La Grande Interview : Ludovic Turpin

On a retrouvé Ludovic Turpin. Après douze saisons chez les professionnels, cinq participations au Tour de France et un succès d'étape sur le Dauphiné Libéré en 2006, le coureur mayennais a décidé de courir chez les amateurs en Guadeloupe. Il a même décroché le tour de l'île, en 2012, une épreuve UCI qui met la population locale en ébullition. "Cette victoire m'a permis de bien m'intégrer", dit-il à DirectVelo.com. Le vélo antillais lui apporte, plutôt sur le tard, reconnaissance et "plaisir". A 39 ans, Ludovic Turpin n'a pas dit son dernier mot dans les pelotons. Il espère encore faire briller les couleurs du VC Grand-case sur l'édition 2014 du Tour de Guadeloupe, qui s'achèvera ce dimanche dans des nuées de spectateurs et sous le vrombissement des hélicos. Il lui sera temps ensuite de reprendre son quotidien, fait de cyclisme, de sorties avec ses amis et sa famille. Et d'inévitables excursions à la plage.

DirectVelo : Comment es-tu passé de coureur professionnel en Europe à coureur amateur en Guadeloupe ?
Ludovic Turpin : J’ai terminé ma carrière professionnelle complètement frustré. En 2011, chez Saur-Sojasun, j'ai enchaîné les chutes. Je me suis cassé la clavicule au mois de juillet puis je me suis blessé à un genou. En fin de saison, j’avais encore envie de faire du vélo, je ne voulais pas tout arrêter. Je connaissais la Guadeloupe pour y être déjà allé en vacances et parce qu'une de mes cousines y habitait. En 2006, suite à une fracture du col du fémur, j’en avais profité pour faire ma rééducation sur l'île. C'est à cette occasion que j’ai découvert à quel point le cyclisme était un sport très populaire !

« ICI LES COUREURS ONT DU MAL A S'ORGANISER »

Donc, fin 2011, tu décides de partir en Guadeloupe ?
J’ai proposé à ma femme de vivre une expérience d'un an, à la fois pour changer d’air et découvrir une nouvelle région. Rien ne nous retenait en métropole... J’ai contacté Rony Martias, qui était alors mon coéquipier chez Saur-Sojasun. Comme il connaissait très bien le coin, il m’a permis de prendre contact avec le club de Goyave. Avec ma famille, ma femme et mes enfants, on s’est très bien acclimaté à la Guadeloupe. Dans l’ensemble je pense avoir été bien intégré par les coureurs locaux. La seule difficulté pour moi, ce fut l'adaptation au style de course.

Qu’est-ce qui diffère exactement entre le cyclisme en Guadeloupe et en métropole ?
Ici, contrairement à ce que j’avais rencontré chez les professionnels, les coureurs ont du mal à s’organiser. Par exemple, ils n’ont pas l’habitude de rouler pour une éventuelle arrivée massive. Pourtant, il existe de très bons sprinteurs guadeloupéens mais ces derniers ne peuvent pas vraiment progresser dans ce domaine… Les courses sont incontrôlables, les attaques partent dans tous les sens.

Avais-tu la pancarte à ton arrivée ?
(Il rit). C’est vrai que j’étais très surveillé par les autres coureurs. Dans les courses difficiles, j’avais encore la possibilité de faire la différence, mais pas sur les épreuves assez plates. Chez les professionnels, je n’avais pas vraiment la pancarte (rires). Je me contentais de suivre comme je pouvais et je passais quelquefois à l’attaque. Je subissais. Alors qu’à mon arrivée en Guadeloupe, c’était l’inverse.

« ON EST ARRIVE COMME DES VACANCIERS »

Pourquoi as-tu rempilé en 2013 et en 2014 ?
Parce que tout se passe bien ! C'est vrai qu'au départ, on souhaitait revenir en métropole au bout d'un an. D’ailleurs, on est arrivé en Guadeloupe avec seulement nos valises, comme des vacanciers (rires). Et maintenant, j’en suis à ma troisième saison ici... En fait, dès la première année, j’ai remporté beaucoup de courses et notamment le Tour de la Guadeloupe. Ces victoires m’ont donné envie de prolonger, avec une licence au Vélo Club Grand-Case.

Il semble aussi que tu prennes encore du plaisir sur le vélo.
Oui, et sur ce point, je me surprends moi-même. Normalement, en douze années chez les professionnels, on pense avoir fait le tour de la question. Mais j’arrive encore à être passionné...

Qu’est-ce qui te motive à continuer ?
Je me pose la question. Disons peut-être l’envie de gagner. C’est quelque chose qui me manquait chez les professionnels ! (rires) Ici, j’ai repris goût à la victoire. En plus, j’ai remporté des courses dès mon arrivée. Même si ce n’est pas le même niveau, quand on gagne on en veut toujours plus. J’ai gardé l’esprit compétitif.

LES KILOMETRES SONT PLUS LONGS EN GUADELOUPE

Tu aurais pu poursuivre chez les amateurs en métropole ?
Quand j’étais chez Saur-Sojasun, je pensais encore pouvoir continuer chez les professionnels. Les dirigeants m’ont laissé espérer jusqu’au mois de novembre. J'ai appris seulement au dernier moment que je n'étais pas prolongé. Il ne me restait plus beaucoup de choix. Dans ma tête, c’était simple. Soit je continuais le cyclisme dans un autre contexte, comme aux Antilles, soit j’arrêtais complètement. Je ne me voyais pas du tout poursuivre dans un club amateur en métropole.

Depuis que tu as quitté les rangs professionnels, as-tu changé tes habitudes d’entraînement ?
Je m’entraîne entre cinq et six jours par semaine. De temps en temps, il m’arrive d’aller à la plage. Je limite aussi mes sorties à quatre heures, parce que les courses ne dépassent pas souvent les 150 kilomètres. Qui plus est, les kilomètres en métropole et les kilomètres en Guadeloupe ne sont pas les mêmes !

Comment donc ?
Ici, il y a beaucoup de chaleur et beaucoup d’humidité. On transpire beaucoup plus en Guadeloupe, donc il faut bien penser à récupérer. J’aime bien aller dans le Col des Mamelles, c’est le seul col du coin.

Physiquement, tu te sens toujours aussi bien ?
Je suis moins bien qu’il y a deux ans lors de ma victoire sur le Tour de Guadeloupe, ni même que l’an dernier. Je pense que j’ai accumulé beaucoup de fatigue et je commence à le sentir.

RECONNU DANS LA RUE

Cette victoire en 2012, que représente-t-elle pour toi ?
Au début, je n’ai pas mesuré son importance. Vu que j’étais un ancien professionnel, je considérais tout à fait normal que je m’impose. Mais par la suite je me suis rendu compte que c’était exceptionnel, surtout pour un club local ! Ma popularité a bien évidemment augmenté. En métropole, on ne me reconnaissait pas dans les rues, alors qu’ici, beaucoup de gens me connaissent !

C'est parce que le cyclisme est le sport numéro 1 dans l'île ?
La ferveur est énorme. On trouve partout des médias qui font des reportages télé ou des directs à la radio. Y-compris sur les petites courses ! Ici, les gens vivent pour le vélo. A longueur d'année, ils ne parlent que du Tour de Guadeloupe. D’ailleurs ils l’appellent « le Tour ». Au début je pensais qu’ils évoquaient le Tour de France ! Un jour je suis revenu à Chambéry pour des vacances. Et alors que je me promenais avec ma famille au bord du lac du Bourget à Aix-les-Bains, j’ai rencontré des Guadeloupéens. Ils m’ont arrêté car ils m’avaient reconnu...

Est-ce que tu gagnes bien ta vie en courant en Guadeloupe ?
Disons que je gagne un peu ma vie avec le vélo, mais moins que chez les professionnels. Je ne travaille pas, je ne fais que du cyclisme. Etant donné que le cyclisme est un sport qui est très populaire ici, certains coureurs arrivent à vivre du vélo. Mon club, le Vélo Club Grand-Case, possède plusieurs sponsors et me permet de gagner de l'argent. Mais je ne compte pas en rester là et je vais bientôt passer le brevet d’état !

« ON A PLEIN D'AMIS ICI »

Quels sont les Guadeloupéens les plus talentueux selon toi ?
Le meilleur, c'est Boris Carène, qui évolue à Convergence SC Abymien. Après lui, il y a d’autres coureurs qui sont talentueux comme mon coéquipier Grégory Blondin. On compte également de très bons sprinteurs mais ils ont très peu d’occasions de briller. Je pense qu’il y a du talent en Guadeloupe, mais il faut que les coureurs aillent courir en métropole pour se mesurer à d’autres coureurs. C’est de cette manière qu’ils peuvent progresser. J’ai l’impression qu’on cherche trop à les retenir. Il faut qu’ils aillent découvrir le cyclisme européen. C’est ce que j’ai proposé à Grégory. J’ai réussi à le faire rentrer à Martigues SC-Vivelo pour une durée d'un mois.

Penses-tu rester encore longtemps en Guadeloupe ?
Franchement, je ne sais pas. Je pense que je vais disputer encore la saison 2015. Peut-être que par la suite il sera temps de dire « stop ». C’est toujours difficile de se projeter dans le futur. Je ne sais pas si j’arriverai à prendre encore du plaisir pendant longtemps. Mais même si j’arrête le cyclisme, ce n’est pas dit que je rentre en métropole. Avec ma famille, on se plaît bien ici et on a plein d'amis. Alors pourquoi pas rester un peu plus longtemps ?

Crédit Photo : Thomas Djezzane - www.directvelo.com
 

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