La Grande Interview : Thibault Nuns

Thibault Nuns est tombé de l'arbre samedi dernier, quand il a devancé les meilleurs rouleurs de DN1 à la Boucle de l'Artois. D'autant qu'il n'avait "absolument pas préparé" ce contre-la-montre inaugural. Coup de chance ? Impossible. Météo plus clémente pour lui que pour les favoris ? Pas seulement. Le coureur d'Océane U-Top 16 semble retrouver sa pente naturelle, celle d'une grosse cylindrée contrariée depuis 2012 par des ennuis de santé - d'abord une péritonite puis une forte allergie au gluten. Chez les Juniors, il avait remporté la Bernaudeau Junior devant le Néerlandais Piotr Havik (aujourd'hui chez Rabobank Development) et Dylan Kowalski (VC Rouen 76). C'est ensuite que la santé s'est enrayée. "En trois ans, j'ai vécu un condensé de ce que peut être une carrière de coureur cycliste, avec ses hauts et ses bas", glisse Thibault Nuns à www.directvelo.com, révélant qu'il a failli arrêter le vélo en 2013, par dépit. Depuis son coup de force sur la Boucle de l'Artois, il semble reprendre sa place parmi les meilleurs de la génération 1994. Il peut de nouveau rêver d'un rond de serviette en Equipe de France et peut-être de plus grand encore. Mais, celui qui décrit sa lutte en Artois comme une extraordinaire chevauchée se montre plus analytique qu'enfiévré, prudent avant tout : "Je sais que la réussite reste fragile. Cette saison est encore longue. Et une carrière de vélo, c'est long aussi !"

DirectVélo : Tu semblais le premier surpris de ton succès sur la Boucle de l'Artois (lire ici). Que s'est-il passé ?
Thibault Nuns : Je n'avais ni pression ni ambition personnelle. Je pensais épauler Aurélien Moulin pendant toute la durée de la course. Sur le contre-la-montre de la première étape, notre directeur sportif, Stéphane Bauchaud, a décidé que je partirai dans les premières positions. A la fois pour que mes temps servent de point de repère à Aurélien et pour que je profite un peu de la météo - le vent devait se lever en fin de matinée, au passage des favoris. Ce choix, c'était un coup de poker...

Tu t'attendais donc à être battu par la grosse centaine de coureurs qui se sont élancés après toi ?
Oui, d'autant plus que je n'avais absolument pas préparé ce chrono. J'ai fini par trouver bizarre que personne n'améliore mon temps, surtout les favoris qui sont partis dans la quatrième vague de coureurs. Quand j'ai vu que Bruno Armirail ne m'avait pas battu, j'ai compris que le résultat serait énorme. J'ai même commencé à avoir un peu peur. J'ai pensé : « Oh la vache ! On est dans la merde ! »

« CAPABLE DE TENIR JUSQU'AU BOUT ? »

Pourquoi cette victoire dans le contre-la-montre avait un goût empoisonné, selon toi ?
Parce que je ne m'attendais pas à défendre une position de leader sur une épreuve de Coupe de France. Quand je suis monté sur le podium pour recevoir mon maillot, je trouvais la situation assez surréaliste ! Je pensais : « Quelle galère ! Est-ce que je vais être capable de tenir jusqu'au bout ? »

Heureusement pour toi, tu n'as pas été mis en danger sur l'étape de l'après-midi.
Avec une distance de 110 kilomètres, il y avait de grandes chances que le peloton arrive au sprint. L'étape était plutôt nerveuse et j'ai dû montrer à mes adversaires qu'ils devraient compter sur moi pour la suite. Donc je suis resté aux avant-postes et j'ai mis deux coéquipiers rouler à l'avant.

Donner des consignes à tes collègues, ça ne doit pas t'arriver si souvent ?
C'était même la première fois que j'avais un statut de leader. J'étais dans les roues, c'était comme le Tour de France à la télé (rires) ! Sauf que nous ne sommes pas le Team Sky ! Sur la dernière étape, le dimanche, mes coéquipiers ne pouvaient évidemment pas maîtriser les échappées tout au long des 166 kilomètres, sur un circuit difficile, exposé au vent et traversant des monts des Flandres. Dans le final, je devais répondre seul aux attaques.

« LE KILOMETRE LE PLUS LONG DE MA VIE ! »

Tu te sentais un devoir de responsabilité ?
Oui, très fort ! Je n'avais pas le droit de décevoir les gars qui m'avaient accordé leur confiance et s'étaient sacrifiés pour moi. Ni les dirigeants d'Océane U-Top 16, qui m'avaient donné la chance de rester dans l'effectif en 2014 alors que je n'avais pas obtenu de résultats en 2013. Je voulais remercier tous ces gens-là.

Sur cette dernière étape, tu n'as pas paniqué quand tu t'es retrouvé esseulé à vingt kilomètres de l'arrivée ?
Il y a eu cinq ou six attaques. J'ai dû lever le cul pour gicler dans les roues. Si j'avais perdu vingt mètres, l'écart se serait amplifié avec le vent. Heureusement, j'ai pu compter sur le soutien de l'Armée de Terre et du Team Pro Immo qui défendaient leurs positions au classement général et qui se sont placés en tête de peloton. Jusqu'à quatre kilomètres de la fin, c'est un membre de l'échappée qui était le virtuel vainqueur du classement général : Fabien Grellier (Vendée U).

Pourtant, tu as failli tout perdre sur un ultime coup de bordure ?
Oui, parce que l'Armée de Terre n'était pas là pour me faire un cadeau ! Elle voulait certes rouler sur l'échappée mais aussi me faire sauter. A six bornes de l'arrivée, un mec s'écarte devant moi. J'ai de suite perdu dix mètres. Ça m'a pris un kilomètre pour revenir. Le kilomètre le plus long de ma vie ! Les mecs de l'Armée ont commencé à buter un petit peu dans le vent. Je suis revenu au contact. Quand j'ai franchi la ligne, j'ai ressenti un immense soulagement !

« LES HAUTS ET LES BAS D'UNE CARRIERE CYCLISTE »

La Boucle de l'Artois, c'est l'épreuve sur laquelle tu t'es le plus dépouillé ?
Je me suis souvent dépouillé en course, mais c'est la première fois que mes efforts paient.

La saison dernière, tu as été handicapé par des problèmes de santé.
Oui, j'ai même failli arrêter le vélo... J'avais l'impression d'avoir tout fait comme il le fallait : j'avais pris un entraîneur (Nicolas Ollier), j'avais passé mon Bac (en série Sciences et technique de laboratoire, qu'il décroche avec une mention très bien, NDLR). Mais je n'avançais pas sur le vélo. La cause de ces problèmes, c'est le micro-nutritionniste Denis Riché qui l'a trouvée : je suis intolérant au gluten. Plus je mangeais des pâtes et du pain, plus je rendais mon intestin malade. Nous avons adapté mon alimentation, puis j'ai enchaîné avec un hiver de préparation très sérieux. Quand je compare mes saisons 2013 et 2014, c'est le jour et la nuit !

En 2012, tu avais également été freiné en pleine progression ?
J'avais remporté la Bernaudeau Junior et je devais honorer ma première sélection en Equipe de France, sur Paris-Roubaix. Mais j'ai fait une péritonite une semaine avant le départ. Je me suis retrouvé à l'hôpital. Disons qu'en trois ans, j'ai vécu un condensé de ce que peut être une carrière de coureur cycliste, avec ses hauts et ses bas...

« JE NE ME SUIS JAMAIS LAISSR GRISER »

Revenons-en à 2013, ta première saison chez les Espoirs. Tu souffres de ton intolérance au gluten tout en ignorant le diagnostic, tu n'es plus sûr d'être conservé par ton club ni même de poursuivre le cyclisme... A quel moment as-tu cessé de douter ?
Seulement sur les premières courses de 2014. Les sensations sur le vélo sont trop trompeuses pour s'y fier. Que ce soit lorsque j'étais malade ou à présent que je suis guéri, j'ai toujours eu l'impression de souffrir et de tout donner à l'entraînement. Cet hiver, j'étais toujours à fond dans ma préparation mais je ne savais pas si j'avais véritablement retrouvé ma force.

Les seuls juges, ce sont les résultats ?
Oui, mais je ne me suis jamais laissé griser. Même quand je termine troisième du Prix de Buxerolles, je me dis que c'est un coup de chance. Ou presque d'un coup de chance, parce que ce n'est jamais anodin de se glisser dans la bonne échappée après 170 kilomètres sur une épreuve de Coupe de France DN1.

Et ton contre-la-montre victorieux à la Boucle de l'Artois, tu l'as d'abord attribué à un vent plus favorable ?
Certes, j'ai eu moins de vent que les favoris et en plein effort, en écoutant mes sensations, je n'avais pas l'impression de faire un chrono exceptionnel. Mais, quand on repense à la dernière étape, on ne peut pas parler de coup de chance. J'étais en forme...

« UN MOMENT EUPHORISANT »

Tu sembles tempérer ton enthousiasme ?
Non, j'ai conscience de vivre un très beau moment de vélo, un moment euphorisant, et j'espère qu'il va durer le plus longtemps possible. Mais après ce que j'ai connu en 2012 et 2013, je sais que la réussite reste fragile. Cette saison est encore longue. Et une carrière de vélo, c'est long aussi.

Tu donnes d'ailleurs la priorité au vélo en ce moment ?
J'ai commencé des études en licence de biologie en début d'année, mais l'emploi du temps me semblait peu compatible avec le calendrier cycliste. Du coup, je me suis redirigé vers un BTS de diététique par correspondance. J'avance à mon rythme. En ce moment, je surfe sur la vague du vélo.

Et donc, tu as des objectifs précis pour la suite ?
Non, aucun en particulier. Je veux travailler pour le club, continuer ma progression. Et pourquoi pas découvrir enfin l'Equipe de France après l'essai manqué de 2012.

L'an passé, tu te définissais comme sprinter (lire ici). Est-ce toujours le cas ?
Dans une échappée, je suis capable de gagner au sprint. Mais dans un sprint massif, je ne me sens pas d'aller jouer ma vie sur les trottoirs et dans les bordures. Ce n'est pas que j'aie peur, mais je ne le sens pas. Je pense être polyvalent : je roule et je grimpe grâce à mes sorties dans les cols autour de chez moi, à Amélie-les-Bains (dans les Pyrénées-Orientales, NDLR).

« MOI AUSSI JE VEUX UNE COUPE ! »

Amélie, c'est quand même une ville pour les vieux et les curistes. Tu ne t'y ennuies pas ?
C'est vrai qu'on a pas mal « d'anciens » ! En fait, j'ai passé mon adolescence dans le Limousin, pendant les trois années que je suis resté au Pôle de Guéret. La plupart de mes copains habitent là-bas. A Amélie-les-Bains, je n'ai pas de vie sociale très développée. Mais je n'ai pas besoin de trop sortir. Voir les autres est un plaisir plus qu'une nécessité.

Pourquoi t'es-tu orienté vers la compétition et non vers le cyclotourisme longue distance comme tes parents ?
On finit par se prendre au jeu. J'ai pris goût à la compétition rapidement après mon inscription au club de Petite-Synthe, le SMPS Cyclisme, à l'époque où nous habitions près de Dunkerque. Mes parents, eux, étaient « diagonalistes » : ils faisaient des Brest-Strasbourg ou des Dunkerque-Perpignan, sans aucun esprit de compétition. Mais ils gagnaient quelques trophées. En voyant les coupes dans des cartons, j'ai dit : « Moi aussi j'en veux une ! » Je voulais voir jusqu'où je pouvais aller dans le cyclisme. D'où mon choix de passer par le Pôle de Guéret. C'est là que j'ai tout appris. Avant, chez les Cadets, je m'entraînais une seule fois par semaine, j'avais du poil aux jambes, j'étais limite en UFOLEP ! (rires)

Est-ce qu'un jour tu te lanceras toi aussi dans des grandes diagonales en vélo ?
(Sans hésiter.) Ah oui ! J'imagine déjà quelques raids comme l'Amérique du Sud au Nord et d'autres trucs de barjots ! Mais ce sera quand j'arrêterai la compétition. Pas tout de suite j'espère...

Crédit Photo : DR
 

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