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Suite et fin de notre entretien avec Lex Nederlof, légende du cyclisme, toujours en activité après trois décennies passées dans les pelotons. De Laurent Fignon aux jeunes grimpeurs iraniens de l'UCI Asia Tour, le roi des aventuriers a traversé les pays et les âges. Néerlandais de passeport, résident thaïlandais, il a couru dans plus de 70 pays et il bat désormais pavillon de Brunei (une île au large de la Malaisie), comme membre de l'équipe CCN. Pour l'approcher, il faut partager son goût du voyage. Ça tombe bien : Pierre Moncorgé, 22 ans, coureur pour le Team Firefighters-Upsala en 2014 et correspondant pour DirectVelo.com, est l'un des jeunes héritiers de Nederlof. Interview en novembre dernier sur une étape du Tour du Lac Poyang, en Chine.
(Lire la première partie de notre entretien ici).

DirectVelo : Depuis trente ans, quels sont les coureurs que tu as côtoyés et qui t'ont le plus impressionné ?
Lex Nederlof : Hmm [il hésite]. Quand j´ai fait le Tour d´Irlande à la fin des années 80, il y avait Stephen Roche et Sean Kelly, c´était juste incroyable. Ils étaient ultra-populaires et la foule était immense. C´était l´époque où Roche avait gagné le Giro, le Tour et les Mondiaux la même saison [1987]. Mais j'en ai vu beaucoup d'autres. Par exemple Laurent Fignon et Charly Mottet pendant le Tour du Luxembourg. Je courais cette année-là avec la sélection nationale... du Luxembourg.

Il faut dire qu'après les Pays-Bas, c'est presque ton deuxième pays ?
Presque. J'ai couru vingt fois la Flèche du Sud : j'ai remporté le classement général [en 1993] et des étapes. Aujourd'hui, je tiens encore à y participer chaque année avec mes jeunes coéquipiers. C'est là qu'ils apprennent à me respecter ! [rires]

VIEILLE ECOLE SUR LE VELO

Quelles sont tes motivations pour continuer, à 48 ans ?
Aider les autres coureurs, transmettre mon expérience... Je suis autant heureux de voir un coéquipier gagner !  Je pense avoir toujours le niveau pour suivre, et je n'ai pas envie d´être assis dans la voiture en tant que directeur sportif... J´ai toujours la force d´aider mes coéquipiers sur le vélo, d´une façon ou l'autre. Et quand tu es au volant, il y a bien plus de distance, ce n´est pas comme être au milieu du peloton.

Tu es donc capitaine de route ?
Oui. Sur le vélo, je suis « vieille école », j´ai appris le métier dans les années 80, un c'était un vélo offensif. Je ne veux pas voir mon équipe végéter dans le peloton : ils doivent faire la course ! Si tu n´essaies jamais, tu n´as jamais aucune chance d'obtenir quoi que ce soit. Mais les courses sont trop contrôlées désormais, surtout au plus haut niveau professionnel. C´est aussi le problème quand les Iraniens débarquent sur les épreuves de l'Asia Tour : ils contrôlent et une fois qu'on est dans les ascensions, ils s'en vont. C'est assez fou...

En plus d'être coureur, tu diriges l'équipe CCN basée à Brunei ?
En effet, j´organise toute la structure – à titre bénévole. Officiellement, je ne suis pas le manager car l'UCI interdit qu´un coureur occupe cette fonction.

C'est facile de trouver des sponsors en Asie ?
C´est fluctuant : tu peux voir des sponsors s´investir puis disparaître brutalement deux ans plus tard. Je ne demande pas énormément d'argent, juste ce dont j´ai besoin. Je ne veux pas gâter mes coureurs. Je préfère donner l´opportunité à des coureurs de se montrer avec un bon calendrier de course, en couvrant leurs frais. Mais il n'est pas question de leur donner les choses sur un plateau. Ce serait les tromper, car le cyclisme n´est pas un sport facile, surtout quand il s´agit de passer professionnel. Sur ce point également, je suis un peu de la veille école.

C´est ta philosophie : pour obtenir plus il faut déjà le mériter…
Tout à fait. C'est ce qu'on m'a enseigné : « Ne te plains pas, pédale ! » Quand les résultats arrivent, le reste va suivre. Je crois que c´est le bon esprit à avoir.

« EN FREQUENTANT DE JEUNES COUREURS, J'AI LA POSSIBILITE DE RESTER JEUNE »

L'an passé, à 47 ans, tu es parvenu à remporter une épreuve UCI !
Oui, chaque année, j'arrive à gagner. 2014 est une exception : j'ai fini 2e au Tour de Siak, après 80 km d´échappée, je me suis fait battre au sprint par un jeune, mais ça m'est égal… Ils étaient deux avec moi, de 22 et 24 ans : si on les met ensemble, ils n'égalent pas mon âge ! (sourire) Mais en fréquentant de jeunes coureurs, j'ai la possibilité de rester jeune. Quand je suis sur mon vélo avec un dossard dans le dos, je n´ai pas l´impression d´avoir 48 ans. Parfois, c´est dur, mais quand j´ai mal, il y en a d'autres qui souffrent aussi !

A quel moment de ta carrière as-tu rencontré le plus de succès ?
J´ai toujours été régulier. Dans mes jeunes années, c´était un peu un problème, j'étais toujours présent mais je n´avais pas de vrai pic de résultat. C´est à la fois un avantage et un inconvénient.

Cette régularité vient-elle du fait que tu roules toute l'année ?
Oui, mais j'adore ça. Rouler tous les jours ou presque, c'est d'autant plus nécessaire que je dois maintenir une activité constante. Sinon, je perds vite mon niveau et c´est dur de revenir. C´est ce que j´ai constaté en vieillissant... Bien sur il y a des jours où tu ne veux pas aller t´entraîner, et dans ce cas, je n´y vais pas. Tu dois aimer ce que tu fais et en profiter. C´est ma philosophie. Si tu ne prends plus de plaisir sur le vélo, tu dois arrêter. Tu pratiques ton sport pour toi, pas pour quelqu´un d´autre.

« PLUS PERSONNE NE FREINE ! »

Ton corps n'est pas trop marqué par de mauvaises chutes ?
Globalement, j´ai été assez chanceux, je me suis cassé une fois la clavicule, et c´est tout. Mon plus gros problème a eu lieu en Italie, à la Settimana Bergamasca. J´ai quand même fini l´étape mais à l'arrivée, les médecins m´ont dit : « Tu dois aller à l'hôpital ». Moi, je ne comprenais pas. J'ai demandé : « Pourquoi !? ». Ils m'ont montré la plaie : « Vous voyez l´os là ? ». Effectivement, j´avais des blessures profondes à la hanche. Je suis allé aux urgences, ils m´ont fait 25 points de suture, ça a pris trois heures pour tout nettoyer la plaie. Je voulais repartir le lendemain mais les docteurs n´ont pas voulu ! (rires).

En début de saison, tu allais disputer les sprints massifs du Tour du Langkawi face aux coureurs de Belkin ou Astana. Beaucoup de coureurs âgés sont prudents et ne veulent pas faire les sprints. Toi, tu n´as pas peur ?
Non. Ces courses sont bien contrôlées. Ils y avait des chutes chaque jour dans les sprints massifs, mais toujours derrière moi… Par contre, j'ai remarqué que ces dernières années beaucoup de coureurs prennent davantage de risques. Plus personne ne freine ! Hier [sur le Tour du Lac Poyang], un gars a voulu absolument passer entre deux coureurs, alors qu'il n´y avait pas la place. Il n´est pas tombé mais il a fait chuter un coureur derrière lui… Ce genre de comportement m'agace. Mais je ne prends pas de risques. Je contourne les chutes ! (rires)

Pourquoi cette augmentation du danger ?
Tout le monde veut faire un résultat. Je pense que les coureurs raisonnent plus à titre personnel qu´avant, chacun veut décrocher un accessit. Il faut trouver un contrat pour l´année suivante, il y a beaucoup de demande, mais peu d´offre, peu de place dans les équipes.

« AVANT TU MANGEAIS SEULEMENT LE RIZ POUR NE PAS TOMBER MALADE »

Sur les plus de 30 ans où tu as couru, peux-tu identifier une période au cours de laquelle le dopage sévissait le plus ? On parle beaucoup des années 90...
Avec le recul, il est facile de voir des « foyers » de dopage à certaines époques. Par exemple, j´ai fait le Tour des Régions Italiennes en 1989 avec de bons résultats. Je suis revenu sur la même course quatre ans plus tard et deux équipes italiennes ont tout écrasé, c´était de vraies motos ! J'avais une très bonne équipe, on faisait de bons résultats, mais quand on allait en Espagne ou en Italie, c´était un autre monde... Chaque jour il y avait huit Italiens dans le Top 10 et deux coureurs issus de l'Allemagne de l´Est. J´ai été choqué. Mais je me suis dit : « Pas question d'entrer dans ce système !». A mon avis, il faudrait suspendre les tricheurs à vie.

Tu gardes toujours la passion du cyclisme et des voyages ?
Oui, je n'ai rien perdu !

D'autant que ces épreuves « exotiques » sont plus structurées que lorsque tu les as découvertes, dans les années 90 ?
Ce n'est pas forcément mieux qu'avant, c'est différent. Maintenant, ces épreuves sont bien organisées. Pourtant, les coureurs se plaignent toujours. Ils oublient qu'avant, dans le genre de pays où l'on court, tu étais heureux si tu avais un lit et de quoi manger. La plupart du temps tu regardais la nourriture et tu pensais « OK, je vais juste manger le riz, pour ne pas tomber malade ». Les gens ne se rendent pas compte à quel point ils ont de la chance. Regarde : tu ne peux plus te passer de ton smartphone maintenant. Avant, quand on se trouvait à l'autre bout du monde, on envoyait simplement une carte postale ou alors on passait un appel d'une minute maximum, car le téléphone coûtait très cher.

Crédit photo : DR
 

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