Paul Lapeira : « Les plus beaux champions sont ceux qui restent humbles »

Crédit photo Vincent Curutchet / AG2R Citroën Team

Crédit photo Vincent Curutchet / AG2R Citroën Team

C’est du côté de Marseille, sur la côte méditerranéenne, que Paul Lapeira va faire ses grands débuts en tant que coureur professionnel, ce dimanche. Auteur d’une très solide saison 2021 chez les amateurs, le coureur de 21 ans va désormais pouvoir se mesurer aux meilleurs mondiaux. Avec prudence mais ambition, les deux n’étant il est vrai pas incompatibles. Le Manchois - 2e du Challenge BBB-DirectVelo Espoirs l’an passé - est d’autant plus heureux de franchir ce palier primordial cette saison qu’il va retrouver, au sein de l’équipe AG2R Citroën, le coureur qu’il idolâtrait durant son enfance : Mikaël Chérel. “Au siège de l’équipe, il y a une photo de Mikaël en train de dédicacer une photo à Paul. On voit leurs deux regards, celui du coureur professionnel et celui d’un jeune gamin en train de recevoir la casquette et la signature de son idole. Cette photo est très parlante et très émouvante”, témoigne auprès de DirectVelo le manager général de l’équipe, Vincent Lavenu. “Aujourd’hui, Paul se retrouve à courir avec son idole de l’époque, c’est très bien. C’est une très belle histoire qui fait partie des valeurs que l’on essaie de transmettre au fil du temps, entre les générations, avec ce côté humain et familial qui nous caractérise”. Retour sur le parcours d’un puncheur - installé à Chambéry - qui s’est donc rêvé à suivre les traces de Mikaël Chérel, et qui s’est également souvent vu comparé à son coéquipier Benoît Cosnefroy - un troisième manchois - depuis son adolescence, mais qui rêve désormais de tracer son propre chemin.

DirectVelo : Que représente ce passage chez les pros pour toi ?
Paul Lapeira : C’était un rêve depuis tout petit, puis c’était devenu un objectif depuis trois ans. Ça se réalise maintenant. C’est un accomplissement et j’en suis fier. J’ai eu une progression linéaire et c’est ce que je voulais. Mais ce n’est qu’une étape, pas une finalité. C’est le début d’une nouvelle aventure. Cela dit, jusqu’ici, je me suis toujours dit que si j’en avais les capacités, je passerais pro mais sans jamais en faire un objectif de vie, en me disant “c’est ça ou rien”. Je ne me suis pas pris la tête. J’ai continué les études à côté. Pour moi, le vélo, c’était du bonus. J’aurais pu faire autre chose.

Comment imagines-tu la suite et y a-t-il une pression particulière à l’aube de tes débuts sur le GP La Marseillaise ? 
On fait un sport où l’on est constamment sous pression mais je fais toujours en sorte de la transformer en pression positive. J’essaie de toujours voir le bon côté des choses. C’est compliqué de me projeter. Je ne peux pas encore me rendre véritablement compte du niveau auquel je vais être confronté. Dans cette situation, je ne peux pas encore me fixer d’objectifs précis si ce n’est ceux de beaucoup progresser et d’apprendre. J’ai encore tellement à faire. Après, c’est sûr que je fais du vélo pour gagner des courses… Mais là, je pense à plus long terme.

« J'ÉTAIS FAN ABSOLU DE MIKAËL (CHÉREL) ET AUJOURD’HUI, JE L’ADMIRE TOUJOURS AUTANT »


Parce que tu risques de ne plus jouer la victoire, au moins pendant un certain temps, contrairement à ce que tu faisais régulièrement l’an passé !
J’ai déjà connu une situation similaire. Quand je suis arrivé au CCF en 2019, je l’ai connue quasiment toute une saison. On aime tous gagner des courses mais c’est différent. Par moments, il faut aussi être équipier. Tout donner pour un collectif qui va chercher un résultat, c’est plaisant aussi, et gratifiant. Cette arrivée chez AG2R Citroën, pour moi, c’est un peu comme mon arrivée au CCF mais en plus grand. Il y a plus de coureurs, plus de monde dans le staff et plus de moyens mais ça reste équivalent, et une continuité. Je ne me suis jamais senti perdu en arrivant dans l’équipe et c’est un vrai avantage.

Ce passage chez les pros fait désormais de toi le coéquipier de Mikaël Chérel, avec qui tu as noué un lien particulier. Peux-tu nous rappeler pourquoi il a été si important pour toi jusqu’à présent ?
Il m’a toujours aidé et a toujours été là pour moi. J’ai commencé à 7 ans. Mon père et mon grand-père faisaient du vélo. Ma mère aime le vélo, elle aussi. On peut donc dire que je suis issu d’une famille de vélo, en quelque sorte, même si jamais personne n’a fait carrière dans la famille. Tout petit, j’allais voir courir mon grand-père. M’y mettre à mon tour était sans doute la suite logique. J’ai vite eu la chance de connaître Mikaël, en 2010. Il est devenu mon idole et je lui dois, en partie, le fait de devenir coureur professionnel aujourd’hui. Il m’a donné la passion du vélo. On vient du même village. Son père était le président de St-Hilaire, où j’ai fait toutes mes jeunes années sur le vélo, jusqu’en Juniors.

Et il t’a donc servi de modèle !
J’étais fan absolu de Mikaël. Les murs de ma chambre étaient recouverts de photos de lui. Je sais que ça l’avait marqué quand il est venu. Tous les ans, il me donnait des vêtements de l’équipe etc. Et aujourd’hui, je l’admire toujours autant. Bien sûr, ce n’est pas Alberto Contador mais ce n’est pas ça, le sujet. Je l’admire pour le coureur qu’il est mais aussi pour sa personne. J’ai grandi en suivant sa carrière pro. J’ai toujours été marqué par son humilité. J’en reviens à cette valeur si importante pour moi.

« BENOÎT (COSNEFROY) EST AUSSI UNE PERSONNE QUI A COMPTÉ POUR MOI »

Lorsque Mikaël Chérel est passé pro, en 2008, tu avais 8 ans…
(Rires). On a 14 ans de différence et justement, c’est ce que je trouve génial. J’adore l’idée de courir avec lui malgré cette différence de génération. Il a vécu tellement de choses différentes de moi, il a connu un autre vélo. Il m’apprend beaucoup de choses. J’ai 200% confiance en lui. Je sais qu’il sera toujours de bons conseils. Je pourrais le suivre les yeux fermés. Mais c’est vrai que c’est drôle de se retrouver chez les pros ensemble avec 14 ans d’écart ! Ces dernières années, quand il s’est rendu compte que je pourrais éventuellement passer pro, il m’avait dit qu’il n’arrêterait pas tant qu’on n’aurait pas fait une saison ensemble. Peut-être que ça lui a donné une motivation pour continuer (sourire). Mais blague à part, il est de toute façon encore passionné à 300%, même à 35 ans. Quand je revois les photos du jour de notre rencontre… Si on avait dit à ce petit garçon qu’il allait courir chez les pros avec son idole… C’est trop bien, surtout que l’on va débuter ensemble (contrairement à ce qui était prévu au moment de l’entretien, Mikaël Chérel ne disputera finalement pas le GP La Marseillaise et l’Etoile de Bessèges, où les deux hommes devaient évoluer ensemble, NDLR).

Outre Mikaël Chérel, tu vas également retrouver un autre Manchois en la personne de Benoît Cosnefroy !
Benoît est aussi une personne qui a compté pour moi ces dernières années. On se ressemble un peu, dans nos profils de coureurs. On vient du même département, comme avec Mikaël. On a eu une progression vachement similaire. Depuis que j’ai 15/16 ans, on me compare à lui. C’est plaisant mais je ne suis pas Benoît, je suis Paul. J’ai envie de tracer mon propre chemin. Mais si je peux prendre grosso modo la même direction que lui et faire le même début de carrière, je signe (sourire).

T’en sens-tu capable ? 
Forcément, quand on est là, on rêve toujours plus grand. J’adore gagner des courses. Je veux le faire mais pour l’instant, je me connais encore peu. Je ne sais pas encore de quoi je suis capable. Je ne sais pas si mon potentiel me permettra d’être un jour Top 100 ou Top 10 mondial. Les années me le diront. Sans doute que j’en saurai plus sur ce que je peux espérer ou non d’ici deux/trois ans. Il faut rester modeste et prudent.

« IL FAUT VRAIMENT QUE TOUTES LES PLANÈTES SOIENT ALIGNÉES »

Penses-tu pouvoir encore te découvrir de nouvelles qualités ?
Clairement ! Je n’ai que 21 ans. Je ne me connaissais pas du tout en arrivant au CCF. Je ne savais pas que j’avais ces qualités de puncheur que j’ai aujourd’hui. Dans trois ans, sans doute que je dirai que je ne savais pas, début 2022, que j’avais telle ou telle qualité. Je l’espère, sinon ce ne serait pas bon signe…

Remontons légèrement le temps : quels te semblent avoir été les moments les plus importants de ton expérience au CCF, pendant trois ans ?
Mon premier Top 10 en Coupe de France, sur la Boucle de l’Artois, a été important. Cette fois-là, je me suis dit qu’il y avait sans doute de belles choses à faire dans le futur. Puis il y a eu ces trois victoires consécutives pour mes trois premières courses de l’année, en 2020, même si c’était dans un contexte particulier (deux en mars puis la suite en août, avec entre-temps la grosse coupure dûe à la Covid-19, NDLR). Ma victoire à Saint-Étienne a été importante, elle aussi. C’était encore une étape de franchie en gagnant en Coupe de France N1. Je pense que ces trois exemples me représentent bien et montrent que j’ai progressé de façon linéaire. En espérant que la démonstration puisse se poursuivre.

Considères-tu avoir une grande confiance en toi ? 
Ce sport est tellement particulier… Il y a tellement de coureurs très forts dans le peloton qu’on tombe toujours sur un mec meilleur alors il faut vraiment que toutes les planètes soient alignées, j’imagine, pour réussir. J’ai toujours été quelqu’un de humble. Pour moi, je le répète car c’est essentiel : les plus beaux champions sont ceux qui restent humbles malgré leur réussite. C’est le cas de pas mal de mecs dans différents sports mais il n’y a pas besoin d’aller bien loin pour en trouver. Dans l’équipe AG2R Citroën, je m’en suis rendu compte lors des stages de pré-saison. Des garçons comme Greg (Van Avermaet), Ben (O’Connor) ou Bob (Jungels) sont de sacrés coureurs mais dans la vie de tous les jours, ils sont super gentils et super simples. C’est quelque chose que j’apprécie beaucoup.

« JE SUIS DEVENU UN GRAND FAN DE FORMULE 1 »


Te sens-tu, au cas où tout marcherait bien pour toi dans les prochaines années, capable d’évoluer dans un rôle de leader ou d’homme fort lors de certaines compétitions, comme tu l’as fait chez les Élites ?
Il faut vraiment être capable d’assumer de grosses doses de pression. Je ne pense pas en avoir les épaules aujourd’hui. Là encore, je serai peut-être plus à même de répondre dans deux ans. À l’échelle du monde amateur, je l’ai ressenti. Jusqu’à présent, j’ai bien réagi à la pression. Quand je savais que j’avais l’équipe autour de moi, qu’ils allaient tout donner, je me sentais redevable. Voir quelqu’un se mettre totalement à la planche pour moi me donnait encore plus envie de me surpasser.

As-tu d’autres passions ?
Depuis quelques années, je suis devenu un grand fan de Formule 1. Quand je me passionne pour quelque chose, c’est à 300% et c’est le cas pour la F1. Je suis chaque séance d’essais-libres, chaque qualification, chaque course bien sûr… Je m’attache au moindre détail. J’aime le côté “cash” et le franc-parler qu’il y a dans ce sport. Et puis, tout est au millimètre et je trouve que dans le cyclisme moderne, on se rapproche de plus en plus de cette approche des sports mécaniques. C’est super intéressant. Je suis tellement passionné que quand je ne suis pas devant un Grand Prix, je suis sur la console de jeu, avec le volant… D’ailleurs, ça énerve un peu ma copine (rires). Bon, dans l’équipe, je ne suis pas le seul qui aime ça apparemment. Lors du stage de décembre, on était une vingtaine de l’équipe devant la télé pour le Grand Prix d’Abu Dhabi. J’étais dégoûté du scénario, d’ailleurs… (le Britannique Lewis Hamilton a perdu le titre mondial dans le dernier tour du dernier Grand Prix de la saison au profit du Néerlandais Max Verstappen, NDLR). Mais avec la saison qu’on a eue, je me suis régalé cette année !

Considères-tu avoir un caractère très différent sur le vélo et/ou dans la vie de tous les jours ?
Oui, clairement. Sur le vélo, tu es obligé d’avoir un certain tempérament, de te faire une place. Je suis plus réservé et assez introverti le reste du temps. Quand il y a beaucoup de monde autour, en tout cas… Je ne suis plus le même quand je suis uniquement entouré de mon cercle familial. C’est différent. Je me lâche quand je suis avec des gens de confiance. Et pour ce qui est du vélo, quand je suis avec l’équipe, je préfère écouter que parler. Pour un néo-pro, je pense que c’est mieux (rires). 

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