disait rien. Chambéry m'a donné un plan d'entraînement et un programme de courses solides, un accompagnement sur la diététique, un bon matériel, un bon état d'esprit... Le résultat est très probant.

C'est quoi le résultat de ton apprentissage au Chambéry CF ?
Un contrat professionnel en 2015. En Allemagne, nous ne sommes que deux de ma génération dans ce cas-là. Il y a aussi Phil Bauhaus, un bon pistard, qui a signé pour Bora-Argon 18, en Pro Conti.

Ton admission au club s'est-elle jouée sur le CV ?
Pas seulement. J'ai été bien conseillé par mon entraîneur en Allemagne, qui a transmis ma candidature dans l'été 2012. J'ai rencontré Loïc Varnet au Championnat du Monde puis j'ai fait une visite sur place avec mes parents. En moins de quinze jours, il a fallu que je me décide : est-ce que j'allais courir pour ce club ? Le choix était évident. J'ai pris une décision rapide mais lourde de conséquences.

« J'AI BACHE L'ALLEMAGNE EN DEUX SEMAINES ! »

Vivre et travailler dans un autre pays, ce n'est jamais si simple ?
En effet. Je ne parlais pas un mot de français à l'époque (je me suis rattrapé ensuite en prenant des cours et en passant du temps avec mes coéquipiers). Par ailleurs, j'étais déjà inscrit à l'université [en ingénierie, NDLR], dans une section avec horaires aménagés pour les sportifs. J'ai présenté ma démission. En deux semaines, j'avais « bâché » l'Allemagne ! Aujourd'hui encore, je ne sais pas où j'habiterai quand je serai professionnel : la région de Chambéry a des avantages, mais en Allemagne j'ai ma famille, mes amis, ma copine.

Pendant tes deux premières saisons amateurs en France, tu as dû renoncer ou presque aux sélections dans ton équipe nationale. La fédération t'avait oublié ?
Oui, un peu [rires]. Rad-rose.net, avec qui j'avais contact, est l'équipe officielle de la Fédération allemande, donc mon choix de courir en France n'a pas forcément été très bien compris. Par ailleurs, je n'étais pas le meilleur coureur de ma génération. Il y en avait toujours un devant moi : par exemple Silvio Herklotz [vainqueur du Tour Alsace 2013 – lire ici] ou Maximilian Schachmann [actuel membre de AWT-GreenWay et 5e des Championnats du Monde Espoirs du contre-la-montre en 2014, NDLR]. Donc, j'ai été remplaçant en Coupe des Nations et aux Championnats du Monde (Il a disputé le Championnat d'Europe 2014, NDLR). Mais on m'a sélectionné en 2013 pour deux belles courses, le Grand Prix de Francfort et le Tour de Berlin. Courir sous le même maillot que Voigt, Wegmann ou Knees, c'était une superbe expérience !

En 2015, tu seras en Equipe d'Allemagne Espoirs ?
Oui. Je devrais disputer les premières manches de la Coupe des Nations ainsi que le Triptyque des Monts et Châteaux. Et j'espère être retenu pour les Championnats d'Europe, mon dernier gros objectif chez les amateurs.

Les trois premières épreuves de la Coupe des Nations se déroulent dans le vent et sur des pavés : Tour des Flandres, ZLM Tour, Côte Picarde (lire ici). Tu te sens des affinités avec ce terrain ?
Pourquoi pas ? J'ai eu deux expériences malheureuses sur Paris-Roubaix Espoirs : je me casse la clavicule en 2013, j'ai un souci mécanique et je tombe sur le dos en 2014. Mais j'aime bien rouler sur les pavés. On a emprunté un secteur sur le Grand Prix des Hauts de France et j'ai aimé cette sensation (lire ici).

« EN ALLEMAGNE, LE CYCLISME EST TOMBE TRES BAS »

Dans ton club, tu es considéré comme « baroudeur ». Cette définition te convient ?
A l'heure actuelle, c'est vrai, je suis « baroudeur ». Je suis complet mais il y aura toujours meilleur sprinter, meilleur grimpeur ou meilleur coureur de chrono que moi. J'aime me placer dans les endroits stratégiques et préparer mes attaques, pas n'importe où, plutôt dans le final. Chez les pros, je ne sais pas si je conserverai ces caractéristiques car tout peut si vite changer...

Tu as commencé le cyclisme il y a dix ans, alors que le vélo était au zénith en Allemagne. Comment l'idée t'a-t-elle traversé l'esprit ?
En regardant le Tour de France. Mon idole n'était pas Jan Ullrich mais plutôt Lance Armstrong. Je voyais ce gars qui gagnait le Tour pour la septième fois. Naturellement, on aime surtout les vainqueurs. Bon, j'ai un peu changé d'avis aujourd'hui (sourires). J'ai pris une licence au club de la ville, le WBC Waldshut-Tiengen, et je me suis mis à la compétition au printemps 2006.

C'est à partir de l'été 2006, avec l'Affaire Puerto, que le cyclisme allemand va plonger : Ullrich à la retraite, fin de l'équipe T-Mobile, Tour d'Allemagne supprimé, télé publique qui se retire du Tour de France en 2007 (elle fera son retour en 2015). Ce déclin était-il palpable pour un jeune comme toi ?
Oui. C'est vrai que le cyclisme est tombé très bas. A l'école, quand je disais que je faisais du vélo, on me répondait « EPO ! ». J'avais beau dire que je ne me dopais pas, c'était pareil. Sur les courses, il n'y avait plus de spectateurs, à l'exception de nos parents. Et les sponsors étaient difficiles à trouver. Heureusement que deux entreprises m'ont apporté leur soutien ces dernières années.

Qu'est-ce qui t'a donné envie de t'accrocher ?
Ma passion du vélo. Quand je pars rouler, j'oublie tout le stress du quotidien. Je me plais dans la douleur et je peux tout donner jusqu'à tomber de ma machine. Dans les bosses, je suis heureux ; dans les descentes, je me régale avec la sensation de vitesse... Le vélo m'a aidé à me canaliser. Même si je me suis amélioré depuis, j'ai toujours été hyperactif. Bouger, c'est mon truc !

Crédit photo : Elisa Haumesser - Cycling Pictures
 

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