Lex Nederlof, rencontre avec le père des baroudeurs

Un mythe pour tous ceux qui se régalent du cyclisme aux quatre coins du monde. Le Néerlandais Lex Nederlof, manager (officieux) et encore coureur en activité au CCN Cycling Team, une équipe basée à Brunei, en Asie du Sud Est, a ouvert la voie aux Européens qui rêvent de compétitions « exotiques ». A 48 ans, il est le vétéran des équipes Continentales UCI, avec plus de 70 pays visités et des milliers de kilomètres sur les cinq continents... Le tout étalé pendant trois décennies. Pierre Moncorgé, 22 ans, est l'un de ses « héritiers » : Lyonnais établi en Suède, coureur en 2014 dans l'équipe Firefighters-Upsala CK et correspondant pour DirectVelo.com, c'est lui qui a mené l'entretien début novembre lors d'une épreuve en Chine, le Tour du Lac Poyang, pour en savoir plus sur le père de tous les coureurs-voyageurs.

DirectVelo : Tu as commencé le cyclisme à 13 ans et tu t'es d'abord cantonné aux épreuves plates des Pays-Bas, en particulier les classiques. Quand t'es-tu offert ta première escapade en-dehors de ton pays ?
Lex Nederlof : En 1984, sur une épreuve de quatre jours en Allemagne de l´Ouest. J'avais 19 ans, je sortais à peine des rangs Juniors.Nous avions affaire à des coureurs très costauds venus de l´autre côté du rideau de fer. Je me souviens d'un critérium organisé autour d'une place : cinq coureurs de l´URSS menaient la course comme des motos ! Il y avait des primes de 100 Deutsch Marks, ce qui était beaucoup pour l´époque.

« SOUS LE MEME MAILLOT QUE ROLF GOLZ ET EDWIG VAN HOOYDONCK »

Et donc, tu as senti que tu aimais le vélo « baroudeur » ?
Malgré la difficulté, oui. Je me suis dit : « Ouah, c´est vraiment ce que j´aime faire ! Je suis fait pour autre chose que des courses toutes plates aux Pays-Bas ! ». Pour ma seconde année amateur, je cherchais de nouveaux défis. A la mi-saison, j´ai rejoint une équipe au Luxembourg, et j´ai commencé à beaucoup courir en Belgique, en France et en Allemagne. Entre 1985 et 1988, j´habitais dans le Nord de la France. Fin 1988, je dispute le Tour d'Irlande avec une équipe professionnelle. J'étais stagiaire avant l'heure : en fait, ce statut n'existait pas. Le temps d'une course, je me suis retrouvé sous le même maillot Superconfex que Rolf Gölz et Edwig Van Hooydonck.

Pourquoi n'es-tu pas passé professionnel à cette époque ?
A cause de la chute du rideau de fer : beaucoup de coureurs sont arrivés sur le marché, tchèques, russes, polonais... Au même moment, il y avait aussi un gros contingent de bons coureurs néerlandais. Alors, j´ai rejoint la meilleure équipe amateur des Pays-Bas. Cette saison j´ai enchaîné les courses par étapes : Tour de Normandie, Circuit de la Sarthe... Au Giro del Reggioni, j'ai porté le maillot de leader, ce qui signifiait normalement l´assurance d´obtenir un contrat pro. Mais je me suis finalement fait piéger bêtement, sur une étape plate. Au moins, j´ai vu que j´avais le niveau pour passer pro.

Tu as été contraint à rester sous statut amateur ?
J'ai continué à jouer de malchance par la suite. En 1990, j'étais assuré de terminer 2e au classement général de la Settimana Bergamasca, mais je suis tombé. Sans cela, j'étais sûr à 100% d'obtenir un contrat ! J´étais vraiment déçu, mais j´ai continué ma carrière sur les courses internationales. Entre 1993 et 1995, j'ai recommencé à avoir de bons résultats : victoire à la Flèche du Sud, sur des grosses classiques au Pays-Bas, sur le classement par points du Tour de Suède...

« ENTRE MES DEUX VIES, J'AI CHOISI DE NE PAS CHOISIR »

En somme, tu courais toute la saison toujours avec des professionnels sans te considérer comme tel ?
Je ne me voyais pas comme un pro ! D'abord parce que j'évoluais dans un club amateur, ensuite parce que j'étais davantage préoccupé par mes études d'économie et mon emploi à mi-temps. J'allais sur des courses « exotiques » pendant mes congés. Donc, j'étais cycliste à mi-temps. Après mon travail, je m´entraînais 2-3h avant la tombée de la nuit. Comme les résultats sportifs étaient au rendez-vous, je n'estimais pas que mon boulot était un frein. Et, bien sûr, pas question d'arrêter le vélo ! Entre mes deux vies, j'ai choisi de ne pas choisir.

Pourtant, tu rêvais d'horizons de plus en plus lointains ?
Oui, je ne voulais plus seulement courir en Europe. A fin de l´année 1990, j´ai rencontré un coureur néo-zélandais, qui m'a aidé à élargir ma vision du cyclisme. Cet ami m'a permis de disputer une épreuve de fin de saison en Nouvelle-Zélande, entre Wellington et Auckland. C'est justement à cette époque que j'ai compris que je ne passerais pas professionnel. Donc, ma voie était toute tracée : le cyclisme, pour le plaisir, sur des épreuves aux quatre coins du monde ! A partir de 2000, j'ai pu souvent voyager avec le Team Marco Polo : au Sri Lanka, au Tour du Maroc, au Tour du Pérou, en Chine... C'était l´aventure, parfois tu ne savais pas où tu dormais la nuit suivante…

A un moment donné, ta « double vie » aux Pays-Bas ne cadre plus avec tes rêves de voyages...
Un jour, j'ai ouvert les yeux. Je suis resté bloqué dans mon travail de bureau pendant 15 ans. En 2004, j'en ai eu assez : j´étais divorcé, sans enfant, donc j´étais libre de faire mon sac et de partir.  J'ai atterri en Thaïlande, où je vis encore aujourd'hui. Aujourd'hui, j'ai un petit business avec une marque de textile dans le cyclisme. Mais c´est juste un petit truc pour m´occuper et payer mes factures. J´ai récemment acheté une parcelle de terrain pour construire ma maison. Mais je suis trop occupé avec le vélo pour lancer les travaux !

Donc, tu vis dans une valise ?
Oui, en quelque sorte. J´ai ma base à Chang Mai. J´adore être là-bas, c´est super pour rouler. Quand je suis arrivé, il n´y avait pas de voitures, juste des deux-roues. Malheureusement, le trafic commence à se développer mais, en échange, la qualité des routes progresse.

PLUS DE 70 PAYS AU COMPTEUR

Depuis l'Asie du Sud-Est, tu as construit ton propre programme de courses ?
Oui, je rejoignais des équipes mixtes ou alors je montais des équipes moi-même avec des coureurs venus d'horizons divers. C´était un système assez populaire à l´époque car il y avait toujours des coureurs qui voulaient bouger. Donc je me suis forgé un bon réseau de coureurs, et un bon programme. De mon côté, j'étais libre et je profitais de la vie. Il fallait juste payer le billet d´avion. Parfois, on avait la chance de recevoir un peu d'argent de la part de l´organisateur ou de récolter des bonnes primes. Le vélo m´a ainsi conduit un peu partout dans le monde.

Ce qui fait de toi le probable recordman de pays visités en compétitions ?
J´en suis à plus de 70 ! En comptant des pays qui n´existent plus, comme la Tchécoslovaquie ou la RDA.

Il te reste encore des pays à découvrir sur le vélo ?
Oui, mais j´essaie surtout de construire un bon calendrier, en prenant en considération certains vides au programme de l'UCI Asia Tour. Par exemple, il faut parfois que j'aille en Europe si je ne veux pas rester un mois sans courir. Le plus difficile, c'est de combiner les déplacements : avant le Tour du Lac Poyang, j´étais au Kazakhstan pour le Tour d´Almaty et je vais partir sur une course en Indonésie…

Demain, suite et fin de notre entretien avec Lex Nederlof. Il sera question de sa longévité, de l'évolution des épreuves dites « exotiques » et de sa philosophie du vélo.

Crédit photo : Lex Nederlof, avec ses coéquipiers du CCN Cycling Team (crédit : CCN)

 

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