Corse : L’ISULA Race, un boycott malgré Julian Alaphilippe

Crédit photo Bruno Bade / ASO

Crédit photo Bruno Bade / ASO

C’est un format d’un nouveau genre qui a attiré les curieux, amoureux de la petite reine, les 23 et 24 octobre derniers. Organisée par CorsiCom, la filiale marketing et événementielle du Sporting club de football de Bastia, en étroite collaboration avec Live For Event, la société de Pierre-Maurice Courtade, l’ISULA Race a vu le jour sur l’île de beauté (avec également l’appui de l’association « Adrien Lippini, un vélo une vie », du nom d’un jeune cycliste qui a disparu il y a onze ans, fauché sur la route alors qu’il s'entraînait). Le tout dans un contexte où le cyclisme corse cherche à se relancer (lire ici nos trois précédents articles consacrés à la situation du comité régional). Le concept de l’ISULA Race ? Réunir un maximum de passionnés et de licenciés corses en leur offrant la possibilité de rouler avec le parrain de l’événement, la superstar Julian Alaphilippe, double Champion du Monde sur route en titre. Clément Champoussin (AG2R Citroën) et Stéphane Rossetto (St-Michel-Auber 93) étaient eux aussi de la partie, comme Axel Narbonne (AVC Aix), au milieu des cyclos. Le tout sur deux jours, avec d’abord une soirée inspirée du modèle de la Formule 1 (essais libres/reconnaissance, qualifications puis course de type contre-la-montre). Le lendemain, c’est une cyclosportive d’une centaine de kilomètres qui a été proposée aux participants, autour de Bastia.

OPPOSITION ENTRE L’ANCIEN ET LE NOUVEAU PRÉSIDENT

Mais en coulisses, de gros désaccords sont apparus quant à la tenue de cette organisation. Le nouveau président du comité corse, Antoine Bartoli, témoigne : “C’est une situation compliquée. Tout cela s’est fait dans des conditions particulières. Mis à part l’ancien président, aucun autre membre du bureau n’avait été mis au courant de cet événement sur notre île”, certifie-t-il auprès de DirectVelo après coup. “Je l’ai appris douze jours avant. Cet événement n’a rien apporté au comité ou au cyclisme corse, soyons clairs. Les organisateurs voulaient mettre l’épreuve au calendrier national mais ce n’était pas possible. Ils ont tout géré de A à Z, on n’a rien fait. Cette situation était rocambolesque. C’est le milieu du sport, le foot, le cyclisme… C’est un milieu de requins”.

Des propos que réfutent totalement son prédécesseur à la tête du comité, Stéphane Ruspini, lequel admet avoir été en faveur de cette organisation et avoir eu des contacts avec Pierre-Maurice Courtade. “Ce qu’il dit n’est pas vrai. J’ai annoncé l’événement, je l’ai maintenu et répété à maintes reprises auprès du bureau, alors que j’étais encore en activité. Il y avait même une personne attachée auprès du président actuel pour qu’il soit au courant de tout. C’est eux qui ont refusé les différents contacts. Il y a eu un gros malentendu”. Mais pourquoi de tels désaccords pour un événement qui devait mettre en lumière le cyclisme en Corse ? “Certains ont considéré que Julian Alaphilippe venait se pavaner sur l’île et faire sa propre publicité. Alors qu’il y avait donc deux partenaires. J’ai bien conscience que chacun peut raconter tout et n’importe quoi. Chacun est libre de me croire ou non, mais vous pouvez contacter les gens concernés. C’était un événement créé pour aider le comité à s’épanouir, à rester dans sa dynamique et à grandir. C’était avant tout une question d’image”, lâche Stéphane Ruspini.

LA GRANDE CONFUSION 

De son côté, Pierre-Maurice Courtade confirme avoir eu deux intermédiaires sur l’île pour préparer l’événement, dont Stéphane Ruspini, lequel a finalement démissionné de son poste de président du comité peu avant la tenue de l’événement. Une situation rocambolesque y compris pour Pierre-Maurice Courtade, l’organisateur du Tour de la Provence et du Tour de Savoie-Mont Blanc. Ce dernier promet avoir voulu aider le cyclisme corse via l’ISULA Race. “Il était hyper important pour moi que le cyclisme local bénéficie de cet événement-là. On connaissait les difficultés du cyclisme corse ces dernières années, mais je ne voulais pas me mêler des conflits internes car ça ne me regardait pas. On voulait simplement redynamiser tout ça. Sincèrement, je ne sais pas ce qu’il s’est passé entre l’ancienne et la nouvelle direction. À un mois de l'événement, on s’est retrouvé avec un nouveau président. Nous étions prestataires et co-organisateurs. Pour être franc, tout le monde n’était pas nécessairement satisfait que CorsiCom soit dans le projet. Les clubs locaux n’étaient pas présents et je suis le premier à le regretter, d’abord pour les gamins. Ne pas pouvoir rencontrer Julian Alaphilippe, pour ces jeunes licenciés, c’est dommage”.

Car de surcroît, les problèmes ne se sont pas arrêtés à ces discordances présidentielles. Les clubs corses affiliés à la FFC ont tout bonnement boycotté ce week-end de rassemblement et de fête. Ainsi, seuls des cyclos et des jeunes venus en famille ont pu participer et rouler en compagnie de Julian Alaphilippe and co. Cyrille Vincenti, président du SRC Bastia, analyse la situation comme suit : “Les organisateurs n’ont jamais sollicité les gens du monde du vélo sur l’île. Tout ça s’est fait dans un coin. Je pense que ce n’était pas le bon format pour attirer des gens, malgré la présence de Julian Alaphilippe. Les passionnés sont venus pour le voir car il était au cœur de l’événement. Mais sinon, il n’y aurait rien eu. Ils n’ont pas fait ça pour le vélo… Certains y sont allés, d’autres n’ont pas participé car ils ne voulaient pas être pris pour des poires… Ceux qui y étaient sont contents de l’événement, c’est vrai que ça s’est super bien passé, il faut le dire aussi. Mais ce n’est pas un événement pérenne sur lequel s’appuyer”, considère-t-il.

BOL D’AIR FRAIS OU PAVÉ DANS LA MARE ?

Stéphane Ruspini n’a pas du tout le même son de cloche. “On m’a descendu en flèche en me reprochant plein de choses, alors que je voyais tout ça autrement. Lorsque j’ai quitté le comité, ils ont boycotté l’événement, Monsieur Bartoli a demandé aux clubs de ne pas y participer alors que ça pouvait offrir une belle publicité au vélo corse”. L’ancien président est en désaccord avec ceux qui, comme Cyrille Vincenti, considèrent que l’événement n’a rien apporté au cyclisme et au comité corse. “Bien au contraire ! Et c’est là où les membres du comité n’ont, selon moi, rien compris. Pierre-Maurice (Courtade) et le partenaire Corsicom’ nous ont plusieurs fois proposé d’échanger autour d’une table pour savoir ce qu’il nous fallait, ce que l’on désirait, pour faire en sorte que cet événement soit utile au cyclisme corse. Ils étaient prêts à nous aider et à mettre de l’argent sur la table, sachant qu’ils ont un pouvoir immense. Le problème, c’est qu’il y a eu une réticence importante, dès le départ, du président actuel et d’autres membres du comité. Ils ont tout boycotté”, appuie-t-il encore tout en considérant qu’il ne s’agissait nullement d’une “opération commerciale”.

Une situation qui, au-delà de ce cas précis, inquiète ce même Stéphane Ruspini. “Aujourd’hui, quand vous regardez le calendrier corse sur le site de la Fédé, combien y a-t-il de compétitions au calendrier ? On a vite fait le tour. Tout ce que j’avais mis en place a été retiré. On efface tout ce qui a été fait. Bon… le Comité fait ce qu’il veut, comme il l’entend, je n’y suis plus”. Ne serait-ce pas le coup du serpent qui se mord la queue ? “Vous mettez des événements au calendrier mais nos compétiteurs ne peuvent pas y prendre part. La faute à qui ? Les clubs doivent se structurer, je le dis depuis des années”. Ce à quoi le nouveau président Antoine Bartoli réplique qu’il faut "des gens motivés et déterminés à entreprendre pour avancer, dans la cohérence et pour le bien du plus grand nombre”. Lui, l’ancien vice-président qui n’a toujours pas compris la démission de son ancien président. Dans ce drôle de contexte, l’engouement autour de la présence de Julian Alaphilippe sur l’ISULA Race a autant ravi et réchauffé les cœurs que le boycott des clubs de la FFC a refroidi l’ambiance. Pierre-Maurice Courtade n’est pas du tout certain de réitérer l’expérience de cette ISULA Race sur l’île de beauté. “Est-ce qu’on y sera encore en 2022 avec ce même format ? Sincèrement, je n’en sais rien du tout, c’est beaucoup trop tôt pour le dire, mais sans doute pas”. Mais ce n’est pas pour autant qu’il n’a pas d’autres projets pour le cyclisme en Corse. 

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